Vers des contrôles plus renforcés

Sécurité sociale : 114 millions d'euros, c'est le coût des arrêts maladie à La Réunion

  • Publié le 3 juin 2024 à 10:39
  • Actualisé le 4 juin 2024 à 08:24

En 2022, près de 9 millions d'arrêts maladie ont été enregistrés en France, soit 30% de plus que 10 ans plus tôt. À La Réunion où près de 500.000 arrêts sont prescrit annuellement, les indemnités journalières ont coûté plus de 114 millions d'euros à la CGSS (Caisse générale de sécurité sociale) en 2023. L'Assurance maladie traque les abus, les salariés qui fraudent et certains médecins gros prescripteurs. Pour combler ce trou grandissant dans les comptes de la Sécu et enrayer ce déficit, la Cour des comptes propose plusieurs mesures pour restreindre les indemnisations des arrêts maladie (Photo : www.imazpress.com)

"La société ne va pas bien. Il y a beaucoup d'arrêts maladie liés à l'épuisement professionnel ou l'épuisement psychique", confiait un médecin. "Après, s'il est vrai que certains abusent, d'autres sont vraiment en souffrance."

À La Réunion, "le tendanciel d'arrêt maladie est à la hausse", confirme le Docteur Lefort de la Direction du service médical de la CGSS, "que cela soit pour les risques maladie ou les risques professionnels (accident de travail)".

En 2022, l'Assurance maladie de La Réunion a comptabilisé 474.000 arrêts maladie. Des arrêts dont le coût a été de plus de 120 millions d'euros pour la CGSS de La Réunion.

Au premier trimestre 2023, ce fut 634.417 euros indemnités journalières qui ont été prises en charge pour plus de 21.000 bénéficiaires

75% des arrêts sont de moins de 30 jours, sachant que la moyenne d'indemnités journalières en maladie est de 25 jours par bénéficiaire et 65 jours en accidents de travail.

Sur ces prescriptions, 80% sont issues du libéral, 10% des établissements de santé et 10% pour le Covid.

Une hausse qui va de pair avec l'augmentation des dépenses remboursée par l'assurance maladie.

En 2023, cela représentait pour l'Assurance maladie de La Réunion, un coût d'un peu plus de 114 millions d'euros remboursées en termes d'indemnités journalières dont 80 millions pour risque maladie et 34 millions pour risques professionnels.

Sur la totalité des arrêts maladie, ce sont les arrêts longue durée qui – au-delà de six mois - même s'ils sont moins nombreux (5%), génèrent 40% des coûts de l'assurance maladie.

- Le mal-être au travail -

Les troubles psychiques (dépressions, troubles anxieux, burn-out…) sont la première cause d'arrêt maladie. "L'on voit d'année en année que ce sont des motifs qui augmentent", souligne le Docteur Lefort.

"Nous avons ensuite les troubles musculosquelettiques et lombalgies ainsi que les maladies chroniques."

"Nous avons remarqué que depuis la crise Covid, il y a une montée en puissance des personnes qui ne se sentent pas bien dans leur travail, notamment en raison du maillage entre vie professionnelle et vie personnelle", explique Corinne Dubois, directrice régionale de l'Agence nationale pour l'amélioration des conditions de travail (Anact) de La Réunion.

La directrice faisant référence au télétravail. "On ne sait plus quand s'arrêter, quelquefois il y a un surinvestissement du salarié, sollicité par tous les canaux de communication modernes (téléphone, visio, mail…)."

À cela s'ajoutent, pour l'ensemble des salariés, "des difficultés avec le pouvoir d'achat, les déplacements. Tout cela augmente la charge mentale et forcément on emmène ce mal-être avec soi au travail".

- Des arrêts maladies en hausse et des employeurs méfiants -

Outre les arrêts maladie en augmentation, ce sont les signalements faits par les employeurs au Conseil de l'ordre qui sont en hausse.

"Il y a très souvent des employeurs qui portent plainte contre le médecin. On recense environ d'une procédue par mois", relate le Docteur Dusang, président du Conseil Départemental Ordre Médecins de la Réunion.

Les employeurs "estimant que le médecin aurait rédigé un arrêt maladie de complaisance sans réalité médicale". Cela "au motif qu'il y a écrit sur l'arrêt plusieurs jours d'arrêt alors que l'employé est dehors", explique-t-il.

"Si le médecin a prescrit c'est qu'il fallait un arrêt maladie." Après "il arrive que des patients racontent de belles histoires au médecin mais le prescripteur est de bonne foi et fait son travail dans l'intérêt du malade".

Le Docteur Dusang relève également d'autres cas de contentieux en hausse "avec des arrêts où le médecin a indiqué qu'il y avait un lien entre l'arrêt maladie et les conditions de travail". "On ne peut certifier que ce que l'on a constaté et le médecin ne peut pas avoir constaté par exemple du harcèlement et pour cela les employeurs se plaignent".

Des plaintes qui partent vers la chambre disciplinaire.

Si le médecin est condamné, "généralement il a un avertissement, un blâme au motif qu'on ne peut certifier le lien entre le syndrome et le travail", ajoute le Docteur Dusang.

- Comment les fraudes aux arrêts de travail sont traquées -

Si certains Réunionnais font face à un mal-être grandissant, d'autres à l'inverse se mettent en arrêt, sans forcément être malades. Les fraudes sont rares mais les arrêts de complaisance sont plus fréquents.

Les employeurs – tout comme l'Assurance maladie, peuvent parfois douter de la pertinence de l'arrêt. Pour lever le doute, certains assurés sont donc convoqués par le médecin-conseil.

Concernant les assurés, "nous avons des critères de sélection pour cibler les arrêts de travail", explique le Docteur Lefort. "On se fie au critère de la pathologie et de la durée."

Grâce à des éléments statistiques fournis par la Haute autorité de santé (HAS), "nous avons des référentiels sur lesquels se baser pour déclencher un accompagnement ou un contrôle", ajoute le Docteur Lefort de la Direction du service médical de la CGSS.

Dans le premier cas, un agent enquêteur agréé assermenté peut se rendre au domicile de la personne pour vérifier sa présence en dehors des heures de sortie autorisées.

Le contrôle peut aussi être d’ordre médical. Lorsque l’Assurance maladie ou l’employeur estime que l’arrêt de travail a de fortes chances de ne plus être médicalement justifié, le médecin-conseil convoque la personne arrêtée à un examen médical pour analyser son état de santé.

Les médecins ne sont pas les seuls à pouvoir effectuer ces contrôles. Les personnes arrêtées peuvent être convoquées par un infirmier du service médical ou un conseiller du service Assurance maladie (CSAM) à un rendez-vous téléphonique ou physique.

"Cela permet d'accompagner l'assuré dans le cadre du maintien à l'emploi et de contrôles les abus ou fraudes."

Dans les faits, près de la moitié des arrêts maladies sont contrôlés, tant que cela est fait "de façon pertinente", lance le Docteur Lefort "en comparant le motif, la raison et l'historique du patient. On ne va pas contrôler pour contrôler".

S'il est avéré après contrôle que le patient n'est pas vraiment si malade que cela, "cela sonne la fin de ses indemnités journalières et un retour au travail".

- Les gros prescripteurs dans le viseur de l'Assurance maladie -

Les assurés ne sont pas les seuls à être contrôlés : l'Assurance Maladie cible également les médecins prescrivant trop d'arrêts. On les appelle les médecins "atypiques".

Les médecins atypiques ne sont pas trouvés au hasard, "ce sont les médecins pour lesquels il y a un volume de prescription global au-dessus de la moyenne de leurs confrères, sur un même territoire donné".

Cela se passe "sur une procédure sur la base de ciblage avec des contrôles de mise sous accord préalable de prescription ou mise sous objectif".

"C'est une démarche statistique en fonction par exemple de la patientèle du prescripteur, les patients en ALD (affectation longue durée) et cela permet de dégager des atypiques prescriptions", explique le Docteur Lefort. "Des médecins qui prescrivent plus souvent et plus longtemps."

Si pour La Réunion, nous n'avons pas pu obtenir le nombre de médecins contrôlés, voire sanctionnés, ce que risque le professionnel de santé c'est : "des sanctions conventionnelles le plus souvent qui peuvent aller jusqu'au déconventionnement", explique Christine Soupaya-Virama responsable du service indemnités journalière maladie à la CGSS, ajoutant également la possibilité "de pénalités financières et éventuellement des sanctions pénales".

Pour le Conseil de l'ordre, cette mise sous objectif "génère de la pression auprès des prescripteurs en disant attention su vous avez un nombre d'arrêts qui sortent des statistiques vous risquez des pénalités".

Or "cette mise sous objectif ne correspond pas à la réalité des médecins. Les médecins n'ont pas à brider leurs prescriptions".

Pour éviter ces dérapages les conseillers de la Sécurité sociale mènent d'autres actions en parallèle. Objectif : aider les médecins parfois démunis face à des patients arrêtés depuis trop longtemps.

L'Assurance maladie s'entretient également avec les médecins pour "discuter de cas concrets parce que la prescription n'est pas toujours simple".

- Les entreprises ciblées pour "absentéisme" trop fréquent -

Concernant les entreprises, si elles ne délivrent pas d'arrêt maladie, c'est en leur sein que les salariés se mettent en arrêt. La CGSS opère donc des rencontres avec les entreprises dites atypiques en termes d'absentéisme.

L'Agence nationale pour l'amélioration des conditions de travail (Anact) de La Réunion analyse quelle organisation au travail peut aboutir à de l'absentéisme.

"On préconise un dialogue social régulier, constructif et transparent avec les salariés pour voir ce que l'on peut améliorer pour se sentir le mieux possible au travail", explique Corinne Dubois, la directrice régionale. Les entreprises doivent donc "être agiles, s'adapter, écouter".

- Vers une économie des arrêts pris en charge -

Les prévisions actuelles du gouvernement "montrent une dégradation continue" et "non maitrisée" du déficit de la Sécu, "qui atteindrait 17,2 milliards d’euros en 2027, sans plus de perspectives de stabilisation et encore moins de retour à l’équilibre", souligne la Cour des comptes dans son rapport d’application sur les lois de financement de la Sécurité sociale, présenté ce mercredi 29 mai 2024.

Parmi ses recommandations, la Cour suggère de s’attaquer aux dépenses d’indemnisation des arrêts de travail, "qui ont augmenté de plus de 50 % entre 2017 et 2022 pour atteindre 12 milliards d’euros dans le régime général".

Elle préconise "d’aller plus loin dans la lutte contre la fraude aux arrêts de travail et dans le contrôle des prescriptions des médecins". Parmi d’autres "mesures possibles", la Cour cite la non-indemnisation par l’Assurance maladie des arrêts de moins de 8 jours (470 millions d’euros de dépense en moins), l’augmentation à 7 jours du délai de carence (950 millions d’euros de dépenses en moins), la réduction à deux ans (contre trois aujourd’hui) de la durée maximale d’indemnisation (750 millions d’euros de dépenses en moins)…

Ce que propose l'organisme, c'est que cela soit aux entreprises, plutôt qu'à l'Assurance maladie, de prendre en charge le salaire des malades pendant cette période.

Dans tous cas, si certains peuvent creuser le trou de la Sécurité sociale, d'autres ne le font pas, non pas parce qu'ils ne tombent pas malade mais parce que l'Assurance maladie n'a pas reçu leur arrêt. Il faut savoir qu'un arrêt qui arrive en retard, ce sont forcément des indemnités en retard.

Dans ce cas, les conseils de la CGSS sont simples. "La première chose à faire c'est que l'assuré puisse obtenir une prescription dématérialisée de son médecin traitant pour être certain que l'arrêt arrive dans les délais", explique Christine Soupaya-Virama, responsable du service indemnités journalière maladie à la CGSS.

Si l'arrêt est manuscrit, "l'assuré a 48 heures pour le déposer à l'assurance maladie ou le transmettre par voie postale".

Encore faut-il que tout soit rempli et le numéro de sécurité sociale indiqué.

ma.m/www.imazpress.com/redac@ipreunion.com

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12 Commentaires
Reese
Reese
3 mois

Et que dire des profiteurs en arrêt maladie depuis plus de 15 ans ? J’en connais un, professeur des écoles arrêtés depuis des années et qui n’est nullement inquiété. Pire : après quelques verres quand la langue se délie, il expose à qui veut bien l’entendre comment profiter du système

Jfb974
Jfb974
3 mois

"" Sur ces prescriptions, 80% sont issues du libéral, 10% des établissements de santé et 10% pour le Covid"
Quid de la fonction publique et des collectivités locales? Pour l'instant, non compris dans les arrêts de la CGSS ?

"Ce que propose l'organisme, c'est que cela soit aux entreprises, plutôt qu'à l'Assurance maladie, de prendre en charge le salaire des malades pendant cette période "
Bien tiens, pour une petite structure, indemniser le salarié absent alors qu'elle ne sait pas si elle va passer l'année ?

Mal fondé
Mal fondé
3 mois

Les mal fondé commence à critiquer la Cgss

Pierrot 974
Pierrot 974
3 mois

Heureux les simples d'esprit (5/5) qui voient un fumiste derrière chaque malade.
Quand viendra leur tour de ne plus pouvoir bosser, ils découvriront peut-être leur immense bêtise.

HULK
HULK
3 mois

Et çà ne vous choque pas que le ministre des affaires étrangères de COMORES ait laissé une ardoise de 30 000 euros? Au lieu d'emmerder les français, faites payer les autres. Hé oui, c'est comme çà, je n'irai pas au paradis...

Mi di Mi pense
Mi di Mi pense
3 mois

Des chiffres ... Et alors ?

La CGSS est déconnectée de la réalité, la sécu est devenue une institution avec de belles images, sans le son au 21ème siècle.

La direction générale, les membres du CA vivent dans un monde artificiel en noir et blanc ...

La Cgss dépouille les entreprises en difficulté ayant pour mission, faire du chiffre d'affaire en rackettant les fonds de tiroir par des procédés au bord de l'indécence

atbo
atbo
3 mois

Sur quelles statistiques fondez-vous votre remarque?

renard albert
renard albert
3 mois

il suffit de voir ce qui se passe dans l'administration au niveau des arrêt de travail les instits ,les profs ,et tout ce qui rattaché au service public

lejuste
lejuste
3 mois

je m'entend pas avec mon chef arrêt de travail ,je m'entend pas avec un collègue arrêt de travail ,j'ai le nez qui coule arrêt de travail , c'est d'abord aux médecins de réagir a la comédie de certains

Fred
Fred
3 mois

Zot i di lé malade alors que lé pa vré, karma y viens pou zot !

Lucie
Lucie
3 mois

Y en a marre! Parmi mes collègues c’est toujours les mêmes qui sont en arrêt! À nous de récupérer leur taf. Ça nous epuise avec les risques que cela implique sur notre santé.Les médecins se rendent ils compte de ça?

STOP
STOP
3 mois

Franchement c'est scandaleux, les gens croient que arrêts maladie c'est pour avoir plus de vacances et tant pis pour leurs collègues qui se tapent leur boulot