Zones d'ombre sur la procédure de reconduite dans leur pays

Expulsion de huit Sri Lankais : le grand cafouillage

  • Publié le 11 octobre 2018 à 09:00
  • Actualisé le 11 octobre 2018 à 11:45

La France pays des droits de l'homme...ou pas. Huit migrants sri lankais expulsés vite fait, bien fait...ou pas. Arrivés sur l'île samedi 6 octobre, les hommes âgés de 16 à 30 ans étaient placés en zone d'attente à l'aéroport de Gillot. Alors qu'une audience devant le juge des libertés et de la détention était prévue mercredi 10 octobre, ils ont été rapatriés en grande pompe mardi en fin d'après-midi. Du côté de la Cimade, l'association qui lutte pour le respect des droits des migrants, on s'inquiète : les procédures ont-elles été respectées? L'expulsion était-elle légale? Y-a-t-il eu une violation éventuelle du principe de non-refoulement des demandeurs d'asile?

  • Que s’est-il passé ?

Les migrants, escortés la Police des Frontière (PAF) ont été mis dans un avion à direction de Maurice. Une escale avant l’aller simple vers leur pays natal qu’ils ont eu tant de mal à quitter. Léger couac : aucune compagnie aérienne n’accepte de les embarquer sans escorte. Or, les agents de la PAF n’ont pas de visa sri lankais ou indien sur leurs passeports. Ils ne peuvent donc pas les accompagner.

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A la Préfecture, on s’active pour trouver une solution. Finalement, le préfet délivre en urgence des visas aux hommes de la PAF et deux autres agents de la Réunion partent pour renforcer l’escorte. L’affaire, si elle n’était pas aussi dramatique pourrait faire sourire.

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Tout a été très vite...peut-être même trop vite.

  • La loi a-t-elle été respectée?

"Nous avons de grosses inquiétudes concernant cette expulsion", confie Rafael Flichman de la Cimade, l'association qui accompagne les personnes étrangères dans la défense de leurs droits. D'autant plus qu'aucune personne de l'organisme n'a pu s'entretenir avec les migrants expulsés. "Ils ont été placés en zone d'attente et non en zone de rétention. Or, nous ne pouvons pas intervenir dans cette zone." Enfermer plutôt que protéger... Selon lui, la procédure n'aurait probablement pas été respectée à lettre par la Préfecture de La Réunion. Etonnant ? Pas pour lui : "En France, on expulse presque 30.000 personnes par an. Parfois en respectant les lois, parfois en les bafouant." Et d'ajouter : "Les préfectures ne suivent pas toujours les procédures. Des gens renvoyés illégalement, il y en a tous les jours."

Pour le moment la Cimade étudie le dossier pour voir s'il y a des zones d'ombre. Même si l'association n'a pas accès à toute la procédure elle peut très facilement estimer si la loi a été ou non bafouée. "Cette situation opaque soulève plusieurs interrogations : Les personnes ont-elles été accompagnées d’interprètes dans la procédure ? Ont-elles été informées de leurs droits ? Ont-elles été en mesure de déposer une demande d’asile ? de faire un recours contre le refus d’entrée sur le territoire au titre de l’asile sous 48 heures ? L’effet suspensif de ce recours a-t-il été garanti ?" Tant de questions et peu de réponse du côté de la Préfecture qui refuse de communiquer sur une affaire en cours... La Cimade pointe également le fait qu'une personne mineure se trouvait parmi les migrants : "La loi prévoit qu’il soit dans ce cas nommé un administrateur ad’hoc pour l’accompagner dans la procédure. Aucun élément ne semble indiquer que tel a été le cas," écrit l'association dans un communiqué.

Légal ou illégal, les migrants seront bel et bien débarqués au Sri Lanka et ils risquent gros : quitter illégalement l'île est passible d'une peine de prison. C'est d'ailleurs le sort qui devait être réservé aux 90 personnes interceptées par la marine sri lankaise au large de ses côtes le mardi 11 septembre 2018. Des migrants qui voyageaient dans un chalutier à destination La Réunion.

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  • L’avenir sombre des Sri Lankais candidats à l'immigration

Les migrants sri lankais partent soit du Nord du Sri Lanka, soit de camps de refugiés en Inde. "Ceux qui partent du Sri Lanka ont été complétement dépossédés de leur terre pendant la guerre civile et rien n’est fait par le gouvernement actuel," explique Anthony Goreau-Ponceaud, géographe, maître de conférences à l'Université de Bordeaux. Les terres spoliées n’ont jamais été rendues,  certaines ont même été vendues aux plus offrants, notamment dans le cadre des programmes de développement touristique. "Le nord étant la grosse zone pour l’accueil des touristes," ajoute-t-il. Alors, entre la lenteur de la justice transitionnelle et la précarité, l’avenir pour les Sri Lankais, surtout les Tamouls est très sombre.

Pour les migrants sri Lankais qui partent des camps de réfugiés indiens, la même misère est de mise. Anthony Goreau-Ponceaud a fait plusieurs enquêtes de terrain dans un camp au Tamil Nadu (Inde du Sud). Il nous rappelle que New Delhi ne reconnaît pas le statut juridique international de réfugié, le pays n’a signé ni la Convention de Genève de 1951 ni le protocole de 1967. Dans les camps, les Sri Lankais sont entre 100.000 et 300.000. Certains y sont nés et tous n’ont aucune chance d’avenir.

  • Le tout pour le tout

Rien, absolument rien ne peut donc empêcher ces hommes, femmes, enfants a tenter la traversée : ils n'ont rien à perdre alors pourquoi ne pas tout risquer pour espérer trouver une vie meilleure. Mais un aller à La Réunion à bord d'un bateau de pêche n'est pas donner. Alain Djeutong, aumônier des gens de la mer a pu s'entretenir avec l'un des huit migrants qui parlait un peu anglais : "Le passeur a demandé 4 000 euros par homme". Pour Anthony Goreau-Ponceaud il faut replacer cette somme dans le contexte communautaire et familiale : "C’est une somme énorme mais il faut imaginer qu’ils ont une famille élargie transnationale. Dans cette famille, un membre va travailler comme femme de chambre dans les complexes hôteliers des monarchies du Golfe, un autre sera sur les chantiers, d’autres travailleront en Europe… Tous payent pour envoyer une personne, ils mettent tous la main à la pâte."

  • La Réunion une nouvelle terre d’asile pour les migrants sri lankais ?

Très difficile à dire d’après Anthony Goreau-Ponceaud, mais il semblerait bien qu'une nouvelle route se développe. Les migrants privilégiaient avant la voie vers l’Australie, mais depuis 2013, Canberra refoule systématiquement en mer tous les bateaux de clandestins, originaires pour beaucoup du Sri Lanka, d'Afghanistan, ou du Moyen-Orient. Ceux qui parviennent à passer par les mailles du filet sont envoyés dans des îles reculées du Pacifique et même si leur demande d'asile est jugée légitime, ils ne seront jamais accueillis sur le sol australien. Les ONG ne cessent de dénoncer cette politique d'immigration draconienne.

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La Réunion et Maurice deviennent donc les terres d’asile les plus proches pour les Sri-Lankais malgré les quelque 4.000 km et la vingtaine de jours de bateaux qui séparent les deux pays. "La Réunion sera une porte d’entrée pour la métropole et l’Europe. Maurice un endroit économiquement intéressant," confirme le géographe. "D’une manière générale, la France et La Réunion sont devenues des cibles privilégiées des Sri Lankais. Il y a quelques années, c’était plutôt le monde anglo-saxon. Des communautés sont très bien implantées à Paris, à La Chapelle par exemple."

La Réunion est très loin d'être une terre d'asile, selon l'Ofpra (Office français de protection des réfugiés et apatrides), depuis le 1er janvier 2018, seulement 16 demandes d'asile ont été enregistrées par les services de l’Etat pour la région. C'est très très peu, l’île fait d’ailleurs partie des 12 départements français à avoir reçu moins de 99 demandes.

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  • Et maintenant ?

Pour stopper les vagues migratoires il ne suffit pas d'expulser les arrivants. On ne peut pas empêcher les gens d’entrer non plus, c’est impossible, les frontières sont poreuses. Les autorités françaises doivent s’intéresser aux causes qui poussent les gens à partir et coopérer avec les pays concernés. Comme le disait François Crépeau, rapporteur spécial de l’ONU sur les droits de l’homme des migrants, en 2015 à La Tribune de Genève, "stopper l’immigration est impossible! Voulons-nous la subir ou l'organiser ?"

nt/www.ipreunion.com

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5 Commentaires
A moin ça
A moin ça
5 ans

Il est fort ce Préfet !
Il peut délivrer un visa pour rentrer dans un Etat souverain etranger. 😂😂😂

Moi président
Moi président
5 ans

D'un autre côté, si les premiers Sri Lankais (qui avaient été recueillis par un ashram du Port) ont eu le droit de voir leur demande d'asile examinée, ça risque de poser un problème juridique si ceux-ci n'y ont pas eu droit.
Certains vont dire (à juste titre peut-être) "2 poids 2 mesures".

Jerry
Jerry
5 ans

Il faut envoyer un message fort à tous les candidats à l'immigration: nous ne sommes pas terre d'asile. Le préfet a eu raison d'agir vite. Les australiens ont raison de ne pas s'embarrasser de conditions pseudo humanitaires en les repoussant systématiquement. Il appartient aux peuples de se rebeller contre l'oppression et donc aux sri-lankais de renverser leur gouvernement.

Zoe
Zoe
5 ans

tout à fait d'accord avec jean....

Jean
Jean
5 ans

Ils ont préféré faire au plus vite, avant que les bisounours ne prennent l'affaire en main. Surtout ne pas céder, sinon c'est la porte ouverte à l'immigration des chasseurs de primes !