Transidentité

Pénurie de testostérone, accès aux soins compliqué : le parcours du combattant pour les transitions de genre

  • Publié le 13 novembre 2023 à 02:59
  • Actualisé le 13 novembre 2023 à 09:07

Depuis plusieurs semaines, les pharmacies réunionnaises sont confrontées à une pénurie d'Androtardyl, un médicament utilisé en cas de déficience de testostérone, mais aussi par les hommes transgenres dans leur parcours de transition. Cette pénurie, qui touche toute la France, est due à une offre bien inférieure à la demande. Et malgré les appels répétés à une augmentation de la production auprès de Bayer, qui produit le médicament, les pénuries restent récurrentes depuis plusieurs années. Un problème qui peut avoir de nombreuses répercussions sur la santé physique et mentale de ses utilisateurs, et qui met en lumière toutes les difficultés rencontrées par les personnes transgenres dans leur parcours de transition. (Photo photo RB imazpress)

"Je dois faire entre six et sept pharmacies pour trouver de l'Androtardyl depuis quelques temps" souffle Zayn. "Malgré les demandes, Bayer refuse d'augmenter sa production, pour des raisons transphobes mais aussi capitalistes, l'Androtardyl ne rapportant pas assez d'argent" estime-t-il.

"Le problème c'est qu'il y a un seul laboratoire (Bayer) qui distribue l'Androtardyl en France, contrairement à d'autres médicaments qui sont produits par plusieurs laboratoires. Et comme pas mal de médicaments qui sont tombés dans le domaine public, en plus d'être peu utilisé, il n'y a pas d'intérêt économique à augmenter la production" abonde Lilou.

"Ce médicament est sorti il y a plus de 20 ans, ils ne se font plus assez d'argent dessus et refusent donc d'augmenter la production" confirme Zayn.

"Il reste quelques pharmacies qui ont du stock, mais plus on va avancer dans le temps, plus cela va devenir compliquer" ajoute Lilou. "Ça nous oblige par ailleurs à changer de nos pharmacies habituelles, ce qui peut nous mettre en danger car on doit la plupart du temps annoncer notre transidentité aux pharmaciens que l'on rencontre, sans savoir s'ils vont bien réagir ou pas" souligne-t-iel*.

- Une pétition pour interpeller Bayer -

Face à ces pénuries récurrentes, la société française d'endocrinologie - spécialistes des hormones - a estimé dans un communiqué de presse publié en 2019 "que le traitement par testostérone n’est absolument nécessaire que pour les patients ayant un réel déficit en testostérone" et a demandé "à tous (ses) collègues de réserver en priorité leurs prescriptions à ce type de patients pendant la période de pénurie". Comprendre : exclure les patients transgenres des prescriptions tant qu'il y a une pénurie.

"On a déjà des difficultés pour avoir des prescriptions auprès des endocrinologues, énormément d'entre eux sont transphobes et c'est un parcours du combattant pour pouvoir accéder au parcours de transition" dénonce Zayn. "Ils n'aiment pas du tout nous prescrire nos médicaments, ils ne sont pas à l'écoute, ils n'adaptent pas les doses aux patients…" ajoute-t-il.

"Bayer sait très bien que l'augmentation de la consommation de l'Androtardyl est en lien avec les personnes transgenres, ils n'ont donc aucun intérêt financier à augmenter la production et se fichent de notre bien-être."

Pour tenter d'interpeller – encore – le laboratoire sur ce problème, une pétition a été lancée ce jeudi 2 novembre 2023 pour demander à Bayer d'augmenter sa production. "Tous les individus ont droit à des soins de santé appropriés, quel que soit leur genre. La pénurie d'Androtardyl compromet gravement ce droit fondamental pour les personnes transmasculines" dénonce en effet l'association Transpire, à l'origine de la pétition.

"Nous exhortons les autorités de santé, le laboratoire Bayer, producteur de ce médicament, et les décideurs politiques à prendre des mesures immédiates pour résoudre cette pénurie et garantir un approvisionnement stable en Androtardyl" écrit-elle dans sa pétition.  Il est impératif que nous reconnaissions et abordions la pénurie d'Androtardyl comme une crise médicale et sociétale."

- Une pénurie aux conséquences physiques et mentales -

"Les conséquences vont aussi bien concerner la santé physique que mentale : les effets s'estompent et finissent par partir si on ne peut pas prendre son traitement pendant longtemps, et quand la personne souffre d'une dysphorie sévère (détresse profonde ressentie parfois par les personnes dont l'identité de genre ne correspond pas à leur sexe ; ndlr) cela peut vite devenir compliqué" souligne Xylric, président de l'association LGBTQIA+ Orizon.

Pour les personnes ayant eu recours à une chirurgie de réassignation sexuelle, qui comprend l'ablation des ovaires et de l'utérus dans le cas des hommes transgenres, l'arrêt du traitement peut aussi avoir des effets sur la santé physique. "En effet, les ovaires produisant les oestrogènes, sans ces dernières et sans possibilité de réaliser leurs injections de testostérone, ces personnes peuvent se retrouver dans des situations graves concernant leur santé" alerte l'association Transpire.

- Un parcours du combattant -

Mais même en dehors de toute pénurie, il est souvent extrêmement compliqué d'accéder à un parcours de transition, particulièrement à La Réunion.

La plupart des parcours nécessitent de rencontrer un endocrinologue. "Pour la testostérone, la première prescription doit être faite par un endocrinologue, un gynécologue ou un andrologue, mais dans la pratique ils ne sont quasiment pas formés à ça à part pour endocrinologue" détaille Lilou. "Il faut savoir qu'en Métropole il y a des médecins généralistes qui font les premières prescriptions parce que sinon il y a un manque d'accès aux soins, mais ce n'est pas quelque chose qui est fait à La Réunion à notre connaissance."

"Normalement, une fois la première prescription obtenue, elle peut être renouvelée par n'importe quel médecin généraliste, mais beaucoup ne le font pas ou remettent exactement la même dose sans suivi ou mesure de réadaptation" regrette le médecin.

Et comme pour n'importe quel spécialiste, les endocrinologues sont rares dans l'île.

"De mémoire, il y en a moins d'une quinzaine à La Réunion, et sur ces endocrinologues, il y en a une qui s'est déclarée incompétente pour accompagner les personnes transgenres, un qui est blacklisté, un qui part à la retraite, une demande un certificat alors qu'il ne devrait pas être demandé, et une qui n'est pas mal intentionnée mais qui n'a aucune connaissance sur le sujet" regrette Xylric.

"Des endocrinologues à la fois compétents et acceptants, il y en trois ou quatre à La Réunion."

En plus de temps d'attente extrêmement long pour pouvoir avoir un rendez-vous, les personnes transgenres doivent aussi passer par un processus long – et pourtant pas obligatoire – d'accompagnement psychologique pour pouvoir recevoir un traitement hormonal.

"Le suivi psychologique n'est pas obligatoire, mais les endocrinologues le veulent absolument pour être sûr que ça ne se retournera pas contre eux en cas de prescription. Ils ont peur de la détransition, alors que le nombre de personnes qui le font est ultra-minime et est généralement motivée par la pression et la transphobie autour d'eux" explique Xylric, qui propose la mise en place de décharge pour les soignants dans le cas où un patient venait à changer d'avis.

"Certaines personnes sont suivies pendant 2 ans avant d'avoir enfin accès à une attestation psy, il y a de véritables lacunes dans les suivis" regrette Lilou. "A la base, ce suivi avait été décidé parce qu'il avait été décidé que la transidentité était une maladie. On s'est ensuite dit que c'était quand même bien d'avoir un suivi psychologique en raison de la dysphorie, mais c'est finalement contreproductif, car on n'ose pas se confier totalement parce qu'il y a cette peur de ne pas avoir d'attestation."

- Difficultés sur difficultés -

"Ce suivi psychologique est parfois dangereux. Par exemple, pour une ancienne psy, je n'étais pas assez volontaire pour me faire opérer, donc elle a voulu me faire arrêter mon traitement hormonal" se rappelle Xylric.

"Un autre m'a ausculté les organes génitaux sans me prévenir, sans m'expliquer ce qu'il faisait, attrapait ma tête comme si j'étais un animal, il était ignorant et faussement informé" dénonce-t-il.

"Juste pour trouver un psy qui accepte de faire la fameuse lettre c'est très compliqué" abonde Iris, une jeune femme transgenre. "Et ça coûte aussi très cher. Les spécialistes il faut les payer de sa poche, c'est une difficulté supplémentaire, surtout quand on sait que les personnes transgenres sont souvent très précaires" explique-t-elle.

"Pour trouver quelqu'un qui est safe c'est très compliqué, il a fallu aller dans le privé. Et c'est pareil pour les endocrinologues, on fonctionne au bouche-à-oreille et il n'y en a pas beaucoup. Tout le monde va les voir donc ils sont surbookés."

"La dysphorie de genre est reconnue comme une affection longue durée (ALD), ce qui permet de bénéficier du remboursement de nos soins, mais avant il faut l'aval du médecin traitant et du psychiatre, qui vont attester ou pas qu'on a effectivement une dysphorie de genre. C'est très anxiogène, très long et très coûteux" regrette-t-elle. " Toutes les personnes trans n'ont pas accès à l'ALD, c'est à l'appréciation du médecin. Ça m'a pris un an et demi pour réussir à l'avoir."

A tout cela s'ajoutent aussi les difficultés pour les changements d'état civil, où encore une fois, "il faut montrer patte blanche". "On est vraiment dans l'obligation de jouer sur les codes sociaux, ils se basent sur le physique. Pour la mention de genre , il faut montrer sa "bonne volonté" de paraître" détaille Iris.

- Des améliorations dans les pratiques –

"Le tableau n'est pas tout noir" tempère cependant Xylric. "La problématique se trouve surtout au niveau des endocrinologues et parfois les psychiatres. Mais il est par exemple plus simple de trouver des chirurgiens. Ils sont peu nombreux mais ils sont impliqués, il y a déjà une relativement bonne mentalité dans le milieu hospitalier" souligne-t-il.

Les associations ont d'ailleurs mis en place une charte des bonnes pratiques, qui rappelle "des principes basiques qui devraient être des évidences pour comment on reçoit un patient" dit-il. "C'est particulièrement important pour des publics transgenres."

Cet outil a été conçu avec des soignants, et "permet d'avoir un langage qui ne les effarouche pas". "L'outil est fini, il reste juste à le diffuser."

Et le constat montre qu'il y a une grande demande du côté des soignants. "Il y a une vraie communication à faire, il y a une demande qui vient du milieu médical. Certains veulent faire mais ne savent pas comment" assure Xylric.

"Quand on crée des outils, cela crée des appels d'air et il y a énormément de personnes qui se présentent. Le problème est que quand ça saute, il y a plein de gens qui se retrouvent sur le carreau. On se rend compte de la fragilité de ce système de soutien" regrette cependant le président d'Orizon. 

Le chemin est donc encore long avant une prise en charge adéquate, et surtout respectueuse, des personnes transgenres. Mais un bout de chemin a déjà été franchi, et les pratiques iront, on peut l'espérer, seulement en s'améliorant.

as/www.imazpress.com / [email protected]

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