Des difficultés d'accès persistent

IVG dans la Constitution : une avancée historique qui reste à compléter

  • Publié le 4 mars 2024 à 16:12

C'est ce lundi 4 mars 2024 que les parlementaires sont appelés à voter définitivement pour la constitutionnalisation de l'interruption volontaire de grossesse (IVG). La France devrait donc devenir, après le vote en congrès du Parlement, le premier pays à garantir constitutionnellement la liberté d'avorter. Si nombre de politiciens se félicitent d'une avancée historique pour les droits des femmes en France, certain.es militant.es féministes restent plus réservées sur la question.

Entre déserts médicaux qui limitent l'accès à l'IVG, médecins qui sont toujours autorisés à refuser de les pratiquer pour "objection de conscience" et exclusions des personnes transgenres du texte, certain.es militant.es regrettent un vote symbolique, qui ne résoudra pas les problématiques actuelles.

"Il faut aller beaucoup plus loin : désormais, il sera bien plus difficile de revenir en arrière et limiter l'accès à l'IVG, ce qui est une bonne chose, pour autant ça ne résout les difficultés d'accès déjà existante" estime Elodie, militante féministe.

"Cela a été décidé pour se donner bonne conscience, mais si ça changeait vraiment quelque chose ça n'aurait tout simplement pas été voté, surtout pas par un Sénat majoritairement à droite. Les médecins ont encore le droit de refuser de pratiquer des IVG grâce à la clause de conscience, et les femmes habitant dans des déserts médicaux auront toujours des difficultés à trouver un médecin" dénonce-t-elle.

"La notion de droit a par ailleurs disparu du texte de loi : on parle désormais de liberté, ce qui est complètement différent de ce que l'on réclamait" ajoute la militante.

En effet, l'accès à l'IVG n'est "pas homogène sur le territoire", relevait en décembre auprès de l'AFP Magali Mazuy, chercheuse à l'Institut national d'études démographiques (Ined) : "Une personne qui va demander à avoir recours à l'IVG ou qui va chercher des praticiens, ne va pas avoir en face d'elle les mêmes professionnels et la même culture locale relative à la considération de ce soin", constate-t-elle.

Une situation sur laquelle alerte depuis plusieurs années le Planning familial. Lors d'une conférence de presse mercredi, sa présidente Sarah Durocher s'est une nouvelle fois alarmée de "voir certaines femmes contraintes d'aller dans d'autres départements que le leur pour avorter".

- Déserts médicaux -

Avec la désertification médicale et le manque de médecins dans certains territoires, la possibilité de choisir entre une IVG médicamenteuse (possible jusqu'à 7 semaines de grossesses) et une IVG instrumentale (intervention sous anesthésie) n'est pas toujours possible, relèvent les acteurs de terrain.

Afin de renforcer l'accès à l'avortement, un décret a été pris en décembre pour ouvrir la pratique de l'IVG instrumentale aux sages femmes. Mais les conditions imposées, notamment la présence de 4 médecins, sont trop restrictives, estiment professionnelles et associations.

"D'une part on nous dit qu'on va constitutionnaliser le droit à l'IVG, d'autre part on publie un décret qui est censé fluidifier l'accès à l'avortement qui en réalité ne change pas grand-chose", a souligné mercredi Suzy Rojtman, porte-parole du collectif Avortement en Europe.

Les médecins sont par ailleurs toujours autorisés à refuser de pratiquer des IVG, grâce à la clause de conscience qui leur permet de s'opposer à une décision ou de ne pas accomplir un acte médical contraire à leurs croyances.

A noter que le Sénat a voté contre un amendement, déposé par le sénateur LR Alain Millon, qui souhaitait constitutionnaliser le "respect de la clause de conscience des médecins, ou professionnels de santé, appelés à pratiquer l’intervention". Pour autant, la clause de conscience en elle-même reste maintenue.

"Si tous les médecins décident de devenir objecteur de conscience, comment garantir l'accès à l'IVG ?" s'interroge donc Elodie.

Car cela peut créer de véritables difficultés d'accès, comme c'est le cas en Itali. En effet, environ 70% des gynécologues italiens refusent aujourd'hui de pratiquer des IVG au nom de l'objection de conscience, selon un rapport du ministère de la Santé italien.

"À l'inverse, des médecins font des kilomètres chaque mois pour aider des femmes à avorter et ne pas les laisser dans des situations dramatiques" rapporte d'ailleurs Radio France.

- Essentialisation de la femme –

Autres points de crispation : "l'invisibilisation des personnes transgenres et l'essentialisation de la femme".

Dans un premier temps, le texte de loi faisait référence à la garantie du droit de l'IVG pour toute personne. Il a été modifié, sur amendement de la ministre chargée de l'Egalité, pour ne faire référence qu'aux femmes. Une modification qui avait fait réagir nombre d'association dès 2022, ces dernières estimant que cela invisibilisait les personnes transgenres et non-binaires, qui peuvent elles aussi tomber enceintes.

"C'est pour cela qu'il faut continuer à se battre pour être mieux protégé.es, et surtout prendre en compte les personnes transgenres, qui ont été complètement invisibilisées dans ce texte de loi" martèle Elodie, comme beaucoup d'autres militant.es. "On va continuer à dire que ce texte n'est pas suffisant. J'évite même de dire que "c'est un premier pas", parce que le combat n'est pas terminé."

Le Conseil d'Etat a de son côté estimé que cette appellation "doit être entendue comme toute personne ayant débuté une grossesse, sans considération tenant à l'état civil". Réponse qui est loin d'avoir satisfait certains milieux militants.

"L'utilisation du mot femme, c'est une sorte de réitération que notre identité, c'est d'avoir des enfants. On va encore nous considérer uniquement par notre capacité à avoir une grossesse, et on exclut tout un tas de gens de la loi" conclut Elodie.

- Réjouissement du monde politique -

Des réflexions bien lointaines donc du réjouissement des politicien.nes qui ont, pour la grande majorité, félicité une avancée historique pour les droits des femmes.

Localement, à La Réunion, la plupart des figures politiques se sont félicitées de ce vote – à l'exception de la députée Nathalie Bassire, qui a voté contre le texte, et de la sénatrice Viviane Mallet, qui n'a tout simplement pas participé au vote.

"En ces temps troubles où de nombreux pays reviennent sur ce droit des femmes, la France, pays des droits de l’homme, se doit de le protéger" a estimé le député Philippe Naillet. "Actuellement menacé par la montée de l’extrême droite et les manifestants anti-IVG, ce droit qu’a la femme à disposer de son corps est un droit fondamental."

Pour Huguette Bello, en tant que Présidente du PLR et en tant que militante réunionnaise pour le droit des femmes, i"l s’agît d’une grande victoire : les inégalités touchent plus durement les Outre-mer, et le PLR se souvient de l’histoire douloureuse des femmes réunionnaises" a écrit le parti.

"Dans les années soixante, ce sont des milliers de femmes qui ont subi des avortements et des stérilisations forcés : un crime d’Etat jamais reconnu qui avait pour but de contrôler la démographie de l’île en déshumanisant ces femmes, en les traitant comme du bétail.

L’inscription de la liberté garantie d’avoir recours à l’IVG dans la Constitution, c’est aussi garantir aux femmes d’y avoir recours si et seulement si elles le souhaitent" a aussi rappelée la présidente de Région.
 
Si le PLR "salue les sénateurs et les sénatrices qui pour beaucoup ont mis de côté d’anciennes convictions afin de faire ce qui était juste, il condamne et dénonce le vote des 50 élus de la chambre haute qui se sont opposés à ce projet de loi : il est inacceptable, en tant qu’élu.e de la République, de s’opposer aux avancées sociales majeures, et nauséabond de s’accrocher à la conviction que les ventres des femmes ne leur appartiennent pas".

"C'est un moment d’Histoire, une victoire pour toutes les femmes de France et un encouragement pour toutes les femmes du monde. La France envoie aujourd’hui un signal magnifique à tous les pays s’inscrivant dans la volonté d’une société progressiste" a salué la sénatrice Audrey Bélim.

"Ce 04 mars sera un jour Historique pour la France, les femmes. Il s’inscrira dans la continuité du combat de Simone Veil entrée au Panthéon le 1 er juillet 2018. Cette inscription de l’IVG dans le marbre de notre Constitution protège à jamais ce droit pour les femmes" s'est de son côté félicité le député Jean-Hugues Ratenon.

"Réjouissons nous de l’avancée majeure que représente la constitutionnalisation de l’IVG. Notre devoir est de continuer à lutter de toutes nos forces pour que tous les moyens nécessaires soient déployés pour rendre effectif ce droit, et permettre concrètement aux femmes de tous les territoires de librement disposer de leur corps" a réagi Evelyne Corbière Naminzo, sénatrice et présidente de l'UFR.

Entre scepticisme et joie, ce vote semble tout de même être une bonne nouvelle dans un monde où les droits des femmes semblent toujours plus menacés. La constitutionnalisation de l'IVG a d'ailleurs été motivée, entre autres, par la révocation d'un arrêt fédéral aux Etats-Unis qui garantissait depuis 1973 le droit d’avorter sur tout le territoire.

Depuis, chaque Etat est libre de déterminer sa propre politique sur l’accès à l’interruption volontaire de grossesse (IVG), et une dizaine d'entre eux l'ont interdit, même en cas de viol ou de danger pour la vie de la mère dans certains cas.

La constitutionnalisation sera actée ce lundi, à quatre jours du 8 mars, journée internationale du droit des femmes. Une majorité des trois cinquièmes sera nécessaire dans la prestigieuse salle du Congrès du château de Versailles pour une adoption définitive, mais elle ne fait aucun doute au vu des votes successifs des deux Assemblées.

as avec l'AFP/www.imazpress.com / redac@ipreunion.com

guest
4 Commentaires
Aux Simone !
Aux Simone !
6 mois

Hum, je me rappelle qu'Aurore Bergé dans un soucis de faire consensus ou sororité, accepte de retirer le projet du gouvernement afin d'adopter celui de Panot avec l'accord des autres représentantes de partis politiques. Vogel fait basculer le Sénat et c'est aussi-là que se gagne cette bataille.
Sans Bergé, il n'y a rien du tout.
Elles vont le porter et se battre ensemble!
Le problème, c'est toujours ramener à soi et faire de la petite politique : la vieillesse est un naufrage, je pense à Mélenchon ce soir qui cherche à gâcher cette soirée historique. Triste mine et triste sire, je finis par le penser, tant c'est petit.
Bref, si LFI a l'écume aux lèvres, c'est leur problème, que les femmes savourent au champagne cette victoire qui leur appartient.
Je rajouterai, que c'est la loi de Simone Weil qui constitutionnalisée, portée par l'esprit de Simone de Beauvoir.
J'allais oublier Gisèle Halimi, aussi une grande parmi les grandes

Dom
Dom
6 mois

Est ce votre prénom qui vous influence ainsi , aussi négativement ?

Eve
Eve
6 mois

. C’est une victoire pour les insoumis qui dès 2012, ont été les premiers à inscrire cette proposition dans un programme présidentiel
C'est la Loi Panot !

Jean-Marie
Jean-Marie
6 mois

Inscrire la mort dans la constitution est ce une avancée? Que feront les médecins par rapport au Serment d Hippocrate ?