Naissances

En Métropole l'Etat veut relancer la natalité, à Mayotte l'ARS encourage la stérilisation des femmes

  • Publié le 19 mai 2023 à 13:03
  • Actualisé le 28 janvier 2024 à 12:38
mayotte médecin du monde

Alors que le taux de natalité est au plus bas dans l'Hexagone et que le gouvernement veut encourager les Françaises à faire plus d'enfants, à Mayotte, l'Etat semble surtout vouloir ralentir les naissances. Fin mars, l'Agence régionale de santé de ce territoire a en effet révélé sa volonté d'encourager les stérilisations auprès des mères mahoraises. Une information qui nous avait échappé, au milieu des manifestations et visites ministérielles, mais qui n'en est pas moins importante – et inquiétante. Et qui rappelle surtout des heures sombres de l'Histoire française dans ses territoires ultra-marins.

Interrogé fin mars par Mayotte la 1ère, le directeur de l'ARS Olivier Brahic a déclaré : "je n’aime pas beaucoup ce terme mais c’est cela : on va proposer aux jeunes mères une stérilisation, en clair on leur proposera de leur ligaturer les trompes".

Une prise de position curieuse, dans une société où la parentalité est encouragée, et dans un pays où certains s'affolent de la baisse du taux de natalité.

Car si à Mayotte, la natalité bat des records, au niveau national, c'est tout l'inverse : en baisse de 7% sur 1 an, les naissances en France ont atteint au mois de mars leur plus bas niveau depuis 1994, hors période de confinement.

D'un côté, il y a le chef de l’État qui alerte sur les conséquences de la baisse du nombre de naissances et qui a récemment demandé que le gouvernement fasse des propositions pour tenter de relancer la natalité. Une "problématique" qu'il avait déjà abordé en 2021. De l'autre, il y a l'ARS de Mayotte qui veut les freiner. Les bébés mahorais seraient-ils moins Français que les autres ?

Contactée par Imaz Press, l'ARS n'a pas donné suite à nos sollicitations pour en savoir plus sur cette opération de communication.

Car une question centrale demeure : comment vont se passer exactement ces propositions ? Dans un contexte particulier, où certaines femmes ne maîtrisent pas toutes parfaitement le Français, comment s'assurer du bon déroulement de cette opération ? Comment être certains que les femmes acceptant de se faire ligaturer aient toutes les informations à leur disposition ? Et pourquoi ne pas communiquer sur la vasectomie et encourager les hommes à se faire stériliser ? Pour l'heure, pas de réponse.

- La stérilisation, un parcours du combattant…Sauf à Mayotte -

L'initiative interroge tout de même. Notamment lorsqu'on connait toutes les difficultés rencontrées lorsqu'on souhaite se faire stériliser. A La Réunion comme en Métropole, c'est bien souvent un parcours de combattant, même si on a déjà eu des enfants.

C'est par exemple le cas de Jill, 33 ans et maman de trois enfants. "Lorsque je me suis renseignée auprès de ma gynécologue pour une ligature des trompes, on m'a traitée d'égoïste" nous relate-t-elle. "Elle m'a assurée que je regretterai ma décision, que c'était injuste pour mon nouveau compagnon qui voudrait sûrement des enfants biologiques de ma part" confie-t-il.

Malgré ses nombreuses protestations, la gynécologue s'est refusée à pratiquer cette intervention. "Et pourtant j'ai dû réaliser deux IVG en moins d'un an. Je sais que je ne veux plus d'enfants, on m'a infantilisée comme si je n'étais pas capable de prendre mes propres décisions" souffle-t-elle.

Un récit somme toute banal pour toute femme cherchant à se faire stériliser, tout particulièrement lors qu'elle n'a pas d'enfant.  Un deux poids, deux mesures tout de même extrêmement surprenant. Comme s'il valait mieux que certaines femmes enfantent, plutôt que d'autres.

- Une histoire de néocolonialisme -

Cette situation n'est pas s'en rappeler ce qu'il s'est passé ici-même, à La Réunion. En 1970 à La Réunion, cinq ans avant la loi Veil, on a en effet découvert que des milliers de femmes ont été avortées et stérilisées, souvent sans leur consentement. Des faits qui se sont déroulés à la Clinique de Saint-Benoît dans les années 1960.

Ce sont les journalistes de l'époque qui révèlent l'affaire : des milliers d'avortements et de stérilisations ont été pratiqués chaque année dans une clinique orthopédique bénédictine. Et ce alors que l'avortement était illégal en France. Derrière ces actes illégaux se cache une véritable politique anti-nataliste, soutenue par les représentants de l’État français dans les Outre-mer.

En parallèle de cette affaire, l'Etat mène en effet une campagne de propagande pour limiter les naissances. Des tracts et des affiches étaient distribués aux quatre coins de l'île. "Un enfant ça va, deux ça va encore, trois : assez ça suffit !", "Maman 2 ça suffit"… Voilà ce qu'on pouvait trouver à travers l'île.

Le parallèle entre les deux situations n'a échappé à personne. "C'est du racisme tout simplement : l'Etat décide quelles femmes doivent être encouragées à faire des enfants, et celles qui doivent être interdites et ou punies d'en avoir" estime Françoise Vergès, politologue et autrice du livre "Le ventre des femmes", qui retrace l'histoire de ces avortements forcés. 

"Cela reflète des décisions et des choix politiques : qu'un directeur de l'ARS puisse dire une chose pareil montre à quel point le gouvernement traite différemment les Outre-mer et l'Hexagone. Jamais il ne se serait permis de déclarer ce genre de chose dans une région hexagonale" assure-t-elle.

Elle dénonce, aux côtés de politiciens, partis et associations, la gestion "néocolonialiste" et "sexiste" de la France à Mayotte. "Aujourd'hui, la seule manière de répondre au non développement de Mayotte, c'est le néocolonialisme. On y n'instaure pas les mêmes politiques. La mentalité n'a pas changé depuis les années 60" déclare Françoise Vergès.

- "Contrôler le ventre des femmes" -

"L'Etat a toujours voulu contrôler le ventre des femmes, que ce soit avec le combat pour l'IVG qui a été gagné seulement en 1975, que ce soit la bataille actuelle pour l'inscrire dans la constitution… Le combat des Françaises n'est pas gagné, il l'est encore moins pour les Outre-mer. La misogynie, le sexisme, et le racisme sont liés. Une femme noire n'est pas considérée comme une femme blanche, comme une femme de l'Hexagone n'est pas considérée comme une femme noire, mahoraise ou comorienne, musulmane…" détaille-t-elle.

Cette problématique rejoint finalement grandement la gestion globale de Mayotte aujourd'hui. Les investissements sont quasi nuls en matière de logement, de santé, d'éducation, d'accès à l'eau... En proie à un chômage endémique et à une déliquance ultra violente, la population vit dans la crainte du lendemain.

Pour faire face à cette situation dangeureusement explosive créé par son incurie, l'Etat gesticule en déployant des opérations d'expulsions massives sommairement préparées et n'hésite pas à tenter de violer la loi, mais surtout les droits humains.

Sans que cela n'émeuve grand monde.

as/www.imazpress.com / redac@ipreunion.com

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2 Commentaires
Alinta
Alinta
2 ans

Merci pour cet article qui rejoint exactement ce que j'ai pensé lorsque j'ai vu cette info passer (crème) il y a quelques semaines.

man974
man974
2 ans

Relancer la natalité, la proposition récente de l'extrême-Droite pour, soi-disant, financer les retraites. Encore une fois, la Droite macroniste et le Rassemblement National, main dans la main...