Manque de professionnels et retard d'équipement

Psychiatrie : un secteur en (grande) tension

  • Publié le 4 septembre 2023 à 12:08
  • Actualisé le 4 septembre 2023 à 20:26

Depuis de nombreuses années, la psychiatrie est en crise et ce pour différentes raisons. Pénurie de professionnels, manque d'attractivité du secteur, manque d'investissements ou encore fermeture de lits... les grèves s'enchaînent dans les services partout en France. À La Réunion, le contexte n'est pas le même que dans l'Hexagone mais le secteur reste en tension, notamment du fait de l'insularité et du retard de développement des infrastructures (Photo d'illustration rb/www.imazpress.com)

Bientôt deux ans que les assises de la psychiatrie, initiées par le président de la République, ont réuni l’ensemble des acteurs concernés dans un contexte épidémique ayant fragilisé le secteur. Depuis, la situation n'a pas vraiment changé et les professionnels ne font que tirer la sonnette d'alarme.

Pourtant, le programme "santé mentale et psychiatrie" lancé en 2013 et révisé régulièrement a permis plusieurs mesures de soutien significatives après la crise du covid-19. Mais le manque d'investissement n'est malheureusement pas le seul problème.

À La Réunion, le secteur n'échappe pas à cette crise même si l'offre de soin s'y organise différemment.

- Le public et le privé main dans la main -

En 1995, le groupe privé des Flamboyants ouvre son tout premier établissement sur l'île. "À l'époque, il n'y avait que l'hôpital public qui soignait les grandes maladies de santé mentale et qui de ce fait souffrait de connotation assez négative" explique Aude D'Abbadie Savalli, directrice générale du groupe.

Aujourd'hui, les Flamboyants comptent trois établissements et travaillent en complémentarité de l'offre du public. Le groupe prend en charge 45% de l'hospitalisation complète et 59% de l'hospitalisation de jour.

Si l'hôpital public accueille toutes pathologies, les cliniques des Flamboyants se concentrent seulement sur certaines d'entre elles, comme la dépression, les troubles anxieux, bipolaires, les burn-out ou encore les troubles du comportement alimentaire.

"Il n'y a pas de réelle concurrence entre le public et le privé. L'offre est vraiment construite en partenariat" insiste Aude D'Abbadie Savalli.

Cette situation s'explique par le retard important de La Réunion en matière d'équipement. "Un retard de 30% en matière d'offre de soin était encore enregistré il y a 4-5 ans" révèle la directrice des Flamboyants. Une situation qui a nécessité un plan de rattrapage pas tout à fait terminé ce qui n'est pas sans conséquence.

Car La Réunion est en retard par rapport à l'Hexagone en termes d'unités de soin, d'équipements et de structures. Par rapport au nombre de personnes ayant besoin d'une prise en charge, en hausse, l'offre de soin n'est pas suffisante. Résultat, des délais d'attente importants pour les patients.

Zohra Givran, infirmière syndiquée à la CGTR hospitalière confirme que les usagers ont de plus en plus de mal à accéder à une prise en charge avec un médecin psychiatre.

Si l'EPSMR travaille sur ces délais à travers ces centres médico-psychologiques (CMP), l'attente reste extrêmement longue, "et bien souvent on accède seulement à un infirmier" ajoute Zohra Givran.

- Manque d'unités spécialisées -

Bien souvent, des patients souffrant de pathologies différentes se trouvent hospitalisés dans une même unité. Pour Expedit Lock Fat, membre de la CFDT Santé, cette situation peut parfois créer un sentiment d'insécurité à la fois pour les soignants et les soignés.

"Il est compliqué de soigner une personne dépressive à côté d'une personne qui pourrait avoir des troubles délirants, cela ne fonctionne pas au niveau de la thérapie" affirme Aude D'Abbadie Savalli.

Aux Flamboyants, les patients schizophrènes ou ayant des psychoses ne sont pas pris en charge. L'établissement veille également à ne pas mélanger les patients de différents âges, avec une unité pour la pédopsychiatrie, une pour les jeunes adultes, une pour les adultes et enfin une unité de géronto-psychiatrie pour les personnes âgés, la seule à La Réunion.

De plus, une unité de soins renforcés est en place pour des patients qui nécessitent d'être accompagnés toute la journée sans être laissés seuls. Mais ces unités restent les plus rares.

"Ici il y a un gros manque de structures pour les patients très violents, ceux avec qui on ne peut rien faire et qui malheureusement ont besoin de soins approfondies. Il n'y a pas d'unité pour eux dans le public et ils exposent nos professionnels à des risques. Cela peut vraiment polluer la vie d'un service. Une fois nous avons finalement dû envoyer le patient dans l'Hexagone dans une structure spécialisée. Mais ce n'est pas une solution viable" raconte Expedit Lock Fat.

Autres structures manquantes à La Réunion, celles pour les enfants et adolescents. Pour rattraper ce manque, l'hôpital public a pu bénéficier de financements et le privé a renforcé son offre de soin.

"Avant 2021, il n'y avait que 7 lits pour la pédopsychiatrie. Cela ne fait pas beaucoup surtout qu'on a une population plutôt jeune ici" développe Aude D'Abbadie Savalli.

En 2021, les Flamboyants ont donc ouvert 15 lits supplémentaires dans le sud. Au mois de mars, un nouvel établissement du groupe a vu le jour dans l'est, disposant de 13 lits pour les patients mineurs.

Mais qui dit rattrapage d'équipement dit un besoin plus important de personnel. Une autre problématique qui touche le secteur de la psychiatrie.

- Manque d'attractivité pour les professionnels -

"C'est la spécialité la moins choisie en internat. En 2019, 17% des places d'internat n'était pas pourvues en psychiatrie contre 11% en 2020. Cela se traduit par moins de professionnels formés. Pourtant, les besoins en santé mentale augmentent" précise Aude D'Abbadie Savalli.

Sur le territoire national, 30 à 40% des postes de psychiatres sont vacants dans une grande majorité des départements.

Comme partout en France, La Réunion n'échappe pas à cette pénurie de professionnels alors que les besoins en recrutement sont importants du fait de la situation de rattrapage.

"L'EPSMR recrute une trentaine de psychiatres et nous recrutons aussi. Comme il en manque au niveau national il faut réussir à être attractif pour faire venir les gens ici" poursuit la directrice des Flamboyants.

"On est obligé de mener une politique de fidélisation plus importante qu'en métropole puisque en outre-mer, si les gens ne viennent pas c'est dramatique. Dans l'Hexagone, il y a un peu plus de mobilité" ajoute Expedit Lock Fat.

Cette politique de fidélisation se traduit par des conditions de rémunérations améliorées, pas toujours suffisantes face à l'insularité.

Côté soignants, la psychiatrie est l'un des domaines les plus pénibles et est frappé par le burn-out. Cette usure professionnelle s'explique de plusieurs manières.

Premièrement, le manque d'effectifs. À chaque fois qu'un plan de réduction de moyen touche le secteur, non seulement des lits ferment mais des postes sont supprimés, en particulier dans l'administratif.

"Il faut laisser le travail administratif aux administratifs et celui des soignants aux soignants. Les infirmiers passent leur temps à prendre des rendez-vous alors que ça relève de la compétence des secrétaires médicales" relève Zohra Givran.

Loic* infirmier en psychiatrie témoigne de cette problématique. "Il peut y avoir des difficultés pour gérer un travail administratif de plus en plus chronophage en même temps que d'être présent auprès des patients" dit-il.

Par manque d'effectif, le nombre d'heures travaillées peuvent aussi devenir difficiles à gérer pour les soignants qui ont déjà un rythme particulier. " Une des difficultés pour les soignants est le rythme de travail, alternance nuit/jour, le travail le week-end, qui entraîne à terme une certaine fatigue" poursuit l'infirmier.

De plus, la profession reste à risque : à Reims, une infirmière a été tuée récemment. "Il y a des phénomènes d'agressions et cela arrive à notre sens trop souvent. Pour le professionnel le fait d'être agressé, ne pas se sentir en sécurité dans son boulot c'est une forme de mort sociale si il n'est pas suffisamment accompagné" indique Expedit Lock Fat.

- Former et accompagner -

Si les soignants travaillant dans le secteur de la psychiatrie ont parfois besoin de changer d'activité un temps pour souffler, des solutions sont envisagées par les directeurs d'établissements et syndicats pour les accompagner au mieux dans leur profession.

"Aux Flamboyants, on les accompagne de plusieurs manières. On leur donne les outils pour qu'ils puissent être armés face à leur métier. Le soignant n'est pas seul face au patient et il bénéficie d'intervention de psychologues" décrit Aude D'Abbadie Savalli.

Dans les cliniques du groupe, le ratio de professionnels pour un patient est important avec 1 à 2 professionnels par patient. "Plus ils sont nombreux plus c'est facile d'accompagner les patients, même en situation de crise" ajoute-t-elle.

Autre point important, la formation. Auparavant, les infirmiers pouvaient être formés à la psychiatrie, une spécialité supprimée. " À notre sens c'est une grosse erreur historique" lance Expedit Lock Fat. "Pour le jeune qui sort de l'école et entre directement en service, si on ne fait pas attention et on ne l'accompagne pas il est détruit très rapidement" poursuit-il.

Les syndicats accueillent donc avec beaucoup de bienveillance l'ouverture à l'université de l'école de formation des infirmièr.es, pratiques avancées en psychiatrie, à partir de cette année et aimeraient que ces formations soient plus nombreuses sur le territoire.

Enfin, une fois de plus le public et le privé travaillent ensemble sur cette question en organisant des formations communes pour les soignants déjà sortis du cursus scolaire même si l'insularité rend difficile la venue des formateurs.

www.imazpress.com/redac@ipreunion.com

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3 Commentaires
jeanau
jeanau
8 mois

Bizarre effectivement que ce ne sont que des syndicalistes MCO qui ont été interrogés. Pourtant on est bien garni en syndicalistes en PSY, les mêmes qui aiment bat' carrer et casser la blague dans les services en longueur de journée :)

Philippe
Philippe
8 mois

Je suis d'accord au post 1, à 200%.
Lorsque le Ministre de la santé M. François Braun était venu à la Réunion novembre 2022, les deux syndicalistes ont que réclamé les 50 millions du déficit du CHU soient résorbés, ils n'ont jamais parlé des problèmes liés à la psychiatrie. Seule la médecine générale était défendue par M. Expedit et Mme Zohra. Les voilà aujourd'hui devenus les plus grands défenseurs de la santé. MDR !
Merci à IMAZPRESS pour ce dossier.

KARINE
KARINE
8 mois

Bien que des améliorations de soins psychiatriques sont constatées, "la psychiatrie reste encore les parents pauvres de l'hôpital ". Une des citation utilisées des syndicats !
Les mêmes qui défendent becs et ongles la MCO ( Médecine-Chirurgie- Obstétrique ) viennent aujourd'hui donner des leçons de manque !
Il faut absolument revoir notre coefficient géographique qui reste trop faible par rapport à la Métropole. À nos parlementaires de faire leur travail.
Oui, c'est une réalité qu'il manque une (UMD) unité pour malades Difficiles à la Réunion. Cette demande a été une revendication forte de 2 syndicats de l'Ouest SUD SANTÉ M. Mounichy et la CFDT dont M. Comorassamy qui est en retraite déjà (J'ai bien apprécié sa tribune parue dans la presse ce WE) .
Notez aussi que le gouvernement tend à favoriser plus le privé que le public, mais là ni Mme Zora, ni M. Lock- Fat n'en parlent.....On peut même rajouter que notre langue maternelle doit être bien maîtrisée pour exercer en psychiatrie, que pensent les syndicats ?
N'empêche, Sud Santé et CFDT EPSMR font leur travail dans ce contextedifficile, pour améliorer la qualité de soins et le bien-être des agents à l'EPSMR.