Le chef de service mis en cause (actualisé)

Le CHU de La Réunion condamné à indemniser une patiente dont l'utérus a été retiré sans son consentement

  • Publié le 12 mai 2025 à 14:35
  • Actualisé le 13 mai 2025 à 09:02

Elle s'appelle Shirley Dhinn. Aujourd'hui âgée de 41 ans, elle déclare à Médiapart le 11 mai 2025, que son utérus lui a été retiré sans son consentement par le professeur Peter Von Theobald, chef de service gynécologie du CHU Nord de La Réunion. Contacté par le média, l'hôpital a indiqué que le médecin "aurait discuté des deux interventions (...) avec la patiente". Le CHU, représenté par son assureur, assure "coopérer avec la commission de conciliation et d'indemnisation (CCI) pour que les droits de la patiente soient respectés". La commission a par ailleurs condamné le CHU le 13 février 2025 à indemniser Shirley Dhinn (Photo : www.imazpress.com)

Contacté par Imaz Press ce lundi matin 12 mai 2025, le professeur Peter von Theobald - visé par cette enquête de Médiapart (article payant) - indique : "En tant que médecin hospitalier, je suis tenu au respect absolu du secret médical, qui s’impose même lorsque le patient choisit de rendre son dossier public". 

Il ajoute: "Je ne peux donc pas me défendre en utilisant les pièces cachées du dossier. Toute cette affaire est calomnieuse, les choses ne s'étant pas passées ainsi que la plaignante le prétend".

Le professeur Peter Von Theobald nous "invite donc à" nous "rapprocher de la direction communication du CHU de La Réunion, qui est en charge de la gestion des relations presse dans ce contexte".

C'est ce que nous avons fait dès ce lundi matin. En réponse, le CHU nous a indiqué : "un communiqué de presse est en cours de rédaction sur le sujet".

Contactée par Imaz Press Réunion, Shirley Dhinn indiqueque "ma démarche n'est pas pour qu’on me reconnaisse victime, je l’ai déjà eu. Mais je le fais pour permettre à d’autres victimes potentielles de s’exprimer".

"Il m’a fallu du temps, j’étais complètement chamboulée, vidée en tant que femme. Physiquement, psychologiquement, ça chamboule. J’ai mis beaucoup de temps pour me considérer comme victime, puis me lancer dans la démarche. Aujourd’hui je veux protéger d’autres femmes", confie-t-elle.

Concernant l'accusation de "calomnie", elle déclare : "Quel culot. Moi tout ce que j’avance ce n’est que ses propos, qu’il a écrit. J’ai tout mon dossier médical entre les mains, il a le même."

Elle réfute par ailleurs le fait d'avoir discuté de l’éventuelle hystérectomie. "Il a contacté mon médecin, lui disant : Voilà ce que je lui propose, l’ablation des ovaires. Il n’y avait pas de mention d’hystérectomie. Il n’y a aucune trace", affirme-t-elle.

"Personne n’a envie de se lancer dans ce genre de combat. Ça a pris quatre ans, c’est très long, c’est dur, ce n'est pas le genre de procédure qu'on lance pour le plaisir", conclut Shirley Dhinn.

- Réveil "sans son utérus" -

Selon Médiapart, le 8 novembre 2024, après une plainte de la patiente, le dossier est expertisé par la commission de conciliation et d'indemnisation. L'expertise a lieu en présence de Shirley Dhinn, de son médecin-conseil, celui du CHU de La Réunion, et de l’avocat de l’hôpital.

Les faits dénoncés par la plaignante remontent au 30 septembre 2016. Elle affirme s'être réveillée d'une opération subie au CHU de Saint-Denis, sans son utérus. Elle raconte à Médiapart que lors de son réveil, le gynécologue mis en cause – le Docteur Peter Von Théobald, chef du service – aurait déclaré "Bonne nouvelle. Je vous ai laissé vos ovaires et je vous ai retiré l'utérus".

La patiente explique que cette opération a été pratiquée après qu'elle ait découvert en 2012 souffrir d'une endométriose.

Dans les rapports remis à Médiapart par la victime, le gynécologue explique le 23 août 2016, "l’hystérectomie [l’ablation de l’utérus – ndlr] est inutile puisqu’elle ne réglerait pas le problème de l’endométriose, de plus elle serait beaucoup plus lourde qu’une simple ovariectomie [l’ablation des ovaires – ndlr] qui la ménopauserait définitivement et réglerait le problème. Nous avons décidé ensemble de faire cette solution malgré son jeune âge".

Le 30 septembre le praticien semble-t-il, change d’avis, comme indiqué dans son compte rendu opératoire : "Devant cet aspect éliminant une endométriose, on ne peut rapporter ses douleurs qu’à l’adénomyose […] et on décide de surseoir à l’ovariectomie pour la remplacer par une hystérectomie avec les trompes distales".

- Une plainte déposée contre le CHU de La Réunion -

Selon le média, l'expertise médicale de la CCI est pratiquée par "une chirurgienne gynécologique de l’Institut de lutte contre le cancer Gustave-Roussy à Villejuif (Val-de-Marne). Et elle ne parvient pas à cacher son indignation, jusque dans son compte rendu, à charge contre son confrère".

L’experte relève "qu’à aucun moment, le gynécologue réunionnais n’a évoqué un éventuel projet de grossesse de sa patiente". C’est aux yeux de la chirurgienne gynécologique "un défaut d’information majeur".

"Lorsque ce professeur de gynécologie m’a proposé l’ablation des ovaires, je lui ai dit que je souhaitais avoir des enfants. Il m’a assurée que ce serait possible avec une PMA, mais sans me proposer de congeler mes ovocytes", affirme la patiente.

Shirley Dhinn dit avoir l’avis d’un autre médecin et commente : "Quand j’ai revu le professeur Von Theobald, il était furieux que j’aie consulté ailleurs".

"Modifier le geste chirurgical au cours de l’intervention, sans accord de la patiente, va à l’encontre des règles de bonne pratique", souligne l'experte médicale.

Le site d'information en ligne écrit à ce propos : "L’ovariectomie lui paraît absurde. La professionnelle explique que l’ablation des ovaires n’apaisera pas les symptômes douloureux de la patiente, et qu’elle provoquera une ménopause anticipée aux conséquences cardiovasculaires ou osseuses "absolument pas acceptables » pour une femme de 33 ans".

Le CHU de La Réunion, responsable en cas d’erreur médicale, aurait assuré devant la CCI, par la voie de son avocat, que "le Pr Von Theobald aurait discuté des deux interventions [l’ablation des ovaires ou de l’utérus – ndlr] et aurait expliqué à Mme Dhinn qu’ils s’adapteraient aux constatations" pendant l’opération.

La décision de la CCI a été rendue le 13 février 2025. L’hôpital est condamné à indemniser Shirley Dhinn pour "l’ensemble des préjudices (qu'elle a subi) car la prise en charge par le professeur Von Theobald n’a pas été "conforme aux règles de l’art".

- Le CHU de La Réunion invoque le principe de secret médical -

Dans un communiqué envoyé à destination de la presse, le CHU de La Réunion rappelle que : "le secret médical est un principe fondamental et absolu qui protège la confidentialité des données de santé de chaque patient. Ce principe, strictement encadré par la loi, s’applique même dans le cas où une patiente décide de rendre public son dossier médical".

"Le respect de cette obligation légale interdit au CHU et à ses professionnels de divulguer des informations médicales ou de commenter publiquement les situations cliniques individuelles", précise l'établissement de santé.

Le CHU, représenté par son assureur, "coopère avec la Commission de conciliation pour que les droits de la patiente soient pleinement respectés. Les démarches suivent leur cours dans le cadre des dispositifs prévus par la loi".

Le CHU de La Réunion tient également à "reconnaître la souffrance exprimée par Shirley Dhinn et reste particulièrement attentif aux parcours de soins et aux attentes des patientes. L’établissement s’engage quotidiennement dans l’amélioration de la qualité des soins et le respect des droits des patients et "réitère son attachement aux principes d’éthique, de transparence dans la gestion de cette situation".

À destination de la presse, le CHU appelle "les médias et l’ensemble des acteurs à la prudence dans le traitement de cette affaire. Il est essentiel de laisser les instances compétentes mener leur travail, afin de garantir un traitement juste et respectueux des droits de chacun".

Contacté, l'Ordre des médecins a déclaré à Médiapart que : "le rapport d’expertise est sur le bureau du conseil départemental de l’ordre des médecins de La Réunion, qui ne peut commenter aucune affaire contentieuse, qu’il en ait été saisi ou non". L'Ordre des médecins n'a pas encore répondu à nos sollicitations.

www.imazpress.com/redac@ipreunion.com

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