Une histoire coloniale qui n’en finit pas

Nouvelle-Calédonie : de la polarisation à la radicalisation

  • Publié le 6 juillet 2024 à 14:34
  • Actualisé le 6 juillet 2024 à 15:04

Une histoire coloniale qui n’en finit pas, une société clivée, une jeunesse kanak urbanisée et déterminée: c’est dans ce contexte qu’a éclaté mi-mai en Nouvelle-Calédonie un "séisme" dont l’archipel aura "bien du mal à se remettre", expliquent à l’AFP deux anthropologues.

. Une double colonisation

"Du point de vue historique, la Nouvelle-Calédonie présente une caractéristique assez rare, c’est d’avoir été colonisée deux fois et deux fois d’être partie dans des programmes de décolonisation qui n’ont pas abouti", explique Patrice Godin, anthropologue et maître de conférences à l’université de Nouméa.

La première colonisation est celle de 1853, quand les Français ont débarqué sur ce territoire du Pacifique sud découvert quelque quatre-vingts ans plus tôt par le Britannique James Cook.

Elle court jusqu’en 1945 avec "un degré de spoliation massif" et "un génocide rampant", enchaîne Pierre-Yves Lemeur, anthropologue à l’Institut de recherche pour le développement (IRD).

S’ensuit un processus "de première décolonisation et un embryon de communauté de destin", avec "un contrat social en train de se construire", rapporte Patrice Godin.

Au début des années 60, le général de Gaulle relance en effet « une colonisation de peuplement pour des problèmes de prestige national, de volonté pour la France de redevenir une grande puissance à l’échelle planétaire » et alors que les Kanak sont de nouveau majoritaires dans l’archipel.

"Il y a d’une part une trajectoire longue qui est une trajectoire de colonisation ultra-brutale, de peuplement, de négation du peuple kanak, de génocide rampant jusqu’aux années 1920-1930", souligne M. Lemeur.

"Et il y a une période de recolonisation des années 60-70, avec une minorisation des Kanak qui a entraîné cette polarisation et largement nourri la revendication indépendantiste. Ça a créé un climat extrêmement clivé", développe-t-il.

. Boom du nickel

Riche de ses mines de nickel, l’archipel prend des allures d’eldorado avec une migration organisée par l’Etat français. "C’est le moment de basculement de l’histoire contemporaine de la Calédonie. Et depuis, on paye ça", avance Pierre-Yves Lemeur.

La reprise en main coloniale a "nourri la naissance d’une velléité indépendantiste", appuie-t-il, qui a mené à une polarisation du champ politique et à la création du Front de libération nationale kanak socialiste (FLNKS) en 1984.

"Les gens, ici, étaient plutôt des autonomistes, et il va y avoir une montée en puissance du mouvement indépendantiste d’autant plus forte que, face à la colonisation de peuplement, on a cherché à noyer les Kanak démographiquement", abonde Patrice Godin.

. Le piège

"A partir du moment où l’on submerge démographiquement la population autochtone, le vote devient un moyen de continuer la colonisation au lieu de régler le problème. Et donc, définitivement, le problème du corps électoral va s’enkyster dans l’histoire calédonienne (...) encore aujourd’hui, on n’en est pas sorti", poursuit Patrice Godin.

Dans les années 80, le mouvement indépendantiste prend de l’ampleur. Son soulèvement, violent, est sévèrement réprimé. En 1998, l’accord de Nouméa instaure un processus de décolonisation qui prévoit trois référendums d’autodétermination (2018, 2019, 2021).

Pour Pierre-Yves Lemeur, "c’est un peu le piège du référendum qui ne pouvait que polariser".

Avant, il y avait « un espèce d’état d’apesanteur. Il y avait tout ce discours de destin commun, il y avait aussi la rente nickel qui marchait à plein, donc il y avait de la richesse, de l’emploi. Et les gens avaient un peu oublié qu’à un moment donné, il y aurait le référendum qui risquait de repolariser ».

. Une jeunesse en crise

Sur les quelque 270.000 habitants que compte le territoire, environ 40% sont des Kanak qui vivent en majorité, pour des raisons économiques, à Nouméa.

"Aujourd’hui, une partie importante du monde kanak s’est urbanisée (...) Ils vivent dans les quartiers nord, il y a des problèmes sociaux. Tout ça va créer un problème urbain qui est très fort et qui n’a été vu par personne", relève M. Godin.

Pour l’universitaire, les jeunes sont en quête d’un nouveau modèle. "C’est clair que quelque chose d’assez fort est en train de se rompre là", juge-t-il.

Et de souligner la "perte de crédibilité et de confiance" de ces jeunes pour les hommes politiques.

. Le danger de la radicalisation

Pour M. Lemeur, les récents événements sont "un coup d’arrêt" dans une "Calédonie qui avait quand même avancé". "Ça risque d’entraîner cette radicalisation qu’on voit, côté loyaliste comme côté kanak".

M. Godin estime que le territoire "va devoir se prendre en main".

"On sait que la France n’aidera pas à reconstruire la totalité des choses. Or, le pays est sinistré. Les comptes sociaux ne sont même plus dans le rouge, on est dans le cramoisi. C’est une vraie catastrophe. Il faut effectivement se relever de ça".

AFP

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2 Commentaires
Babouk loswoir
Babouk loswoir
2 semaines

Depuis le milieu du XIXe siècle, la France, dans le cadre de son expansion coloniale, est partie jusque dans le Pacifique Sud! C'est loin de Paris, cet archipel plus grand que l'IDF (les Franciliens), 1,5 fois avec plus de 18 000 km2, soit le 156ème pays au monde par la superficie, de surcroît, avec la Polynésie "française", la France occupe la seconde place dans ce qu'on appelle aujourd'hui les puissances maritimes mondiales...(numéro un USA).
La France a créé un "vilain" bagne en Nouvelle-Calédonie... beaucoup de descendants (Caldoches) ont un ascendant qui a connu ce bagne.
Pendant la Seconde guerre mondiale, les Américains ont occupé militairement cette terre... (pour contrer l'avancée nippone)
Les Mélanésiens sont traités comme la faune dans leur propre pays, depuis plus de 175 ans: ils vivent péniblement dans des quasi réserves : comme les Navajos, aux USA...
Les Kanak ont été roulé par François Mitterand... durant 14 ans. Jacques Chirac, Pm à partir de mars 1986, avec Pons, Pasqua et la droite dure ont écrasé les militants indépendantistes, et surtout encouragé implicitement les Broussards à tuer : "la chasse aux Kanak était ouverte et autorisée". Jean-Marie Tjibaou a perdu deux frères : assassinés par les extrémistes caldoches, comme Machoro, Pierre Declerq (UC).
Yweiné Yweiné, ex Foulards Rouge, et le leader indépendantiste kanka, JM Tjibaou, seront assassinés le 4 mai 1989, à Ouvéa, soit un an après la tuerie de l'armée française avec des lances-flamme. Alphonse Dianou aura été une victime sur son brancard: arrachement de sa perfusion par un militaire plus que zélé!!! 19 Kanak seront massacrés : plus de 100 hommes lourdement armés seront déployé, la population villageoise torturée... maisons brûlées, etc. .
Aujourd'hui, la plupart des médias parle d'émeutes, or, c'est une vraie guerre, une vraie lutte pour obtenir un jour son indépendance. La France reproduit ce qu'elle a fait en Algérie, à Madagascar, en Indochine !!!!! (17ème parallèle). Quant à l'Afrique, les séquelles perdurent au 3ème millénaire.
La France a laissé pourrit la situation dans le Pacifique Sud, pendant ces 45 ans dernières années. Et, elle dit partout qu'elle est le pays des droits de l'homme et du citoyen !!!!
De qui se moque-t-elle?????
Edgar Pissani aura été laché par tout le monde : à Paris.
La Nouvelle-Calédonie est le dernier pays sous le joug du colonisateur. Djibouti a obtenu son indépendance en dernier... dans la période de décolonisation. Ahmed Abdallah, ancien sénateur français a déclaré unilatéralement l'indépendance des Comores le 1er juillet 1975. En 1989, il sera assassiné : son garde du corps ne le sera pas...
La France a changé les règles d'analyse du scrutin du référendum pour seulement Mayotte... cette terre est un cas également.
Marius Kaloïe n'a jamais revu son pays : La Kanaky.

Non au RN
Non au RN
2 semaines

Il faut la paix