L'ancien Premier ministre de François Mitterrand en visite à La Réunion

Michel Rocard - Immigration : "la France a la responsabilité de prendre sa part"

  • Publié le 15 septembre 2015 à 06:48

En prélude à la visite de Michel Rocard à La Réunion, dans le cadre d'un cycle de conférences, les 22, 23 et 24 septembre, initié par l'Association Cobaty Bourbon, nous avons pu échanger avec celui qui fut sans doute le meilleur Premier ministre de la France lors de la présidence de François Mitterrand. L'acuité de son jugement ne se dément pas, de même que son amitié pour Manuel Valls - "mon ami, mon collaborateur, et un peu mon petit frère" - et son rôle en tant qu'ambassadeur de France pour les négociations internationales sur les pôles est tout sauf une sinécure. Lors de son troisième séjour à La Réunion, en février 1991, en compagnie de Louis Le Pensec, le département était en proie à une forte agitation, suite à la saisie des émetteurs de Télé FreeDom. Face aux justifications sociales avancées pour expliquer les troubles, et aux revendications de certains acteurs des "événements", plutôt que d'acheter la paix sociale, Michel Rocard avait commis une petite phrase restée dans les mémoires par laquelle il déniait tout "lien de parenté avec le Père Noël"... Moyennant quoi, quelques jours plus tard, Danielle Mitterrand, première dame et épouse en titre de François Mitterrand débarquait à La Réunion au titre de la Fondation France Libertés pour jouer une petite musique sinon plus conciliante, du moins plus politicienne. Mais aujourd'hui, sur fond de flux migratoires massifs, ce serait plutôt son appréciation sur la vocation d'accueil de la France qui reviendrait au goût du jour (Michel Rocard à La Réunion 1987 - Archives Imaz Press Réunion)

- En 1989, l'immigration était déjà un sujet sensible, François Mitterrand avait affirmé (le 10 décembre), sur Europe 1 et Antenne 2, le "seuil de tolérance" des Français à l’égard des étrangers "a été atteint dans les années 70".  Et vous déclariez alors devant l'Assemblée : "Il y a, en effet, dans le monde trop de drames, de pauvreté, de famine pour que l’Europe et la France puissent accueillir tous ceux que la misère pousse vers elles…" Un jugement que vous avez par la suite affiné, ou fait évoluer en fonction des circonstances, déclarant ainsi en 1993 : "Je maintiens que la France ne peut pas accueillir toute la misère du monde. La part qu’elle en a, elle prend la responsabilité de la traiter le mieux possible."
Comment voyez-vous les choses aujourd'hui ?


• Toujours de la même façon, la France ne peut pas accepter tout le monde, mais elle a la responsabilité d'en prendre sa part et de la traiter humainement, du mieux que possible…  Et c'est difficile… Je n'ai pas de raison de changer de position… Les conséquences quantitatives de cette position, c'est au gouvernent et à l'administration de les apprécier…(Ndlr : fait instructif, avec le recul, en 1989, Michel Rocard complétait sa prise de position par l'énoncé  de mesures nécessaires telles que le "renforcement nécessaire des contrôles aux frontières", et la "mobilisation de moyens sans précédent pour lutter contre une utilisation abusive de la procédure de demande d’asile politique…")

- Vous avez toujours montré et professé une réelle sensibilité pour la cause environnementale. Comment appréciez-vous aujourd'hui les déchirements d'EELV, une mouvance écartelée entre désir de gouverner avec le PS et attraction pour l'extrême gauche ?

• Je les observe sans surprise et avec tristesse… Je n'ai jamais été membre d'une organisation politique écologiste, mais toujours un fervent d'une politique plus écologique. J'ai toujours pensé qu'il était absurde de vouloir construire un parti politique, axé sur un sujet prioritaire, quand la vocation d'un parti politique doit être par nature généraliste. Il n'y a pas de politique sans politique de l'Energie, sans politique fiscale, sans politique étrangère, sans politique de la Santé… Vouloir faire un parti à priorité écologique, c'était une impossibilité, c'était presque une contradiction. Je ne l'ai jamais critiqué et c'était leur droit. Je pense qu'ils tentaient l'impossible… Résultat, aujourd'hui, ils n'ont même plus d'influence sur la politique écologique qui se décide entre partis polyvalents.

- Vous allez traiter, en conférence, de transition énergétique et d'économie bleue, des notions qui tendent à passer dans les mœurs, du moins au niveau du vocabulaire. Comment peut-on faire cohabiter des notions aussi antithétiques que la "croissance verte" et la "décroissance" au sein d'une même pensée ?

• Il n'est pas question de cautionner la thèse de la décroissance, qui est une folie - car qui dit décroissance dit aggravation de la pauvreté et des inégalités - quand nous avons totalement besoin de retrouver une croissance complètement écologique… C'est possible d'ailleurs et cela suppose au contraire que la pauvreté et les inégalités diminuent dans le monde. Donc une certaine croissance peut être assurée en respectant les exigences et les contraintes de l'écologie. Je combats l'idée de décroissance comme une folie dangereuse.

- Nicolas Sarkozy, vous a nommé en 2009 ambassadeur de France chargé des négociations internationales relatives aux pôles Arctique et Antarctique, vous l'êtes  toujours. Mais auparavant, (1989) en collaboration avec Bob Hawke, Premier ministre autralien, vous avez réussi à faire de l’Antarctique une réserve naturelle inscrite au patrimoine mondial de l’humanité quand la IIIe protocole du traité de l’Antarctique, la convention de Wellington, prévoyait l’exploitation des ressources minérales sur ce territoire. Merci pour l'Antarctique, l'hémisphère Sud vous en sait gré. Mais qu'en est-il de l'Arctique où la Russie revendique 1,2 million de km², dont le pôle Nord, pour exploiter pétrole et gaz naturel, tout comme la Norvège, le Danemark et le Canada revendiquent une extension de leur ZEE ? Le "Pôle Nord" des aventuriers et des peuples arctiques va-t-il se muer en une nouvelle Arabie Saoudite hyperboréale ?

• Un mot tout d'abord pour l'Antarctique…  Antarctique dispose en effet d'un système de traité efficace, remarquable, qui marche bien, dont la partie interdiction des activités minéralogiques vient à échéance en 2048.
Donc il faut se préparer à une bataille pour la maintenir le moment venu. Et cette offensive commence déjà, car quelques grands pays, dont la Russie et plus modérément l'Australie, affichent l'envie de se débarrasser de ce moratoire, ce qui serait écologiquement dangereux. Deuxième bataille, la Russie, la Chine et l'Ukraine se sont opposés à la création dans l'Antarctique, et au-delà, d'aire marines protégées. Or à la différence des organisations régionales de gestion de la pêche qui n'organisent, sur de très grandes surfaces, qu'une protection minimale de la ressource halieutique, les aires marines protégées sont des espaces plus restreints, de protection plus intense, associés à une nécessaire recherche scientifique approfondie.  L'antagonisme est toujours présent, on n'a pas pu prendre de décision, ça reste dans l'impasse. Pour le reste Antarctique est bien mieux protégé que l'Arctique.

- Quid de l'Arctique alors ?

• Quant à l'océan Arctique, il n'est pas très correct - en termes diplomatiques - d'affirmer que de grands pays comme la Russie, les États-Unis (par l'Alaska), le Canada, la Norvège et le Danemark (par le Groenland), revendiquent des espaces… Ils agissent dans le cadre de l'application d'une clause du traité de 1982, traité proposé par l'ONU, signé aujourd'hui par plus de 150 nations, et qui délimite les zones économiques exclusives (ZEE), notamment. Les ZEE sont des zones que tout Etat côtier, d'une mer ou d'un océan peut revendiquer légalement,

jusqu'à 200 milles marins, ce qui fait 350 à 360 km en mer. Zones de souveraineté  dans lesquelles il faut que ces Etats laissent passer la navigation, tout en étant responsable de la sécurité… Par ailleurs, l'Etat dispose de la propriété du sous-sol sous-marin. Si une nation côtière peut faire la preuve de ce qu'au-delà des 200 milles et dans une limite de 350 milles marins, soit plus de 700 km en mer, le sol sous-marin de par sa consistance et son relief, apparaît comme étant la continuité de la ZEE, la Commission des limites du plateau continental (CLPC), a qualité pour étendre, sur la base d'un critère purement géologique, la ZEE de l'Etat riverain demandeur. C'est une procédure valable dans le monde entier. Dans l'Arctique, il y a déjà plus de 20% de la surface des eaux qui sont placées sous le régime des ZEE. Tous les Etats riverains ont déposé leurs revendications territoriales. Le seul qui a reçu sa réponse est la Norvège.

La Russie prépare sa proposition après avoir été "retoquée" une première fois… La commission est surchargée et sera long à décider. Mais s'agissant du cas de la Fédération de Russie, qui défend deux demandes d'extensions de sa ZEE, il apparaît que les zones ne sont pas jointives entre elles. La plus petite est à l'Ouest et recouvre une partie du quatrième gisement mondial de gaz, Stockman, à mi-chemin entre eaux russes et norvégiennes. Un accord Russo-norvégien, a été obtenu en 2010, qui a posé un partage, sur la base de leur frontières maritimes… L'autre demande russe est beaucoup plus grave et inclût le Pôle Nord. (Ndlr : En droit international, aucun pays ne possède actuellement le pôle Nord ou la région de l'océan Arctique qui l'entoure. Les cinq États limitrophes de l'Arctique, soit la Russie, le Canada, la Norvège, le Danemark, et les États-Unis, sont limités à leur zone économique exclusive de 200 miles marins. Au-delà de ces ZEE, la zone d'eaux internationales libres, plus d'un million de kilomètres carrés, est administrée par l'Autorité internationale des fonds marins.)
Pour soutenir leur démarche, en août 2007, la Fédération de Russie et une équipe de scientifiques ont loué un sous-marin bathyscaphe finlandais, plongé à 4 261 mètres de profondeur, et déposé une maquette en titane du drapeau de la Fédération de Russie, sur le fond marin, à l'emplacement exact du Pôle Nord. Une prise de possession symbolique.

Mais une expédition publicitaire sans effet juridique.  Car le Pôle Nord est aussi inclus dans la demande d'autres Etats dont le Danemark…
En tout cas, en fait de revendications territoriales, nous sommes dans l'application d'un droit sur lequel tout le monde s'est mis d'accord.
Le résultat sera qu'après tout ça, il restera moins de 10% des eaux de l'océan glacial arctique, y compris celle couvertes par les glaces qui seront sous le régime des eaux libres internationales. Donc premièrement, le droit est clair, il n'y a pas lieu de faire la guerre. Secondo,la Commission donnera ses décisions en toute liberté. Il ne restera plus à assurer que la négociation internationale sur les limites et les précautions de l'utilisation minéralogique de ces zones. Ce sera difficile, mais c'est l'enjeu de la diplomatie mondiale. Un des enjeux sur lesquels mon ambassade insiste souvent. Pour le moment le Conseil de l’Arctique (Ndlr : au sein duquel les peuples autochtones sont représentés), ne s'est pas saisi du problème car paralysé par les ambitions nationales de ses membres… Donc cette affaire pourrait revenir devant l'ONU.

Je n'aime pas du tout le vocabulaire militariste qui lui est lié et qui laisse entendre que l'on irait vers un conflit. On va vers un antagonisme sévère et difficile mais négociable.

- Vous avez subi l'inimitié constante de François Mitterrand et du PS qui ne vous ont pas franchement aidé lorsque vous gouverniez la France, quid de Manuel Valls aujourd'hui, coincé entre un président un tantinet velléitaire et un PS travaillé par ses valeurs de gauche ?

• Au sujet de François Mitterrand, notre antagonisme remontait à la guerre d'Algérie, et si j'ai rencontré bien des désaccords avec lui, c'est sûr, il me faut dire qu'en tant que premier ministre, il m'a laissé travailler pour l'essentiel et qu'il ma même laissé faire beaucoup de choses sur lesquelles il n'était pas d'accord, mais dont il reconnaissait qu'elles étaient de la compétence du gouvernement plutôt que de celle du président… Donc n'exagérons pas… Quant à Manuel Valls, mon ami, mon collaborateur, et un peu mon petit frère, il est exact que nous avons une bien plus grande complicité intellectuelle, par exemple sur les aspects écologiques. Donc je m'entends bien avec Manuel Valls, tout en respectant le partage de compétences auxquels il est arrivé avec son Président, notre ami François Hollande. Ca ne veut pas dire que je suis d'accord sur tout… notamment sur les aspects économiques, mais ces différences s'expriment alors entre nous, à titre privé…


- Vous avez publiquement (Canal+) déclaré que vous déconseilleriez à François Hollande de se représenter en 2017, affirmé que vous pensiez qu'il ne le souhaiterait, ni qu'il le pourrait d'ailleurs ; avez vous varié sur le sujet ?

• Non, je n'ai pas varié (Ndlr : goguenard), ce qui a varié c'est que François Hollande a décidé de prendre ce risque -  risque qui est synonyme d'échec - mais maintenant que le risque est pris, que la France est engagée, il faut que ça réussisse, et puis nous avons une chance que j'avais sous estimée, qui est que la prise de conscience générale de l'opinion publique mondiale s'accélère et s'approfondit.
Il y a donc une pression beaucoup plus forte que l'on ne l'attendait sur tous les Etats pour améliorer le niveau de leur engagement environnemental. La Chine et les USA, les deux plus réticents, les deux porteurs de l'échec de Copenhague, n'ont toujours pas accepté le principe d'une réglementation mondiale, mais ils ont beaucoup intensifié leurs propres objectifs. Et donc il n'est pas impossible que l'on enregistre une meilleure combattivité du monde, même si ça sera sans s'en donner les moyens mondiaux organisés. Donc je suis un combattant pour ce succès là…

- En 2011, le PS a introduit des "primaires ouvertes", importées des USA dans leur principe, dans la vie politique française, initiative qui sera reprise par Les Républicains en 2016 ; une procédé qui permettrait plus de démocratie que le suffrage universel direct ; que pensez-vous de cette nouvelle pratique ?


• Je ne dirais pas qu'elle introduit plus de démocratie mais une autre forme de démocratie qui met en cause le monopole des partis politiques ; ça peut être utile, j'ai été prudent et méfiant, je considère que le mouvement est engagé et vraisemblablement irréversible, il est trop tôt pour en tirer un vrai jugement, mais il est déjà temps d'en tirer un bénéfice pour un peu plus de démocratie, je crois…

Propos recueillis par www.ipreunion.com

guest
3 Commentaires
9 ans

l'affaire : grossouvre , bérégovoy , dumas ,( frégate de taiwan ) , rainbow warrior , rwanda , un petit aperçu de gauche , et celle de droite c égal .

mécoué
mécoué
9 ans

Deux questions à Monsieur Rocard, personnage de premier plan français dont la voix compte toujours:

1) Sans remettre en cause la construction européenne, néanmoins (entre ses composants,) pourquoi est-elle bâtie sur cette base manifeste de concurrence déloyale, pourquoi l'uniformisation des règles et droits en son sein, n'est-elle toujours pas possible et pas souhaitable pour certains?
2) Les échanges internationaux reposant pour l'essentiel économiquement parlant, sur une base mafieuse, qui profite qu'à une minorité d'apatride à travers monde, pourquoi le politique n'ose pas s'attaquer à ce fléau qui dispose ainsi du destin des peuples ?
L'examen en profondeur de ces deux premières questions, peut déboucher sur une nouvelle donne mondiale, qui assurément remettrai l'Homme au centre des préoccupations et non point la finance et surtout ses déclinaisons malsaines et égoïstes.

9 ans

après tout les test atomiques faite par la france et autres pays à travers le monde et la pollution qui va avec , on parle de négociation sur les poles et de flux migratoires et de responsabilité et autres zee et ect..., c'est pour cela qu'on dit que c'est du bla, bla, bla, .
et c'est pas les animaux et flores de ces contrés qui va nous contredire .
c'est pour cette raison que l'opération du nom de high jump de l'amiral bird à été un échec total.