Vous pensez mettre de simples photos de vos enfants sur les réseaux… mais ce geste peut avoir des conséquences dramatiques. Sorties en famille, vie de tous les jours... Les parents aiment immortaliser ces moments et multiplient les prises d'images. Très souvent ils affichent ensuite ces photos de leurs enfants sur les réseaux sociaux. Derrière cet acte apparemment anodin, se cache parfois le grand danger du détournement d'images pour une exploitation malveillante (Photo : sly/www.imazpress.com)
C'est d'ailleurs sur ce danger que l'agence européenne de communication, la Deutsche Telekom, a dévoilé une vidéo de sensibilisation. Elle rappelle et explique aux parents le danger de publier des photos de leurs enfants sur internet.
Pendant près de trois minutes, cette campagne relate l'histoire d'Ella et de ses parents qui partagent quotidiennement des clichés de leur fille. Un soir, alors qu'ils sont au cinéma, ils découvrent une version plus âgée de leur fille à l'écran, créée grâce à une intelligence artificielle.
Vol d'identité, utilisation de photos à des fins pédopornographiques… Ella leur dévoile les répercussions néfastes que peuvent avoir les publications de ses parents.
D'ailleurs, selon une étude publiée sur le site du Telegraph, on apprend qu'un enfant de cinq ans en moyenne aurait déjà 1.500 publications à son effigie sur les réseaux sociaux.
- Le "sharenting" ou la fâcheuse manie d'exposer ses enfants sur les réseaux -
Cette tendance à publier sur les réseaux sociaux des images de ses enfants a un nom : le sharenting, contraction de deux mots anglais sharing (partager) et parenting (parentalité).
Pour Bruno Studer, député Renaissance du Bas-Rhin, ce phénomène constitue surtout un des principaux risques d’atteinte à la vie privée des mineurs.
Mais pourquoi les parents s'entêtent-ils à exposer leurs enfants ? Pour David Goulois, psychologue à Saint-Pierre, cela se résume en une phrase de Freud : "à travers le narcissisme de l'enfant renaît celui des parents".
"L'enfant c'est notre maison témoin, c'est lui qui expose au public la compétence éducative des parents et qui les représente socialement. Certains exposent leurs enfants comme des vitrines, leur fierté, mais à travers cela c'est leur propre fierté qu'ils projettent", dit le spécialiste.
"C'est comme quelqu'un qui exposerait ses créations, là on expose ses créatures. C'est comme une forme de concurrence entre parents pour prouver qu'on a réussi l'éducation et réussi socialement."
Et cela peut avoir des conséquences que de nombreux parents ne mesurent pas encore. "Les gens ont tendance à agir immédiatement sans réfléchir aux conséquences derrière, des conséquences tant psychiques que des effets qu'aucun parent n'aimerait voir arriver à son enfant."
- Des photos qui peuvent tomber entre de mauvaises mains -
Papier d'identité, mèmes sur les réseaux sociaux… et même pire, photos sur les sites pédopornographiques… Voilà à quoi peuvent servir les photos de vos enfants sur les réseaux.
"Une étude montre que 50% des photos publiées sur les forums pédocriminels sont des clichés pris par les parents qu'ils avaient partagés sur leurs réseaux sociaux", alerte ce sur France Info Isabelle Debré, présidente de l'association "L'Enfant Bleu" qui lutte contre la maltraitance des enfants.
???? Isabelle Debré, présidente de l'"Enfant Bleu", alerte sur les dangers de l'exposition des enfants par leurs parents sur les réseaux sociaux.
— Apolline Matin (@ApollineMatin) July 17, 2023
???? "Tout le monde le fait et tout le monde ne se rend pas compte des conséquences."#CharlesMatin pic.twitter.com/J6usFP4Fee
L'association a d'ailleurs lancé un livre pour enfants pour amener les parents à prendre du recul par rapport au contenu qu’ils publient sur les réseaux sociaux.
Imaginé par Havas Play, illustré par Chloé Mencarelli et édité gracieusement par Havas Édition, cet ouvrage narre l’histoire du doudou d’Emma. Celui-ci est tellement beau et mignon que la maman de la fillette ne peut s’empêcher de le photographier et de publier les clichés sur Internet. La photo du doudou va rapidement faire le tour du monde, et tomber entre les mains de "fans de doudous".
Derrière ce récit en apparence enfantin, se cache un message "simple et pédagogique" destiné aux parents. Et si ce doudou était leur enfant ?
Et les risques que ces images d'enfant tombent entre de mauvaises mains n'est pas à prendre à la légère.
"Le premier risque est pour l'enfant lui même puisque la publication de son image peut rester dans la mémoire de l'Internet et des réseaux sociaux, et le poursuivre dans sa vie d'adulte : il est parfaitement possible que cette image ressurgisse dans le futur et soit exploitée au détriment de l'enfant devenu adulte avec une vie professionnelle et sociale. La publication de cette image par un tiers qui y aura eu accès engendrera nécessairement des commentaires plaisants ou déplaisants", explique Maître Sulliman Omarjee, avocat en droit numérique.
"Le second risque et pas des moindres, c'est que ces données profitent à un prédateur sexuel qui parviendrait à y acceder pour les stocker, voire pire : pour entrer en contact avec une victime potentielle."
"Un troisième risque pourrait être lié aux algorithmes qui appliqués à ces données d'enfants permettent d'analyser sa construction, son profil. Plusieurs rapports mettent en garde contre le profilage des enfants à partir des données postées par leur parents et la prise de décision basées sur ces données, y compris par anticipation", ajoute le magistrat. "Or cette image constitue une donnée personnelle dont l'exploitation nécessite l'autorisation de la personne concernée, en vertu du Règlement Général sur la Protection des Données (RGPD)."
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- Bientôt une loi pour protéger l'image des enfants -
Si poster des photos de ses marmailles sur les réseaux sociaux est devenu presque banal pour de nombreuses personnes, elle doit être plus encadrée.
"Les images des enfants sont bel et bien des données personnelles sensibles, qui soulèvent des enjeux de pédocriminalité, d’identité numérique, d’exploitation commerciale ou encore de harcèlement […] Sur le long terme, les contenus publiés – même en toute bonne foi – par leurs parents pourraient porter préjudice aux enfants et compromettre, par exemple, leur crédibilité lors d’une candidature scolaire ou professionnelle", a fait valoir le ministre de la Justice Éric Dupond-Moretti.
C'est en ce sens que le Sénat, le 10 mai dernier, a adopté en première lecture une proposition de loi visant à mieux protéger leur droit à l'image.
Une proposition de loi déposée en janvier par le député Bruno Studer qui veut "introduire la protection de la vie privée de l'enfant parmi les obligations des parents au titre de l'autorité parentale".
"Si les droits des enfants sur leurs données peuvent être exercées par leurs parents, ces mêmes enfants une fois adulte peuvent parfaitement réclamer la suppression de ces données. De plus la loi encadre désormais les enfants influenceurs", explique Maître Omarjee. La loi du 9 juin 2023 destinées à encadrer les activités des influenceurs, visent à lutter contre les dérives le cas des enfants influenceurs et comporte un volet en cadrant. "La formation que j'anime sur les contrats des influenceurs au regard de cette nouvelle loi a permis de sensibiliser certains parents influenceurs, et sera reconduite en septembre 2023 avec une nouvelle session", précise l'avocat.
De plus, les circonstances de cette publication peuvent constituer une atteinte à la vie privée et au droit à l'image de l'enfant en vertu de l'article 9 du code civil.
- Alerter les parents -
Si cette campagne n'a pas pour but de faire culpabiliser les parents, elle a surtout pour objectif de les alerter sur les dangers. Car l'on sait très bien, les réseaux sont entrés dans les mœurs, mais parfois on oublie vite leurs dangers.
Il n’existe pas de solution miracle pour éviter le vol des photos et des vidéos de vos enfants sur les réseaux sociaux, à moins de ne rien publier. Si l'on ne peut interdire aux parents de poster des photos, il leur est recommandé de sécuriser leurs réseaux.
Premièrement, en n'acceptant pas n'importe qui comme ami. Deuxièmement, en ne postant pas de photos suggestives (enfants dénudés ou en maillots de bain).
Peu importe le réseau social, il est impératif d’utiliser les paramètres de confidentialité les plus stricts sur vos applications. Cela limitera l’impact de vos publications et ainsi, le nombre de personnes susceptibles de voir vos photos.
Sur Instagram, il est possible d’activer la demande d’autorisation pour le partage de photos. De ce fait, vous pourrez contrôler la diffusion des images.
Mettre des hashtags sous votre publication semble un acte innocent et pourtant, c’est la clé qui permet aux pédocriminels de trouver les photos d’enfants comme bon leur semble.
Votre enfant est en âge de comprendre et de consentir à ce que des photos de lui soient partagées sur les réseaux sociaux ? Alors, il faut lui demander son autorisation. S’il n’est pas d’accord, vous devrez respecter sa décision.
Quand vous partagez des photos de votre enfant, prenez en compte également la vie privée des autres enfants susceptibles de se trouver sur certaines photos. De ce fait, il est primordial de ne pas partager des photos d’autres enfants sans avoir l’accord des parents.
Si ce conseil s'applique aux parents pour leurs enfants plus jeunes, cela s'applique également pour les parents d'adolescents. Des jeunes ados qui - rivés sur leurs smartphone – n'ont de cesse de poster des photos d'eux, sans connaître les conséquences que cela peut engendrer.
Alors attention au déballage intime, préservons nos enfants et soyons vigilants. Car même si on pourrait penser que ce n'est pas bien grave… ces photos ne disparaîtront jamais.
ma.m/www.imazpress.com/redac@ipreunion.com