Dans le cadre d'une collaboration entre l’Institut national du cancer, Santé publique France, le réseau Francim des registres des cancers et les Hospices Civils de Lyon, des estimations de survie des personnes atteintes de cancer à La Réunion pour la période 2008 – 2018 ont été rendues publiques pour la première fois ce jeudi 29 février 2024. Nous publions ci-dessous leur communiqué (photo rb/www.imazpress.com)
Pour les 10 localisations étudiées, la survie nette standardisée (SNS) des cancers à La Réunion est globalement inférieure à celle observée en France hexagonale, mais les différences observées varient de manière significative en fonction de la localisation tumorale.
À La Réunion, les densités d’équipements médicaux et de médecins spécialistes sont inférieures à celles de l’hexagone. Les prises en charge nécessitant un transfert en France hexagonale, ce qui n’est pas toujours réalisable et/ou acceptable pour les patients, sont peu fréquentes en dehors de certaines situations pédiatriques.
Comme aux Antilles ou en Guyane, l’incidence des cancers à La Réunion est globalement inférieure à celle décrite en France hexagonale. Pour la période 2014-2016, les taux d’incidence standardisés sur la population mondiale étaient de 267,9 et de 187,7/100 000 personnes-années chez les hommes et chez les femmes respectivement, alors qu’ils étaient de 344,3 et de 268,1/100 000 personnes-années en France hexagonale en 2015.
Cependant, certaines localisations sont surreprésentées par rapport à ce qui est observé en France hexagonale. En effet, les taux d’incidence standardisés sur l’âge des cancers de l’estomac chez les hommes et les femmes, de l’œsophage chez les hommes et du col de l’utérus chez les femmes sont significativement supérieurs à ceux de la France hexagonale.
• Une disparité de survie entre les 10 localisations étudiées
Pour cette première édition des données de survie des personnes âgées de 15 ans et plus, atteintes de cancers à La Réunion, l’analyse a porté sur 10 localisations cancéreuses parmi les plus fréquentes et d’intérêt régional. Elle concerne les personnes atteintes d’un cancer diagnostiqué en 2008 ou entre 2011 et 2015 et suivis jusqu’au 30 juin 2018. Les années 2009 et 2010 ont été exclues, les données n’étant pas validées au moment de l’analyse.
Les localisations de cancers étudiées sont : l’ensemble "lèvre-bouche-pharynx", l’œsophage, l’estomac, l’ensemble "côlon, rectum et anus", le poumon, la prostate, le sein, le corps et le col de l’utérus et les "myélomes multiples et plasmocytomes". Pour certaines localisations, du fait des effectifs trop faibles, les estimations de survie sont parfois présentées hommes et femmes ensemble ou pour l’un des deux sexes seulement.
Les différences de SNS à cinq ans, entre La Réunion et la moyenne de l’Hexagone sont importantes pour les cancers de l’ensemble "lèvre-bouche-pharynx" (respectivement de 37 % et 45 %), de l’ensemble "côlon, rectum et anus" (57 % contre 63 %), les cancers du sein (81 % vs 88 %), du corps de l’utérus (67 % contre 74 %), de la prostate (85 % contre 93 %) et pour l’ensemble "myélomes multiples et plasmocytomes" (52 % contre 60 %).
Les différences de survie avec la moyenne de la France hexagonale sont moins marquées pour les cancers de l’œsophage (13 % contre17%), de l’estomac (25 % contre 30 %) et du poumon (17 % contre 20 %).
Le cancer du col de l’utérus est le seul pour lequel la SNS à cinq ans est proche de la moyenne hexagonale estimée (62 % à La Réunion contre 63 %).
Comme en France hexagonale, la survie diminue lorsque l’âge au diagnostic augmente pour la totalité des localisations étudiées. Par exemple, pour le cancer du col de l’utérus, une femme diagnostiquée à l’âge de 50 ans présente une survie nette à cinq ans de 72 %.
Celle-ci baisse à 36 % pour une femme diagnostiquée à 80 ans. Pour les cancers de l’ensemble lèvre-bouche-pharynx, la survie nette à cinq ans passe de 52 % à 50 ans à 29 % à 80 ans.
• Comment s'expliquent les différences
Certaines caractéristiques, propres au territoire et à ses habitants, peuvent en partie éclairer ces résultats et les différences observées avec la moyenne hexagonale5 sans pour autant les expliquer totalement.
Une participation moins importante aux dépistages organisés des cancers, un accès aux soins plus difficile, une prévalence plus élevée de certaines maladies chroniques ou encore une situation socio-économique défavorisée sont autant de facteurs pouvant impacter négativement la santé des populations.
• Dépistages et diagnostics
Lorsque l’on s’intéresse plus spécifiquement aux localisations dont les SNS sont inférieures à celles de la moyenne de la France hexagonale, plusieurs hypothèses peuvent être proposées pour expliquer ces différences.
Pour les cancers de l’ensemble "lèvre-bouche-pharynx", la SNS à cinq ans à La Réunion (37 %) est inférieure de 8 points, pour les 2 sexes, comparée à la moyenne observée dans l’Hexagone (45 %).
Cet écart peut être lié à une distribution différente entre les sous-localisations de l’ensemble lèvre-bouche-pharynx, le pronostic variant en fonction de la localisation.
Il peut aussi être lié à la part des cancers attribuables à l’infection au virus HPV, ceux de l’oropharynx liés aux HPV étant de meilleur pronostic que ceux attribuables à l’alcool ou au tabac.
Par ailleurs, et ainsi qu’observé en France hexagonale, les taux de mortalité en excès sont maximums au moment du diagnostic et augmentent avec l’âge. Cela peut s’expliquer par des diagnostics à un stade avancé, la lourdeur de certains traitements ainsi que le poids des comorbidités.
Pour le cancer du sein, la SNS à cinq ans est inférieure de sept points comparée à la moyenne hexagonale. Les survies nettes à cinq ans par âge présentent en revanche les mêmes différences que dans l’Hexagone. Elles sont significativement plus faibles pour les femmes diagnostiquées à 40 ans (84 %) et à 80 ans (71 %) que pour celles diagnostiquées à 50 et 60 ans qui ont respectivement une survie nette de 89 % et 90 %.
Les différences observées par rapport à l’Hexagone sont probablement imputables en partie à des diagnostics plus tardifs et aux comorbidités associées chez les femmes les plus âgées.
Pour le cancer de la prostate, la survie nette baisse significativement pour les âges les plus élevés au diagnostic (plus de 75 ans). Cela peut s’expliquer par des diagnostics plus tardifs et/ou la présence de comorbidités liées à l’âge ne permettant pas une prise en soins optimale.
La pratique du dépistage par dosage du PSA (non recommandée en routine), plus répandue dans l’Hexagone qu’à La Réunion, peut expliquer en partie la différence observée. Si ce dépistage permet un diagnostic plus précoce, il est en effet à l’origine de surdiagnostics qui concernent des cancers de bon pronostic.
Pour les cancers du côlon, du rectum et de l’anus, qui concernent les femmes et les hommes, la différence de SNS à 5 ans avec la moyenne hexagonale peut s’expliquer en grande partie par un excès de mortalité dans les premières années suivant le diagnostic notamment chez les patients les plus âgés et chez les hommes.
Cela peut s’expliquer par des diagnostics plus tardifs et/ou des comorbidités associées plus importantes.
Pour les cancers du corps de l’utérus, la différence de SNS à cinq ans avec la moyenne hexagonale est de - sept points (67% vs 74%). Cette différence de survie avec la France hexagonale concerne les femmes diagnostiquées aux âges les plus élevés.
L’agressivité plus marquée de ce cancer, le stade plus avancé au diagnostic lié au moindre suivi gynécologique des femmes plus âgées, la présence de comorbidités et les difficultés de prise en charge liées à l’âge sont autant de facteurs pronostiques qui peuvent expliquer la surmortalité importante et précoce du cancer du corps de l’utérus chez les femmes les plus âgées à La Réunion.
Enfin, une différence de huit points de la SNS à cinq ans est également observée pour l’ensemble "myélomes multiples et plasmocytomes" entre La Réunion (52 %) et la moyenne de l’Hexagone (60 %).
À noter que, quel que soit le territoire, la survie à cinq ans baisse significativement en fonction de l’âge au diagnostic. Ainsi, elle est pratiquement le double chez les personnes diagnostiquées à 50 ans par rapport à celles diagnostiquées à 80 ans, ces dernières ne pouvant bénéficier des traitements les plus lourds.
Pour les cancers de l’œsophage, de l’estomac et du poumon, les SNS observées à La Réunion sont plus proches de la moyenne observée dans l’Hexagone. Les SN à 5 ans sont d’autant plus basses que l’âge au diagnostic est élevé, ce qui peut résulter de diagnostics à un stade plus avancé, des comorbidités (notamment liées aux consommations de tabac et d’alcool pour les cancers de l’œsophage et du poumon), et des difficultés de prises en charge liées à la lourdeur des traitements.
• Bonne densité
La Réunion bénéficie globalement d’une bonne densité de praticiens de premiers recours et la densité des médecins spécialistes, toutes spécialités d’organes confondues, est proche de la moyenne de l’Hexagone. Il existe cependant un sous-effectif plus marqué pour les spécialités intervenant en cancérologie.
Couplée à un taux d’équipement en IRM et scan inférieur à la moyenne nationale pour la période prise en compte dans l’étude, cette sous-représentation peut impacter les délais de prises en soins des patients atteints de cancer à La Réunion.
• Une forte prévalence de certaines maladies chroniques
La prévalence de certaines maladies chroniques (maladies cardio-respiratoires chroniques, insuffisance rénale chronique, diabète, obésité…) majore les risques de comorbidités susceptibles de réduire la survie des personnes atteintes d’un cancer.
Par exemple, en 2021, 13,6 % de la population adulte se déclare atteint d’un diabète, soit le double de celle estimée dans l’Hexagone
• Sous le seuil de pauvreté
Selon l’Insee , en 2020, 36 % des Réunionnais vivent sous le seuil de pauvreté, soit 2,5 fois plus que dans l’Hexagone. Un ménage jeune sur deux et une famille monoparentale sur deux sont pauvres à La Réunion. Le taux de chômage y atteint 21 % vs 8,4 % dans l’Hexagone en 2019.
Or, il a été observé que la survie des personnes atteintes de cancer tend à être plus basse chez celles qui vivent dans les environnements les plus défavorisés. De nombreux facteurs peuvent l’expliquer, telles que les difficultés d’accès au système de soins (dépistages, diagnostics précoces, délais et accès à certaines modalités de traitements), ou les caractéristiques des patients (comorbidités, comportements à risques, facteurs psychosociaux).