Agriculture

Tomates, mangues, bibasses… les fruits et légumes n'ont plus de saison

  • Publié le 19 juin 2023 à 10:16

Cela ne vous a certainement pas échappé, que cela soit sur les étals de marché ou alors dans votre supermarché, certains fruits sont encore en vente, et ce, alors même que ce n'est pas la saison. Des fruits et légumes en retard, ou alors trop en avance... C'est ce à quoi il faut s'attendre pour les années à venir. Face au changement climatique, les produits n'ont plus de saison. Mais ce n'est pas le seul défi auquel vont devoir s'adapter les agriculteurs. Inflation, sécheresse, foncier... autant de problématiques qui mettent la filière en danger (Photo : rb/www.imazpress.com)

Prenez l'exemple des tomates. Certes il y en a toute l'année, mais en ce moment elles peuvent se vendre jusqu'à 6 euros le kilo. Pour les fruits de la passion, cela peut aller jusqu'à 5 euros le kilo. Les mangues non plus n'y échappent pas, puisque l'on peut encore en trouver.

"La variation de prix est due à une baisse de la production en raison des conditions climatiques et phytosanitaires", nous explique Stéphane Avril de la coopérative Vivéa.

"Les plantations de tomates en plein champ ont été largement perturbées par les pluies en début d'année et la forte présence de la Tuta Absoluta, entraînant le dépérissement des plants", note Éric Lucas, responsable de cellule diversification végétale à la Chambre d'agriculture.

Nathalie Millet du Jardin Maniron à l'Étang-Salé et productrice, le constate elle-même. "Les tomates font partie des fruits dont la culture s'avère de plus en plus compliquée à La Réunion." "Mouches des fruits et des légumes, oïdium (champignon qui attaque les plantes), bactéries… Bref c'est l'enfer à produire", nous explique la productrice.

De plus, "la sécheresse des derniers semestres de 2022 a retardé la mise en place de nouvelles parcelles, notamment à l fin de l'année 2022 et au début de 2023", indique Éric Lucas.

En conclusion, "la situation actuelle est le résultat d'une diminution des plantations en début d'année pour les cultures sous abris, ainsi que de l'augmentation des coûts de plantation, ce qui entraîne une prolongation du cycle de production sous serre, même si ces derniers sont moins productifs", précise la Chambre d'agriculture.

- Les fruits et légumes n'ont plus de saison -

Des mangues en plein mois de juin, des fruits de la passion hors saison… que se passe-t-il dans le secteur agricole. Les fruits auraient-ils perdu le sens des saisons ?

"La difficulté de la saisonnalité nous rattrape", notamment avec le réchauffement climatique, indique Frédéric Vienne, président de la Chambre d'agriculture de La Réunion. "Les fruits et légumes sont de plus en plus décalés."

Pluie ou sécheresse, chaleur ou fraîcheur… le climat change. "On voit encore des mangues sur le marché, des manguiers déjà en fleurs, des letchis plus tardifs… c'est le bouleversement climatique", note le président de la Chambre. "Un bouleversement qui remet en cause la pratique de l'agriculture, notamment sur les saisons."

De plus, "le manque de pluie fait que les fruits sont de plus petits calibres comme les ananas".

"En effet, nous constatons un décalage dans la production, qui est attribuable à des mois plus chauds et à une alternance marquée entre des périodes très sèches et humides. Dans l'ouest, les manguiers sont déjà en fleurs, ce qui est très précoce pour la saison, alors que les mangues de la saison précédente sont encore présentes", précise Éric Lucas.

Un climat changeant qui a d'ailleurs provoqué des pertes considérables chez les agriculteurs du sud suite aux fortes pluies qui ont frappé Saint-Joseph la semaine dernière. "Salades, brèdes, thym, épices… plusieurs champs sont complètement ravagés", indique Frédéric Vienne.

Nathalie Millet du Jardin Maniron – qui se concentre sur les cultures traditionnelles et adaptée (manioc, songe, patate douces, zambrovates…) confirme cette tendance. "Le stress hydrique (rareté en eau) cause bien des dégâts sur les cultures potagères et fruitières", nous explique la productrice. "Des arbres vont mourir de plus en plus et les cultures non adaptées seront de plus en plus difficiles", ajoute-t-elle.

Malheureusement, cela est parti pour durer. "Après des entretiens avec Météo France, ça va être compliqué dans les années à venir. On va avoir des pluies décalées dans le temps et parfois plus intenses", indique Frédéric Vienne.

"Moins d'eau disponible dans les nappes, plus d'eau qui part à la mer, plus de chaleur, des événements climatiques plus intenses… Il y a et il y aura encore plus fortement des impacts, sur l'agriculture réunionnaise", note la coopérative Vivéa. "Il est quand même possible d'envisager des adaptations, mais il y a encore beaucoup de flous sur les équilibres."

Pour pallier cela, le président de la Chambre aimerait, pour les années à venir, "qu'il y ait une politique de stockage de l'eau pour pouvoir redistribuer l'eau récoltée le reste de l'année", la sécheresse s'annonçant pour durer.

- Un bouleversement qui rend les nuisibles plus résistants -

Avec le beau temps, les pluies, l'hiver doux… vient également l'apparition d'insectes de plus en plus féroces pour les arbres fruitiers et les plans de légumes.

"Plus il y aura des périodes de sécheresse et plus le risque de multiplication d'insectes va se présenter", indique Frédéric Vienne. "Là on est soi-disant en hiver et on a encore des températures de 28 degrés dans le sud et le nord, ça veut dire que les insectes peuvent se multiplier et se développer."

Parmi les insectes tant redoutés par les agriculteurs, la mouche des fruits et des légumes. "Avec cet insecte on a de gros soucis, notamment sur les productions de cucurbitacées, de melon, de pastèque ou encore de concombres", indique Frédéric Vienne. "Ces mouches font des catastrophes dans les champs."

Et pour l'heure, les agriculteurs n'ont que peu de solutions pour s'en défaire. "Le but ce n'est pas forcément les traitements chimiques, mais le piégeage, sauf que celui-ci doit être collectif. Il faut que les autorités laissent l'accès à ces pièges aux particuliers", indique le président de la Chambre. 

"Les agriculteurs ont toujours eu une capacité d'adaptation et cela reste vrai aujourd'hui. Pour faire face à ces changements climatiques, il devient crucial pour les agriculteurs de disposer de moyens de stockage d'eau et de systèmes d'irrigation performants", précise Éric Lucas, responsable de cellule diversification végétale. "Il est également important de leur permettre d'accéder à des structures telles que les abris climatiques, les serres anti-cycloniques et les serres utilisant des systèmes hydroponiques, qui sont plus économes en engrais et en eau. Ces solutions permettront aux agriculteurs de mieux faire face aux variations climatiques et de maintenir une production agricole plus stable."

- Fruits rares et prix en hausse -

Un choc thermique pour les fruits et légumes, couplé à l'inflation, qui n'augure pas de baisse de prix pour les mois et années à venir.

"Il est certain qu'à court terme, les fruits et légumes ne seront pas au même prix qu'il y a quelques années", déclare Frédéric Vienne, président de la Chambre d'agriculture de La Réunion.

"L'alimentation est essentielle mais face à l'inflation il faut que les agriculteurs s'y retrouvent", note Frédéric Vienne.

Après, il le dit, "au consommateur de décider quel prix il paye pour les légumes", en évoquant des tomates vendues plus chères en grande surface que chez le petits bazardiers.

De plus, le président de la Chambre d'agriculture invite les Réunionnais à consommer en fonction des saisons. "Là on a des aubergines à un euro, des patates douces, des choux, des agrumes", dit-il. "On a suffisamment de recettes dans notre cuisine pour adapter notre consommation aux saisons et aux fluctuations financières."

- L'agriculture, une filière en danger -

Face à la sécheresse, au changement climatique, à l'inflation, à la difficulté du foncier… la filière agricole paye un lourd tribut.

"La filière est en danger de chaque part", note Frédéric Vienne. Le président de la Chambre d'agriculture évoquant d'ailleurs son cas personnel. "L'an dernier j'ai fait trois tonnes de carottes mais pas cette année", dit-il. "Les coûts de production ont explosé et avec la disparition du désherbant je devrais arracher l'herbe à la main."

Une production locale en moins qui a des répercussions importantes sur le marché du commerce. Car "trois tonnes de carottes en moins, ce sont des tonnes en plus importées de pays où les normes françaises et européennes ne s'appliquent pas". Frédéric Vienne va même jusqu'à se demander "s'il n'y a pas un lobbying des importateurs pour tuer la filière".

Une filière également fortement impactée par le prix des intrants (engrais, insecticides, fongicides, pesticides…). "Il faut que les coûts de production reviennent à la normale", déclare Frédéric Vienne. "Les prix des matières premières, des fertilisants, des semences, ont augmenté de 50%", dit-il.

Face à la hausse du coût des intrants, la productrice du Jardin Maniron à l'Étang-Salé le dit, "il serait temps, si nous voulons survivre, de renoncer une fois pour tout à tous les intrants chimiques qui détruisent les sols et l'équilibre des écosystèmes". "En laissant s'installer une belle biodiversité, nous favorisons le développement d'espèces auxiliaires de culture comme les micro-guêpes et les coccinelles, qui permettent efficacement et durablement d'améliorer la qualité des plantations et de réguler les ravageurs", conclut Nathalie Millet.

"Il y a aura beaucoup de challenge à relever mais l'agriculture réunionnaise a toujours été une référence mondiale de production agricole dans son contexte insulaire et tropical", précise Vivéa.

ma.m/www.imazpress.com/redac@ipreunion.com

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