Dominique Maraval de Bonnery, dans son troisième ouvrage, nous entraîne en 1942 au cœur d’une France déchirée par l’occupation allemande. À travers le village fictif de La Perrière, dans son Auvergne natale, il explore les tensions entre collaboration et résistance, mais surtout les zones grises d’une époque où les notions de bien et de mal s’effacent sous le poids de la survie. "Il faut qu'on en reparle", à la croisée du document historique et de la fiction, réveille des tabous toujours douloureux, en mettant au jour la complexité morale d’une "génération soumise aux affres du nazisme". (Photo photo RB/www.imazpress.com)
"Il faut qu'on en reparle" s’ouvre sur cette déclaration forte : “Cet ouvrage ne contient aucun jugement sur une génération soumise aux affres du nazisme.” Une posture qu’affirme l’auteur dès la préface, comme pour neutraliser les polémiques possibles.
Néanmoins, derrière cette réserve annoncée, Dominique Maraval, comme tout bon romancier, embrasse une démarche résolument subjective : il tisse une trame où les faits historiques se mêlent aux récits familiaux, aux témoignages, et aux choix narratifs assumés.
La construction même du roman, non linéaire, reflète cette volonté de brouiller les pistes entre récit historique et fiction : l’histoire s’ouvre en août 1944, en pleine libération, avec l’humiliation publique d’Édith, accusée de collaboration.
Cette scène choc, initial du récit, résonne comme une interrogation morale sur les ambiguïtés de l’époque. Qui sont les victimes ? Qui sont les bourreaux ?
En revenant en arrière, jusqu’à l’arrivée de l’occupant en 1942, l’auteur éclaire les trajectoires croisées des personnages, autant d’histoires individuelles qui alimentent une fresque collective.
- La mémoire familiale comme boussole -
Dominique Maraval ne cache pas que sa propre histoire familiale a nourri l’écriture de ce roman.
La dualité de son héritage – un grand-père paternel résistant et des aïeux maternels pétainistes – transparaît dans sa quête d’équilibre entre empathie et lucidité. Ce double regard évite au récit de sombrer dans une simplification manichéenne. Mais il trahit aussi une implication personnelle qui rend parfois l’ouvrage moins impartial qu’il ne prétend l’être.
Cette subjectivité s’exprime notamment dans le choix des thématiques : l'accent sur la résistance communiste, les différences d'attitude entre catholiques et protestants, ou encore la figure ambivalente des collaborateurs. Ces angles révèlent autant de partis pris que de vérités historiques.
L'auteur montre une inclination marquée pour questionner les mythes, notamment celui du "bon résistant communiste", en soulignant les paradoxes du Parti communiste français (PCF), tiraillé entre sa fidélité initiale à Moscou et son ralliement tardif à la cause patriotique après 1941.
- Un roman d’une troublante actualité -
L’une des forces de "Il faut qu’on en reparle" réside dans son écho à des débats contemporains. À travers le personnage d’Édith, femme mariée à un juif et injustement accusée de collaboration, le roman met en lumière les violences faites aux femmes tondues et ostracisées après la Libération. Edith, comme tant d'autres, est conduite dans les "camps de la honte" comme les qualifie l'auteur.
En 1944, le comité départemental de la libération va confier ces "centres de séjour surveillé" selon leur nom officiel, à la "police du maquis". Ces policiers ayant prêté serment à Pétain menaient, durant l'occupation, "des arrestations de juifs ou des démantèlements de réseaux de résistance", est-il décrit dans l'ouvrage.
Miliciens, collabos, ou simple ennemi de la police du maquis vont s'y retrouver. Pendant plusieurs semaines, avant que ces camps dont "il faut reparler" ne soient définitivement fermés, leurs occupants subiront tortures, humiliations et autres viols à répétition.
De quoi faire dire au député Joseph Denois, le 23 novembre 1945 à l'assemblée nationale que "le pouvoir nazi a si bien imprégné notre pays que, même après qu'il a été libéré de l'occupant, certaines pratiques ont pu subsister".
Une réalité qui trouve un prolongement dans les questions actuelles sur la justice transitionnelle et les règlements de comptes post-conflits. Par ailleurs, l’évocation des tensions religieuses et de l’antisémitisme d’époque, que Dominique Maraval associe à ses propres souvenirs d’enfance, résonne avec la recrudescence actuelle de discours de haine.
Si l’auteur assure avoir achevé son livre avant les événements récents au Moyen-Orient, il est difficile de ne pas voir dans son œuvre une résonance universelle avec ces tragédies.
- Une fresque humaine et nuancée -
À travers ses personnages, Dominique Maraval ne cherche pas seulement à relater des faits, mais à incarner la complexité humaine de cette époque. Lothar von Ernaud, officier allemand atypique, descendant de huguenots, ou encore Jean Fressinay, pasteur protestant engagé dans la résistance passive, apportent une diversité de points de vue.
Ces figures permettent à l’auteur d’explorer des formes plurielles de résistance, de la désobéissance civile à l’action armée, tout en questionnant la morale des choix individuels, dans un pays où la principale préoccupation de la population était de se nourrir.
Cependant, cette richesse narrative se heurte parfois à des digressions historiques qui alourdissent le rythme du récit. L’insistance de l’auteur sur certains points, comme les divisions internes à la résistance, peut sembler didactique et détourner de l’émotion brute des personnages.
- Un roman réflexif -
Avec "Il faut qu’on en reparle", Dominique Maraval signe une œuvre ambitieuse, à la fois fresque historique et réflexion sur la mémoire. Si certains passages pâtissent d’un excès d’explications ou d’une implication personnelle trop feinte, le roman parvient à poser des questions essentielles : comment juger une époque où la survie dictait les conduites ? Peut-on véritablement trancher entre héros et traîtres ?
Malgré ses imperfections, ce roman offre une lecture fluide et réflexive, dans un contexte où les fantômes du passé continuent de hanter notre présent. "En histoire, il faut se résoudre à beaucoup ignorer", écrivait Anatole France. Un livre qui fait parfaitement écho à la vision de l'illustre écrivain du XXème siècle, ouvertement sceptique sur la possibilité d'une histoire totalement objective ou exhaustive.
Un mot sur l’auteur
Auteur de trois ouvrages, Dominique Maraval s’est illustré dans des genres variés. Son premier livre, "Tumeur changeante", est un témoignage sur huit années d’accompagnement de son épouse décédée d’une tumeur au cerveau. Son précédent roman, "Crosses en l’air", a été récompensé par le prix Daniel Bayon 2023.
Avec "Il faut qu’on en reparle", il poursuit son exploration des zones d’ombre, mêlant fiction et mémoire dans une démarche à la fois littéraire et engagée. "J'ai écrit deux fois sur la guerre, on me le reproche, donc je travaille sur quelque chose de beaucoup moins sérieux, plus satirique", prévient l'auteur.
"Il faut qu'on en reparle" est disponible à la commande. La première séance de dédicace est prévue le 15 décembre à la librairie du rallye au barachois, à Saint-Denis.
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Félicitations Dominique ! Au plaisir de te revoir au cours d'une séance de dédicaces.
Je t encourage dans ta voie d écrivain …
Anti communiste primaire ce bonhomme
Bof