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Coraux à La Réunion : agir avant qu’ils ne disparaissent 

  • Publié le 13 février 2023 à 06:07
  • Actualisé le 13 février 2023 à 11:45

Plus les années passent, plus le nombre de coraux vivants diminue dans les eaux réunionnaises. On estime, selon les données scientifiques, qu’actuellement entre 20 et 30 % des coraux sont vivants, alors qu'ils étaient 40 % il y a plus de 20 ans. Grâce à différentes campagnes d'éducation et de préservation des coraux, une conscientisation croissante de la population peut être notée. Il faut donc continuer d’agir et les protéger sinon, il ne pourrait bien ne plus en avoir d'ici 2100. (Photo lagon de l'ouest photo RB imazpress)

Avec leur jolie branche et leur plaque, leur diversité de couleur, les coraux font parti intégrante du paysage marin de La Réunion et font la fierté de l'île.

Pour rappel, les coraux sont de petits animaux, en forme de mininaémone de mer qui peuvent constituer des colonies. "Ces polypes fabriquent un squelette commun qui pour certaines espèces deviennent les bases fondatrices d’un récif corallien", définit sur son site l’institut océanographique. En somme, les récifs coralliens sont constitués d’une multitude d’espèces de coraux qui ensemble forme un écosystème, c’est-à-dire un milieu naturel très spécifique constitué de différents végétaux et animaux.

La Fondation de la mer alerte sur son site que 50% des récifs coralliens ont déjà disparu dans le monde, et « un quart des espèces marines en dépendent ».

La Réunion n’est pas épargnée par cette situation. Jean-Pascal Quod, directeur de l’association Reef Check France, estime qu’il faut « quand même relativiser les choses ». « La dégradation des récifs date des années 1980. C’est lié aux activités humaines et au réchauffement climatique. On sait qu’en l’état, c’est tous les pays du monde qui connaissent le problème. Si rien n’est fait d’ici 2100, ils peuvent disparaître ».

Chez nous, 49 stations de surveillances ont été installées et répartis dans l’ouest et le sud de l’île depuis leur création il y a une vingtaine d'années. 35 ont été installées par l’association Reef Check et 14 autres sont gérées par la Réserve Marine naturelle de La Réunion.  Ce type de dispositif permet d’évaluer la santé du récif et l’impact des évènements, changement ou aménagement sur la vitalité des récifs sentinelles, précise l’association Reef Check, qui observe de manière régulière l'évolution de l'état de santé de récifs sentinelles.

 « Cela permet d’avoir une représentation complète de la situation », poursuit son directeur, Jean-Pascal Quod.  

A La Réunion, on recense 190 espèces différentes de coraux, affirme Bruce Cauvin, responsable du pôle Animation, éducation, formation et géomatique à La Réserve naturelle Marine. « Il y a par exemple des tabulaires, avec leurs grandes plaques sous la mer. Ces coraux là sont très importants ; ce sont des nurseries à poissons. »

A titre de comparaison, il soutient que nous avons autant de coraux qu’à l’île Maurice. « En terme de biodiversité, c’est vraiment très important les coraux. On a cette biodiversité avec presque 1.000 espèces différentes de poissons à La Réunion qui fréquentent les récifs. »

- 20 à 30 % de corail vivant -

D’après les chiffres communiqués par l’association Reef check, en terme de vitalité, on a à La Réunion entre 20 et 30 % de corail (dur) vivant. Selon les estimations du directeur de Reef Check, « un récif en bon état est de 40%. »  Ces chiffres peuvent s’expliquer par la « pression en générale (naturelle, humaine, agricole). » Les récifs sont principalement situés sur l’ouest et le sud.  

« Le corail c’est un peu comme une ville. Plus il va y avoir de la houle, plus on aura un corail stressé et sujet à des maladies. Le corail est stressé toute l’année. La résistance n’est pas la même pour un récif en bon état ; il va pouvoir bien récupérer et se reproduire », poursuit-il.

Au niveau des données, à Saint-Leu, en 2009, on estimait à 66 % de corail vivant contre 23 % en 2021, selon les chiffres de Reef Check France. Bruce Cauvin de la Réserve Marine ajoute de son côté que cette situation peut s’expliquer par les coulées de boues qui ont eu lieu en 2018 après le passage des cyclones comme Fakir ou encore Berguitta. Ce genre de phénomène peut détruire le récif en quelques semaines, explique-t-il. « Les coraux ont besoins de lumière pour se développer, et vivre. »

Suite à un constat dressé par la réserve, après les coulées de boue, il y a eu un envasement et le taux de recouvrement de récif à chuter à presque 0 % affirme Bruce Cauvin. "C’est une situation catastrophique et depuis on n’a pas eu de retour à un recouvrement corallien normal. On n’a même pas eu 1 ou 2 %... ", déplore-t-il.

Cette problématique de l’érosion des sols a été aggravé lorsqu’il y a eu de fortes pluies. « Il est important de pouvoir identifier les points et comprendre pourquoi on en arrive à là quand il pleut dans le secteur ».

Ainsi, la DEAL (direction de l’environnement, de l’aménagement et du logement), le TCO, la commune de Saint-Leu ont été alertés. Cela a ensuite permis d’avoir une enquête avec le BRGN (Bureau de recherches géologiques et minières) et de savoir où se trouve la problématique. Il y a des problèmes d’agriculture et des problèmes d’urbanisation », rapporte Bruce Cauvin. « La situation à Saint-leu n’est pas très bonne… », résume-t-il. 

Voici en image un constat avant/après, de la coulée de boue, survenue à Saint-Leu et ses conséquences constatées par la Réserve Marine (Photo : Bruce Cauvin / Réserve Marine naturelle de La Réunion) :

D’après les données relevées par la Réserve Marine, à la station de l’Hermitage « on constate une baisse du recouvrement corallien depuis 2015. On est à un taux de recouvrement du récif de 20 %, or au début des suivis il y a 25 ans, ce chiffre était de 40 %. Mais cette situation n’est pas seulement due aux activités humaines. C’est également liée à de grandes marrées basses notamment celles qui se sont produites en juillet-août en 2015. Cela a mis à nu les coraux durant plusieurs semaines », détaille Bruce Cauvin.

Toujours d’après les données de la réserve, à l’extérieur du lagon, « sur la pente externe on a une évolution aussi négative au niveau des coraux », explique-t-il. « Les coraux branchus, tabulaires ont chuté pendant des années. Donc on a un remplacement de coraux branchu par des coraux massifs, des coraux qui vont moins jouer leur rôle d’habitat pour les poissons », et donc en somme « une baisse du recouvrement corallien ».  

« Sur la pente externe on a eu un phénomène de très forte houle en baie de Saint-Paul en mai 2007, qui avait impacté la zone et le taux de recouvrement a baissé à l’époque. »

Il tient également à préciser que « c’est très difficile de relier ce genre de situation à des facteurs précis, mais d’une manière générale, la dégradation du récif corallien est multifactorielle".

Autre donnée, autre point : à l’Etang-Salé, la station dans le bassin pirogue, affiche un taux de recouvrement de 20 % en 2015 contre 40 en 1998. D’après Bruce Cauvin, cette situation est due à « la grande marée basse, aux températures très chaude en 2015. C’était alors l’hiver le plus chaud depuis 50 ans. Cela montre ainsi qu’il y a eu un ensoleillement important pendant cette période. »

Les bateaux, l’urbanisation, ont aussi créé des perturbations et peuvent être à l’origine de ces résultats.  

Pour ce qui est du sud de l’île, Bruce Cauvin avertit par ailleurs que même si on dit souvent que le lagon de Saint-Pierre est en bon état, il faut relever que l’on voit une baisse de recouvrement corallien dans la zone.

« C’est au niveau de la barrière de corail qu’on a des résultats relativement bons et stables ». « Les coraux, les récifs coralliens ils aiment bien quand il y a de l’hydrodynamisme, quand ça bouge, quand l’eau n’est pas stagnante. A Saint-Pierre le gros avantage c’est la houle malgré la pollution liée aux eaux usées et les coulées de boue. L’eau a pu se renouveler ; c’est pour cela qu’ils s’en sortent un peu mieux que les autres selon les hypothèses », souligne l'expert de la réserve.

- Les coraux et les poissons : tout est lié -

Tout est relié dans la mer. « Le corail et les poissons sont interreliés car il y a des interactions entre tous les êtres vivants. Le corail lui a besoin du soleil et de l’eau claire et salée et on a le poisson qui vient s’y abriter.

"Si on enlève un des éléments, c’est tout un écosystème qui s’effondre. Donc on considère qu’on a des relations entre les espèces qu’il y a dans le milieu et que quand on a une espèce ou un groupe d’espèce qui va disparaître, augmenter, diminuer, ça peut être signe d’un déséquilibre corallien », interpelle à son tour Tévamie Rungassamy, responsable scientifique du pôle patrimoine naturel à La Réserve Naturelle Marine de La Réunion.

Bruce Cauvin rapporte qu'il existe une quinzaine de menaces qui amènent à ce genre de constat. Parmi elles : les activités humaines, le réchauffement climatique ou encore le braconnage.

Pour ce qui est des activités humaines, il faut entendre « urbanisation ». Pour exemple, s’il y a un réseau d’assainissement, on va avoir des eaux usées. Elles vont aller dans le lagon et créer des déséquilibres écologiques .

Naturellement il va y avoir l’apparition des algues. De plus, l’homme lui, apporte des nutriment supplémentaires comme des nitrates, des phosphates, qui vont créer des perturbations, des proliférations d’algues qui poussent sur les coraux, qui les tuent, déplore Burce Cauvin.

« Cette situation est observée depuis une quarantaine d’année, et depuis 40 ans les récifs coralliens se dégradent, et cela est d’autant plus depuis l’urbanisation de la côte ouest dans les années 1980 ».  

Autre menace : le braconnage. Pour préserver les coraux, une équipe de garde assermentée à la réserve lutte contre ce fléau tous les jours, assure l’agent de la réserve.

« Il y a des personnes qui vont encore de nuit pêcher et piller les lagons. Les poissons sont importants pour le corail car il y a des poissons herbivores qui vont brouter et se nourrir des algues qui prolifèrent sur les coraux. Tuer ces poissons a un impact sur l’état de santé des coraux », affirme Bruce Cauvin. Il fait également remarquer que des personnes se mettent debout sur les coraux ; or cela les abîme.  

Concernant le réchauffement climatique, les coraux sont des espèces qui supportent mal l’élévation trop importante de la température de l’eau. « Cela entraine du blanchissement corallien. Ils vont perdre leur petite plaque de symbiotique. Et les coraux ne sont pas forcément morts ; mais c’est une grosse perturbation. Il faut le prendre en compte ».

- Tout le monde peut les préserver -

Bruce Cauvin tient à souligner que les récifs coralliens à La Réunion sont peu développés parce que c’est une île jeune et c’est « un peu la cuvette réceptrice de nos pollutions. Les récifs vont être impactés par ces pollutions. L’île n’a que 3,5 millions d’années ».

Tévamie Rungassamy ajoute que les récifs coralliens jouent un rôle très importants pour les populations humaines. « Déjà, c’est une barrière contre les vagues. Ce sont aussi les récifs qui fabriquent nos sables, nos plages de sable blanc. Tout cela constitue un espace culturellement ancré. Beaucoup d’activités peuvent être pratiquées grâce au récif, comme la plongée ».

Il y a également beaucoup de ressources alimentaires que peuvent ramener cet espace. « Si le corail venait à disparaître ou à se dégrader, on a beaucoup d’espèces qui disparaitraient par la même occasion. On ne peut pas dire le nombre exacte. »

Si agir sur le réchauffement climatique reste difficile, il reste malgré tout possible de pouvoir agir à l’échelle locale.  

Pour sauver les coraux tout le monde peut agir et les associations, organisation assurent régulièrement des campagnes de prévention. Comme la réserve marine qui a mis en place des missions d’éducation ; cela permet de diffuser des informations de prévention et ainsi de limiter l’impact des activités humaines sur le milieu récifal.

« On voit au fil des années une évolution des mentalités, des comportements. Oui, il y a toujours beaucoup de braconnage mais c’est très important de continuer à se mobiliser dans nos gestes. Quand on va dans le lagon on va pas marcher sur les coraux. On ne va non plus y jeter les déchets. », rapporte Bruce Cauvin.

Il note par ailleurs que plus en plus de marmailles mais aussi de personnes plus largement sont sensibles à ce sujet et font attention. « Il faut une conscientisation de la classe politique avec les aménagements, pour la pérennisation et l’état de santé des récifs ».

Malgré tout, « les récifs coralliens sont toujours menacés par les pollutions. « Faut pas lâcher l’affaire. En limitant notre impact, on peut leur permettre de survivre.  »

Jean-Pascal Quod de l’association Reef Check France, ajoute qu’il existent quelques éco-gestes simples à adopter comme : économiser l’eau, participer au nettoyage des plages et des fonds marins, ne pas toucher le corail ou lui marcher dessus, ne pas ramasser les coraux et les coquillages ; privilégier les crème solaires bio et minérales ; bien choisir le poisson qu’on mange donc issu de la pêche durable ; réduire ses déchets ; ne pas jeter son ancre sur les coraux si on a un bateau ; en parler partout et souvent autour de soi.

« C’est un travail de tous les jours pour l’éducation à l’environnement » souligne le directeur de l’association. « Le bouturage du corail est aussi une méthode qui peut aussi leur permettre de les préserver. Il y a des expérimentation en cours ».

- La Réunion épargnée par la maladie de la bande jaune -

Par ailleurs, les coraux peuvent aussi être la cible de maladies dans le monde. A l’instar de la la maladie des "bandes jaune". Elle a été constatée au large de l'île de Samae San, au sud-est de Bangkok en Thaïlande.

Lire aussi : Thaïlande: des scientifiques démunis face à une nouvelle maladie tuant le corail

De grandes taches jaunes recouvrent les pans du récif corallien. La propagation de cette bactérie tueuse inquiète les scientifiques et aucun traitement n’est connu pour s'en débarrasser. Elle a été observée pour la première fois en Floride dans les années 1990.

Pour l'heure la maladie n'a pas touchée La Réunion.

Selon Tévamie Rungassamy, « on sait que les maladies coralliennes peuvent être amplifiée par des phénomènes d’origine "anthropiques" (ndlr un évènement provoqué directement ou non par l'action humaine").

C’est comme tout organisme, ou groupe d’organisme ; il faut rester en vigilance. Lorsqu''une une maladie arrive sur une espèce il faut déterminer, si elle est capable de se défendre ou de survivre ou même de devenir encore plus résistante à ce type de maladie. "Si on a beaucoup d’espèces très diversifiées, on a beaucoup plus de chance d’avoir des individus résistants à une nouvelle maladie. C'est pourquoi il est important de préserver la diversité des milieux et des espèces » note Tévamie Rungassamy.

« Là on est très vigilant pour voir si cette maladie vue en Asie du sud est peut arriver chez nous. On a la maladie de la bande rose, de temps en temps sur les façades des coraux. Mais on reste vigilant ; c’est encore trop tôt comme on est en plein suivi en ce moment », termine Bruce Cauvin.

Lire aussi : L’acanthaster, une étoile de mer qui ne présente pas (encore) de menace à La Réunion

ef/www.imazpress.com / redac@ipreunion.com

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