La "puff", cigarette électronique jetable aux goûts sucrés, fait fureur parmi les jeunes. Une mode qui inquiète médecins et addictologues, alors que ces produits contiennent malgré tout un pourcentage de nicotine. Autre source d'alerte : les méthodes laser anti-tabagisme non reconnues par la profession, qui promettent l'arrêt de l'addiction en une séance seulement. (Photo d'illustration AFP)
Si la cigarette électronique avait été inventée en grande partie pour aider les fumeurs à mettre fin à leur addiction, elle devient aujourd'hui un objet de convoitise, notamment chez le jeune public.
C'est ce qu'observent les addictologues, inquiets face à une nouvelle mode, celle de la "puff". Cette cigarette électronique au design coloré et aux goûts sucrés cible clairement une population plus jeune. "Elles arborent un look qui fait penser aux chupa chups" remarque le docteur David Mété, addictologue au CHU de La Réunion, en faisant référence à cette marque de sucettes aux couleurs variées.
- Le risque de s'initier au tabac -
La cigarette électronique devient alors un produit recherché, et perd son côté curatif, censé aider à arrêter de fumer. "Ce que je redoute, comme d'autres confrères, c'est que cela initie les jeunes au tabac. Il y a débat dans la profession : certains estiment que la 'puff' empêche les jeunes de passer à la vraie cigarette. D'autres y voient une manière de fumer là où il y aurait pu ne rien avoir" explique l'addictologue.
Autre risque qui en découle : que l'initiation commence très jeune. Ainsi sur les réseaux sociaux, parents et professeurs confient leur inquiétude en voyant de très jeunes élèves consommer ce type de produits. C'est le cas sur une story vue par Imaz Press, "aujourd'hui j'ai récupéré ça dans la poche d'un de mes élèves, 9 ans" peut-on lire alors :
- Méconnaissance dangereuse -
Si les mineurs sont une cible facile, c'est aussi parce qu'ils ne sont pas suffisamment renseignés sur le sujet, estime le docteur David Mété, et c'est dans cette brèche que s'engouffre la logique marketing. "Il y a quand même de la nicotine dedans, jusqu'à 17 mL. C'est une substance qui reste addictive", regrette-t-il, observant que les parents ne sont pas toujours au courant.
Si les sites vendant ces produits sont théoriquement interdits aux moins de 18 ans, rien n'empêche vraiment un jeune d'y accéder et les familles voient entre leurs mains ce qui ressemble à un sucre d'orge, sans danger. Contactée, l'agence régionale de santé (ARS) dit suivre le sujet "avec beaucoup d'attention" et estime également que les puffs "peuvent être une porte d’entrée vers le tabagisme". L'ARS rappelle que "la règlementation de ce type de produit de vapotage est encadrée : interdiction de publicité et de promotion directe ou indirecte (notamment sur les réseaux sociaux), interdiction de vente aux mineurs". Pourtant ce sont bien les jeunes qui sont attirés par ces produits.
"Il y a un travail de sensibilisation à faire sur le terrain, avec les associations. Il faut interpeller le gouvernement sur ce sujet" demande le docteur David Mété. Dans le cadre de l’appel à projets 2022 (ARS-Préfecture) concernant la prévention des addictions, "un axe spécifique sera dédié au respect des interdits protecteurs (interdiction de vente aux mineurs / respect des règles relatives à la publicité). Les 'puffs' sont concernées par ces interdits" informe quant à elle l'ARS, qui prône aussi des interventions en milieu scolaire par les acteurs de prévention pour mieux informer les élèves.
Par ailleurs, la "puff" reste une cigarette électronique jetable, une fin de vie loin d'être la plus écologique. Si les marques concernées défendent un produit recyclable, il n'est pas exclu de voir ces grands bâtons colorés venir s'échouer en pleine nature, contenant d'ailleurs des batteries lithium.
- Le laser inquiète -
Dans cette grande industrie des méthodes anti-tabac, une autre fait de plus en plus parler d'elle : celle du laser. Là aussi les médecins et addictologues ne cachent pas leur inquiétude. Mise en valeur sous la forme de vraies publicités, cette technique prône l'arrêt du tabagisme en une séance seulement. Pour le docteur David Mété, c'est un mensonge. "Les remèdes 'miracles' c'est un vieux problème, comme les méthodes pour maigrir. A La Réunion, la méthode du laser s'étend et je vois des patients revenir après avoir fait une séance… qui n'a pas fonctionné" raconte-t-il.
Problème : la séance est loin d'être gratuite. Comptez 180 euros pour cette méthode laser. "Ça me désole de voir des patients très modestes, au RSA, venir me voir parce que leur séance n'a pas marché" s'agace le docteur David Mété.
"Il s’agit d’une méthode non reconnue par la Haute Autorité de Santé, ceci n’est pas un traitement utilisable contre le tabagisme" rappelle de son côté l'ARS, qui encourage "les personnes souhaitant arrêter de fumer à consulter en premier lieu un tabacologue (liste de professionnels disponibles sur le site Masante.re). Le professionnel de santé pourra trouver avec la personne des solutions adaptées et des professionnels capables de l’accompagner pour lutter contre son addiction".
- L'Ordre des médecins alerté -
Le décorum des publicités fait envie : blouses blanches et sondages maison qui indiquent que leur produit est efficace. La méthode laser prétend être soutenue par l'Organisme mondial de la santé (OMS), "une allégation mensongère" accuse le docteur Mété. "L'addiction est une maladie chronique. A partir du moment où on voit 'arrêt en une séance', on doit être alerté."
Son inquiétude l'a poussé à alerter le Conseil départemental de l'Ordre des médecins. Contacté par Imaz Press, celui-ci indique n'avoir eu vent de la requête que tardivement en raison de problèmes d'organisation interne, mais souhaite s'occuper du problème. "L'institution est très attachée à ce que les services soient conformes à la médecine" assure le président du conseil, le docteur Benjamin Dusang. Pour lui, il n'existe pas encore de "réponse claire" au sujet de la méthode laser mais il affirme que l'ordre compte bien se pencher dessus. "Il s'agit de protéger la population d'éventuelles dérives. Une addiction ne peut pas se résoudre en une seule injection, ce serait méconnaître le fonctionnement cérébral. Cela demande des connaissances médicales."
Une rencontre est prévue entre le Conseil départemental de l'ordre et le docteur Mété prochainement pour se pencher plus sérieusement sur la question et voir quelle action est possible du côté du corps médical. "L'ordre est garant de la santé publique et s'il devait être établi à l'analyse de la jurisprudence que ce type de laser dans cette indication relève de la pratique par des médecins exclusivement, le Conseil saisirait sans délai la justice pour exercice illégal de la médecine" affirme le docteur Benjamin Dusang.
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