Tribune libre de Bruno Bourgeon

L’affaire Meurice : une mauvaise blague témoignant de la dérive autoritaire du pouvoir

  • Publié le 7 mai 2024 à 09:06
  • Actualisé le 7 mai 2024 à 21:56

Vu de près, ce pourrait n'être qu'une blague, cette histoire à rebondissements de Guillaume Meurice, avec son Netanyahu « nazi sans prépuce ». On avait suivi l'affaire. La blague initiale de l’humoriste de France Inter, l’avertissement reçu de la présidente de Radio-France et de l'ARCOM, les plaintes des associations pro-israéliennes. Le 18 avril dernier, le parquet de Nanterre classe ces plaintes sans suite pour "délit insuffisamment caractérisé" (Photo d'illustration)

 Dans l'émission suivante, Meurice réitère la blague, puisqu'elle n'est pas passible de poursuites : "Allez-y faites-en des mugs, des T shirts, c'est ma première blague autorisée par la loi française".

Et hop : nouvelle convocation par la direction de Radio-France pour "un entretien préalable pouvant aller jusqu'à la rupture de son contrat à durée déterminée pour faute grave".

En clair, pour être viré. Et suspendu dans l'intervalle. La méta-blague pourrait se résumer ainsi : "C'est l'histoire d'un mec, il est poursuivi pour une blague sur un mec qui fait un génocide. La justice dit qu'il n’y a rien de mal dans la blague. Du coup le mec il refait la blague. Et là il est viré. Elle est bonne, non ?" A la manière Coluche. Tout ça pour Netanyahu,"nazi sans prépuce".

Je me permets d'en plaisanter, parce que l'entretien préalable, je connais. J'ai connu. Au CHD devenu CHU. Le courrier recommandé.

L'embarras du sous-grand chef qui te reçoit, pour te lire que les choses peuvent aller " jusqu'au licenciement", et -défense d’en rire- recueillir tes remarques. Parce que le grand chef ne te reçoit pas en personne. Jamais. C'est toujours son âme damnée, le DG, le DRH, un spécialiste de ces situations.

Le président a toujours une âme damnée. L'âme damnée est surpayée, justement pour ça, les tâches pourries comme l'entretien préalable pouvant déboucher sur un licenciement. Tout ça pour Netanyahu, "nazi sans prépuce".

Quand tu es journaliste, ou humoriste, ou chef de service hospitalier, bref en première ligne, ça ne devrait pas te surprendre.

Dans ta boîte où tu te croyais protégé par ton ancienneté, la reconnaissance interne et externe de ton travail, tu étais en première ligne : celui qui signe, porte les coups, en prend. Les directeurs et les années passent, le contexte change, et peu à peu, tu réalises que les règles du jeu ont changé.

On ne te l'a jamais dit en face. Tu aurais pu, tu aurais dû, le comprendre seul. Mais tu ne l'as pas compris, ou ne veux pas le comprendre.

Tête de mule. Ton métier c'est de jouer, avec les mots, les interdits, les non-dits, les limites, les règlements. Alors tu joues. Selon les règles officielles. En kamikaze. Arrivera ce qui arrivera. Tu auras fait ton taf. Tout ton taf, rien que ton taf.

Faire rire, faire réfléchir, éveiller, susciter l'indignation, la révolte, soigner, en dépit des autres, de la jalousie intrinsèque à ton succès. Advienne que pourra. Rentre la tête et attends. Ça passe, ou ça casse. Tout ça pour Netanyahu, "nazi sans prépuce".

Alors Meurice a récidivé. Benjamin Netanyahu n'ayant pas cru devoir changer de politique entretemps, les bombes israéliennes continuant de pleuvoir sur Gaza, il ne voit pas pourquoi il ne récidiverait pas. La Justice, toute la Justice, rien que la Justice.  Vient donc une fois où ça casse. Entretien préalable, etc. Tout ça pour Netanyahu, "nazi sans prépuce".

Selon des producteurs de France Inter cités par Le Monde, la directrice de France Inter Adèle Van Reeth et la présidente de Radio France Sibylle Veil, paraît-il, trembleraient devant un compte twitter anonyme macroniste, baptisé Médias Citoyens.

Allez voir et faites-vous votre opinion sur ce compte "indépendant". Lire à propos de ce compte anonyme l’enquête de Check News, si vous avez l’accès à Libé.

Mesdames les présidente et directrice, est-ce bien raisonnable ? Ne savez-vous pas, dans vos positions, que tout ce qui est anonyme est insignifiant ? Il est vrai que ces vigilants macronistes joignent leur voix aux vigilants de la meute Bolloré, pas anonymes du tout, eux. Tout ça pour Netanyahu, « nazi sans prépuce ».

Placée dans cette situation, Charline Vanhoenacker, productrice, a réagi de la seule façon possible : consacrer quasi-exclusivement son émission au "cas Meurice".

Tester sa bulle d'oxygène, jusqu'à la faire éclater si elle doit éclater. Surtout, ne pas se faire égorger dans une souricière. Pleins feux sur la souricière !

Qu'au moins le crime soit commis en pleine lumière. Il est vrai qu'elle a de l'entraînement dans l'hypocrisie.

Déjà l'an dernier à la même époque, lorsqu'elle eut l'honneur d'être rétrogradée du rythme quotidien au rythme hebdomadaire, la même directrice avait expliqué qu'il s'agissait ainsi de "la faire sortir de sa zone de confort, de se réinventer, de se challenger".

Résultat ? Charline a multiplié ses auditeurs ! Tout ça pour Netanyahu, « nazi sans prépuce ».

Vu de près, c'est une blague, rien qu'une mauvaise blague, cette histoire de prépuce. Vu de loin, on ne rigole plus du tout. 

Intégrée dans le tableau d'ensemble que constitue l'acharnement de la meute macrono-bolloréenne, la suppression à France Inter de plusieurs rubriques écologistes, dont la très délicieuse "Terre au Carré", l’hésitation de France Inter à soutenir Nassira El Moaddem, journaliste à France Inter, présentatrice à @si, qui osa dire que la France est un pays de dégénérés racistes, on voit à l'oeil nu, lentement, inexorablement, un lacet se refermer sur la radio nationale. Et toujours pour Netanyahu, "nazi sans prépuce".

Docteur Bruno Bourgeon ancien praticien hospitalier et chef de service au CHD, président d’AID


 

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