Tribune libre de Huguette Bello

L'urgence sociale et sanitaire à La Réunion exige des réponses immédiates

  • Publié le 18 avril 2025 à 06:35
  • Actualisé le 18 avril 2025 à 06:50

La Réunion se trouve sur l'axe d'échanges émer- geant entre l’Afrique et l’Asie, dans un environnement géo-économique et démographique en rapide évolution (Photo : sly/www.imazpress.com)

Elle entend saisir toutes les opportunités pour valoriser les atouts découlant de sa position de région française ultrapériphérique de l’Union européenne au cœur du bassin indo-océanique, dans une stratégie de codéveloppement durable avec les pays de son environnement.

Cette ambition ne peut se construire que si les difficultés immédiates auxquelles notre île est confrontée sont surmontées.

A la veille de votre visite à La Réunion et dans le prolongement des échanges réguliers avec le gouvernement, j’ai l’honneur d’appeler votre attention sur un certain nombre de dossiers dont l’urgence et la gravité commandent une implication au plus haut niveau de l’État.

Je suis bien consciente du contexte exceptionnel et particulièrement complexe qui bouleverse l’ordre des priorités avec la poursuite de la guerre sur le sol européen en Ukraine, le désordre mondial engendré par les positions de l’administration américaine, et la trajectoire budgétaire de réduction du déficit public.

Mais ce contexte ne doit pas conduire à sous-estimer la situation de crise structurelle et conjoncturelle qui prévaut dans les territoires ultra-marins, ni faire oublier les retards en matière d’investissement dont ils souffrent toujours.

La première préoccupation des Réunionnais est celle de la santé, et notamment actuellement la propagation de l’épi- démie de chikungunya.

S’agissant des moyens humains de lutte anti-vectorielle, nous avons accueilli avec satisfaction la mobilisation récente de l’armée, suite aux demandes que nous avons exprimées.

Toutefois, ces moyens demeurent insuffisants. C’est pourquoi nous réitérons notre demande de maintien du volume de contrats aidés (PEC), particulièrement utiles dans la lutte contre cette catastrophe sanitaire, à leur niveau de l’an dernier.

Cette demande est d’autant plus légitime au regard de la situation sociale de La Réunion, caractérisée par un taux de chômage touchant 20% de la population active, et un tiers de la population vivant sous le seuil national de pauvreté.

La lutte contre le chikungunya met également à l’épreuve notre système hospitalier. Cette nouvelle épidémie rend encore plus urgente la nécessité de conforter l’offre de soins des établissements de santé et d’accorder au CHU les moyens, financiers et humains, qui lui sont indispensables pour remplir, dans les meilleures conditions et au regard de l’augmentation des besoins, ses missions de soins, de recherche et d’enseignement. Avec des moyens moindres en lits et en personnels hospitaliers, le CHU de La Réunion enregistre une des plus fortes dynamiques d’activité de France. C’est le signe tangible d’une réelle confiance de la population et d’une forte attractivité du CHU auprès des professionnels de santé. La nécessaire revalorisation du coefficient géographique et l’aide à la trésorerie sollicitée estimée à 25 millions d’euros, s’inscrivent dans ce contexte particulier. Le rôle du CHU auprès de Mayotte doit également être pris en compte.

Au nom de la solidarité nationale et après avoir été à la seule charge du CHU durant près de douze ans, les évacuations sanitaires en provenance de Mayotte (EVASAN) doivent être compensées par l’État.

Ces demandes sont donc parfaitement justifiées au regard non seulement des besoins sanitaires de la population, mais également du rôle du CHU, pôle de recherche et de rayonnement pour la France et l’Europe dans l’océan Indien.

Autre urgence, la réparation des dégâts, suite au passage du cyclone Garance, et la relance de notre économie : si les mécanismes ordinaires de solidarité ont été activés aussi bien par l’Etat, l’Europe, les collectivités locales et les assurances, un secteur crucial pour notre économie demeure à ce jour sans véritable réponse à la hauteur des enjeux : l’agriculture. Le cyclone a porté un coup terrible affectant l’ensemble des filières. Après Belal l’an dernier, la période de sécheresse dans l’année qui a suivi et le cyclone Garance, l’agriculture réunionnaise fait face à des impacts multiples et sans précé- dent. En l’absence de mise en œuvre de mesures urgentes, les filières ne se relèveront pas. Les prévisions pour la prochaine campagne sucrière font craindre le pire.

Alors que les dégâts dans l’agriculture sont estimés à plus de 160 millions d’euros, il y a urgence à déployer les aides en faveur des exploitations agricoles à la hauteur réelle des pertes constatées, et, pour l’avenir proche, à obtenir les arbitrages favorables pour une réévaluation du POSEI.

L’inquiétude touche l’ensemble des secteurs économiques qui ont également subi les conséquences du cyclone et sont aussi impactés par le chikungunya. Dans le contexte de réduction de la dépense publique sur le plan national, je crois nécessaire de vous rappeler l’importance de sauvegarder les dispositifs de soutien aux entreprises ultramarines, en particulier ceux inscrits dans la LODEOM et qui sont indispensables pour maintenir la compétitivité des entreprises, compte tenu des contraintes structurelles de l’étroitesse du marché et de l’insularité.

La question de la vie chère est également au centre des préoccupations de la population réunionnaise. Comme nous l’avons à plusieurs reprises exposé, la fiscalité, qu’il s’agisse de l’octroi de mer ou de la TVA, n’est pas la cause de la vie chère. C’est le modèle économique dont il est question. Comment prétendre avoir des prix alignés sur la France continentale si nos produits doivent parcourir 10.000 kilomètres ? C’est pourquoi nous plaidons pour une diversification des sources d’approvisionnement en privilégiant les circuits courts et notre environnement régional.

Le logement est aussi un marqueur de la crise économique et sociale. Alors que 40.000 ménages sont en attente d’un logement, le nombre de livraison annuelle de logements sociaux est à un niveau historiquement bas, atteignant péniblement 2.000 alors qu’il faudrait en construire chaque année au moins le double.

Construction et réhabilitation des logements doivent constituer un Grand Chantier qui exige une mobilisation de tous les acteurs concernés et des moyens à la hauteur des besoins. Des moyens exceptionnels en matière de construction et d’aménagement doivent être mobilisés sur tous les plans, réglementaires, financiers, humains.

L’État doit assumer ses responsabilités et s’engager, avec tous les partenaires, sur une programmation pluriannuelle de construction de logements, sous peine de voir le nombre de demandes non satisfaites continuer de croître chaque année, avec tous les problèmes de fragilité sociale, de mal- être, d’insécurité et de délinquance générés par cette situation indigne.

La résolution de ces urgences qui affectent la cohésion sociale et le dynamisme économique revêt un caractère prioritaire afin que La Réunion puisse se projeter dans l’avenir, et poursuivre son engagement dans les voies stratégiques et décisives de l’autonomie énergétique, de la souveraineté alimentaire et de l’insertion dans son environnement géo-économique.

Sur ce dernier point, je souhaiterai insister sur l’importance de notre désenclavement maritime, aérien et numérique.

Les acteurs économiques réunionnais portent avec la Région, le projet de création d’une compagnie maritime régionale dont la viabilité exige l’accompagnement de l’État et des grandes compagnies. Ce projet est l’un des outils pour réaliser les objectifs de diversification de nos sources d’approvisionnement et d’ouverture sur notre environnement régional.

Sur le plan aérien, la compagnie régionale Air Austral – seule compagnie réunionnaise sur les lignes Réunion-Paris et Mayotte-Paris dont la légitimité doit être réaffirmée - est l’outil indispensable pourdévelopper nos relations avec les pays de notre environnement de l’océan Indien. L’État ne doit pas économiser son soutien à Air Austral et doit l’aider aussi bien à conforter sa place sur la desserte de la France hexagonale qu’à se déployer encore davantage par l’ouverture de nouvelles dessertes vers l’Afrique, l’Asie, l’Inde, la Chine. Air Austral participe au rayonnement de la France et de l’Europe dans l’océan Indien et ouvre de nouveaux horizons de développement à notre économie.

Enfin, le désenclavement numérique de La Réunion implique le remplacement du câble sous marin SAFE dont la fin est annoncée pour 2027. L’accompagnement de l’État au projet porté par le consortium réunionnais avec le soutien de la Région revêt un enjeu stratégique majeur. Son intervention auprès du constructeur est décisive pour obtenir un tarif juste.

Le désenclavement maritime, aérien, numérique de notre île sera optimisé si nous relevons dans le même temps le défi de la mobilité interne, c’est-à-dire des déplacements sur notre territoire. Pour vaincre le « coma circulatoire », la Région Réunion porte le projet d’un transport ferroviaire, de Saint-Benoît à Saint-Joseph.

La France hexagonale a, pendant des années, été dotée de nombreux réseaux ferroviaires qui aujourd’hui maillent l’ensemble du territoire sans que les outre-mer puissent en bénéficier. A ce titre, il nous semble indispensable et juste que ce grand projet ferroviaire qui se déploiera sur plusieurs années à La Réunion, soit éligible aux financements de l’État, dont notamment celui prévu par la loi SERM et la prochaine conférence de financement.

Soyez convaincu, Monsieur le Président de la République, que le traitement urgent des dossiers prioritaires sur les- quels nous appelons votre attention s’inscrit dans le cadre d’une vision globale et cohérente du développement durable de La Réunion, fondée sur sa position de région ultrapériphérique de l’Union européenne dans l’océan Indien.

Je vous prie d’agréer, Monsieur le Président de la République, l’expression de ma très haute considération.

Huguette Bello, Présidente de la Région Réunion

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1 Commentaires
Zozumai@yahoo.fr
Zozumai@yahoo.fr
5 jours

Sur la photo on dirait qu’elle boude. Mr le président ne veut pas la voir ou quoi?