Longtemps cantonné à des scènes alternatives et à une réputation plus que discutable, le métal réunionnais s'est imposé au fil des décennies comme un style de musique ayant toute sa place sur la scène locale. Preuve en est : ces 9 et 10 septembre 2023 se tiendra la seconde édition du "El Fest Réunion", qui réunit des groupes de métal locaux. Forts du succès de la première édition, qui a eu lieu en février dernier, les organisateurs espèrent bien pérenniser cet événement. Chose qui était peut-être loin d'être évidente dans les années 80, lorsque les premiers groupes locaux ont fait leur apparition.
"A l'époque, il n'y avait ni structure ni locaux qui souhaitait nous accueillir" se souvient Eric Junor, membre de l'un des premiers groupes de hard rock réunionnais, Överkill.
Il faut dire qu'avant eux, les groupes de rock classique avait mis quelques années à se faire une place. "Bien plus que le rock pur et dur, c'est surtout le jazz-rock qui séduisait les musiciens réunionnais à la fin des années 70" soulignent d'ailleurs les auteurs Thomas Arcens et Vincent Pion, dans leur ouvrage "Bourbon Rock, une autre histoire de la musique de La Réunion".
"Il y a 30 ans, on était un peu des rebelles, des parias" plaisante Eric Juret, alias Blanc-Blanc, aussi actuel directeur du Théatre Luc Donat. "Ca n'a pas été simple d'être accepté, beaucoup de lieux ne voulaient pas nous accueillir."
"Les gens sont devenus peut-être un peu plus ouverts, c'est vrai qu'avant quand je faisais du stop avec un t-shirt de métal personne ne me prenait" se rappelle Tic, gérant du studio d'enregistrement Studio Tic, bien connu de la scène métal actuelle. "C'était très compliqué de trouver des salles pour nous accueillir, on souffrait d'une mauvaise réputation. Il y avait aussi le poids de la religion, les gens nous percevaient comme des sataniques" plaisante-t-il.
C'est au Tampon que le style commence à bouillonner. "Depuis les années 80, même 70, le rock et le métal sont très présents au Tampon, c'est peut-être même là que la scène a débuté" avance-t-il. "Il y avait Överkill dans les années 80, Warfield plus tard, Nutcase fin des années 90, la majorité des gros groupes viennent du Tampon" se rappelle-t-il. "Mais je suis originaire du sud, je prêche un peu pour ma paroisse, je suis chauvin" rit-il.
Chauvin ou pas, il n'a pas tout à fait tord. "Les premiers groupes éclosent au nord, à l'ouest, et surtout au sud, Le Tampon gagnant ses premiers galons de "rock city". Contact, Test, Overkill, Ghost Sporot...En 1983, c'est l'explosion du Bourbon Rock, comme titre le Quotidien" relatent Thomas Arcens et Vincent Pion dans leur livre.
Au fur et à mesure des années, les salles ouvrent leurs portes à ce nouveau genre, qui fédère de plus en plus. "Il y avait les cafés-concerts, le Bato fou à Saint-Perre, le Palaxa à Saint-Denis…qui ont commencé à vraiment lancer la scène" souligne Eric Juret.
La scène a aussi bénéficié de l'arrivée de nouveaux musiciens, mais aussi du départ de musiciens réunionnais partis se former dans l'Hexagone. "Il y a sûrement eu une prise de conscience de l'exigence du style" devine-t-il. Il faut dire que la technicité du genre – peu importe le sous-genre – est particulièrement compliquée. "C'est vraiment la professionnalisation du style qui nous a amené au niveau où nous sommes aujourd'hui."
- Défrayer la chronique -
Il faut savoir que quand on parle de métal, on parle de plusieurs dizaines de sous-genre différents. "Il a fallu créer un socle solide de genre général pour pouvoir développer et multiplier les sous-genre" avance Eric Juret. Et au-delà des musiciens, "c'est aussi tous les techniciens tout autour de l'organisation des concerts qui ont gagné en galon", estime-t-il.
Ce "socle" a largement été porté par tous ces groupes nés entre les années 80 et 2000. "On a commencé dans les années 90 avec Nutcase, on a un peu défrayé la chronique à l'époque" sourit Loki Lonestar, organisateur du El Fest Réunion, membre de nombreux groupes locaux. Le style punk de la formation – née au Tampon - bouscule la scène locale, encore une fois.
"Leur participation à la Clameur des Bambous en 2001 leur a valu plusieurs articles dans la presse, chose rare à l'époque pour un groupe de métal. Il faut dire qu'à Saint-Benoit, on n'avait jamais vu des musiciens – dont un chanteur en string (Loki ; ndlr) – pisser le sang sur scène" relate l'ouvrage Bourbon Rock. "Les musiciens ont dû quitter les lieux sous protection policière." Ambiance.
"J'ai fini par quitter La Réunion, mais je revenais régulièrement. Au fil des années, la scène s'est développée, l'île est devenu un véritable bouillon pour le métal" affirme Loki Lonestar. "La scène est aujourd'hui en effervescence, les groupes se multiplient, les genres joués aussi" ajoute-t-il.
- Les jeunes prennent la relève -
L'influence d'internet, la professionnalisation des musiciens, de l'accoustique aussi, l'importation de nouveaux genres, les allers-retours avec l'Hexagone…peuvent expliquer la popularité relativement nouvelle du genre. "Il y a toujours eu un engouement, mais c'est vrai que depuis quelques années, ça a explosé" affirme Tic. "Aujourd'hui, le métal a gagné toutes ses lettres de noblesse" ajoute Eric Juret.
Avec le temps, c'est toute une nouvelle génération qui a investi la scène. Et avec talent. Lors de la première édition du El Fest Réunion, le public a par exemple pu (re)découvrir de jeunes groupes, comme Feed the Ire. "On a commencé fin 2017, avec une composition du groupe qui a évolué au fil du temps. A notre lancement, il n'y avait pas vraiment de groupe de metalcore, on s'est dit qu'il y avait un créneau à prendre" explique Cédric, chanteur du groupe. "Et le public est là" sourit-il.
C'est à travers les groupes locaux, mais aussi la télévision, que les musiciens s'intéressent à ce style. "J'ai toujours baigné dedans, mais en découvrant les groupes locaux, ça m'a donné envie d'aller encore plus loin dans la découverte du métal" explique Lucas, batteur de Feed the Ire.
"J'ai aussi baigné dedans, j'apprenais à jouer de la guitare. Mais c'est à l'occasion d'un concert des Showdus et Outlast – des groupes locaux bien connus, ndlr – que j'ai eu une révélation" se souvient Cédric.
Ils succèdent à des groupes qui ont largement participé à l'explosion du style dans l'île, qu'ils soient aujourd'hui toujours actifs ou non. "La scène se renouvelle, elle évolue, on voit des nouvelles têtes arriver. On a pendant longtemps eu du retard avec l'Hexagone, mais aujourd'hui ça se resserre" estime Cédric.
Un point de vue partagé par Eric Juret, Tic ou encore Loki. "Les groupes d'aujourd'hui n'ont rien à envier avec les groupes de l'Hexagone, on est largement en capacité de les faire tourner en Europe, et c'est d'ailleurs ce qu'on fait" affirme Tic.
- Niche ou pas ? -
Les amateurs du style pourront en tout cas profiter d'une nouvelle édition les 9 et 10 septembre. Et pour ceux qui n'y connaîtraient rien, il faut savoir que le El Fest s'inspire du célèbre, et surtout l'un des plus gros festival français, Hellfest. "On a voulu faire un clin d'oeil à cette institution du métal" explique Loki Lonestar. Une appellation qui n'a d'ailleurs pas forcément plu à tout le monde. "L'événement n'a de toute façon pas vocation à garder ce nom sur le long terme" confie l'organisateur.
L'objectif aujourd'hui, aux yeux de ce dernier, est de généraliser le style. "Avec le El Fest, on avait voulu montrer qu'on n'est pas qu'une niche, le métal devient mainstream" assure-t-il. Une affirmation avec laquelle tout le monde n'est pas forcément d'accord. "Evidemment qu'on est une niche, ça reste un style particulier, violent, qui ne plait pas à tout le monde" estime de son côté Tic.
Mais malgré les différences d'opinion, une chose est sûre : le métal se fraie son bout de chemin et est devenu une part de la scène locale à part entière. Il faut aussi noter que cet esprit de "grande famille du métal", que beaucoup de fans revendiquent, existe aussi dans l'île. "C'est un petit cercle, tout le monde se connait" rappelle Cédric. Une chose qui n'est pas difficile à vérifier : en se baladant de concert en concert, c'est souvent les mêmes têtes que l'on croise.
"On a la volonté d'amener un public plus large, à encourager tout le monde à découvrir le style, qui regroupe un nombre de sous-genres incalculable" avance Loki. Et en plus de vouloir faire connaître le métal, c'est surtout les groupes locaux qu'il veut mettre en valeur.
"On organise cette édition sur deux jours, avec des concerts mais aussi des activités comme le lancer de hache, du stand-up, un atelier de musique pour les enfants... Côté groupes, on aura the Hill is burning, Kill Kill, Dodo dancers, Behind the reflection. Le reste de la programmation est encore à annoncer" détaille-t-il. "On veut montrer que nous avons le même niveau que n'importe quel groupe français, qu'on a toute notre place sur la scène internationale" martèle Loki. Avec pour objectif, à terme, de peut-être réussir à inviter des noms internationaux.
Si vous souhaitez vous procurer vos places pour la prochaine édition du El Fest Réunon, mais aussi un t-shirt et des affiches floqués avec les visuels de l'événement, rendez-vous sur ce lien.
as/www.imazpress.com / redac@ipreunion.com
Nah, appellation déposée "hellfest" ! Localement c'est bien "el fest" !
"Hellfest"