Cela faisait presque six mois qu'il n'avait pas mis les pieds dans sa ville. Maire d'une petite municipalité du nord-est de la Colombie, menacé de mort par les dissidents des FARC, Nelson Leal a pu récemment revenir sur ses terres.
Ce retour s'est fait début octobre à la faveur des négociations de paix qui ont débuté entre le groupe armé et le gouvernement.
M. Leal était maire de Tibu depuis un an et demi quand, le 10 mars dernier, des membres de la dissidence, qui rejette l'accord de paix signé en 2016 avec la guérilla marxiste, ont arrêté son véhicule sur une route, raconte-t-il à l'AFP.
Les combattants l'ont pris à partie devant sa femme, son fils de 13 ans et sa nièce, avant de voler sa voiture. L'édile prend alors conscience du danger qui pèse sur lui et sa famille. Un autre de ses fils adolescent avait déjà été mis en joue par des individus à moto en guise d'avertissement.
Depuis lors, il travaille à distance, depuis Cucuta, à une centaine de km de là pour administrer sa ville de quelque 60.000 habitants.
- Royaume de la coca -
Entouré de gardes du corps, il est revenu dans sa ville pour le premier round de négociations entre le groupe armé connu sous le nom d'Etat-major central (EMC) et les délégués du gouvernement de gauche du président Gustavo Petro.
Ces discussions, qui ont débuté lundi, se déroulent dans un bastion de la dissidence, où l'Etat est très peu présent et d'autres groupes armés sont également actifs.
Tibu abrite plus de 22.000 hectares de cultures de feuilles de coca, composant de base de la cocaïne, ce qui en fait la ville avec la plus grande surface de cette culture au monde, selon l'ONU.
La guérilla guévariste de l'ELN (Armée nationale de libération), le Clan del golfo, plus puissante organisation criminelle du pays, et même le cartel mexicain de Sinaloa sont présents sur le territoire, assure M. Leal.
"Tibu est devenu un no man's land où celui qui a les armes est celui qui gouverne", constate-t-il.
Les négociations ont commencé par une image paradoxale devant les médias du monde entier: le commandant Andrey Avendaño, négociateur en chef de l'EMC, a été applaudi, tandis que M. Leal et les délégués du gouvernement ont été conspués, signe du soutien populaire dont bénéficient les dissidents dans la zone.
Les points essentiels de ces négociations, qui ont débuté parallèlement à un cessez-le-feu de trois mois, ne sont toujours pas clairs. Il est seulement acquis que la table des négociations ne sera pas installée en dehors du pays.
Pour l'accord de 2016 avec les FARC, le document qui a scellé leur désarmement un an plus tard avait été rédigé à La Havane.
- "Obéir pour vivre" -
La dernière fois que des guérillas et un gouvernement ont négocié en Colombie, ce fut sous l'administration du conservateur Andrés Pastrana (1998-2002), qui avait démilitarisé quelque 42.000 km2 dans le département de Caqueta (sud). Une concession qui lui fut amèrement reprochée, car ayant surtout servi aux FARC pour se renforcer.
Selon le bureau du procureur, 13 régions de Colombie, dont celle de Tibu, sont sous le contrôle de groupes armés qui imposent leurs "règles". "Quiconque s'en écarte est soit banni, soit tué".
"Vivre dans cette ville est une chose complexe (...) il faut écouter, obéir pour vivre", témoigne Benigno Neira, un paysan de 51 ans.
Kevin Karlen, coordinateur du Comité international de la Croix-Rouge (CICR) à Cucuta, reconnaît qu'il s'agit d'une des régions du pays "les plus touchées par le conflit armé".
Le poste de police a des airs de forteresse retranchée. En mai, deux policiers ont été tués dans un attentat à l'explosif.
Depuis, leurs collègues ne sortent qu'en véhicule blindé, confie anonymement à l'AFP un policier.
A Tibu, il n'y a ni police de la route, ni bureau du médiateur, ni tribunaux, ni parquet. Le chef du parquet local a été assassiné en 2021 alors qu'il traitait plus de 400 affaires, dont certaines concernaient le trafic de drogue et la dissidence. Les autres procureurs ont depuis fui à Cucuta.
AFP