La seule de l'Outre-mer

Trou d'Eau : le saviez-vous, cette plage très prisée… est privée

  • Publié le 9 avril 2024 à 13:07
  • Actualisé le 9 avril 2024 à 14:09

Située sur le littoral Ouest de La Réunion, la plage de Trou d'Eau se situe dans le prolongement de la Saline. Plage de sable blanc, lagon turquoise protégé par la barrière de corail… si elle offre un cadre parfait pour se reposer ou pique-niquer en famille, saviez-vous que cette plage appartient à un particulier et pas à la commune saint-Pauloise? C'est la seule plage privée à La Réunion et en Outre-mer. Une plage dont l'histoire et le combat judiciaire autour d'elle sont dignes d'une télénovela mexicaine (Photo www.imazpress.com)

La plage de Trou d'Eau est d'ailleurs la seule plage privée de l'île, propriété de la famille Kichenin depuis 1973.

"C'était un terrain acheté par mes parents à la Saline les Bains au lieu-dit Trou d'Eau qui appartenait à un particulier", explique Maître Chendra Kichenin, fils des propriétaires, interrogé par Imaz Press.

- 1973... Trou d'Eau devient propriété de la famille Kichenin -

Un terrain bénéficiant d'un décret de 1922 et de la loi de 1955 qui régissait le domaine public maritime.

En 1922, l'État "avait pris la décision de déclasser la zone des 50 pas géométriques (zone entre le rivage et la mer où s'échouent les vagues) qui était auparavant dans son domaine public", explique l'avocat.

"Nul ne pouvait donc se prévaloir de quelconque propriété puisque c'était inaliénable et imprescriptible."

L'État "prend donc la décision de déclasser ses zones, les sortir du domaine public et mettre dans le domaine privé".

C'est comme cela que ces zones ont été vendues aux enchères et que la famille Kichenin a pu acquérir un terrain qui appartenait déjà à un particulier. "Mes parents ont acheté en 1973 ce terrain sur titre chez un notaire, comme une vente classique", explique Chendra Kichenin.

C'est alors que la famille se rend compte qu'en plus du terrain, "il y avait ce surplus de zone acheté sur titre". Un surplus qui correspond à la plage actuelle de Trou d'Eau.

- 1975, un combat judiciaire s'amorce entre la famille et l'État -

Si l'acquisition de cette propriété ne fut qu'une formalité, l'après ne fut pas de même. Face à l'État, la famille Kichenin a vécu des années de combat judiciaire.

"Ça a défrayé la chronique à une certaine époque mais c'est un combat de plus d'une vingtaine d'années voire une trentaine d'années", lance Chendra Kichenin. Un combat qui a commencé dès les années 1975, soit deux ans après l'achat du terrain par ses parents.

"En 1975, l'État a pris l'initiative d'engager un procès contre nous en disant que vous avez acheté un terrain mais que vous occupez illégalement le surplus (la plage)."

L'État assigne donc la famille Kichenin devant le tribunal en revendiquant la propriété du surplus et demandant l'expulsion des époux Kichenin.

Mais voilà… "un jugement de 1979 dit que non. Vous (l'État) avez été déclassés de la zone en 1922 et donc que cet espace fait l'objet d'une prescription". L'avocat expliquant qu'il existait une prescription acquisitive. C'est-à-dire qu'au bout de 30 années d'occupation, le propriétaire pouvait dire "ce surplus est à moi".

L'État fait appel de la décision. La Cour d'Appel de Saint-Denis confirme le jugement. Mais l'État n'a pas dit son dernier mot et se pourvoi en cassation. La Cour de cassation qui dans les années 80, 82, donne raison à la famille Kichenin.

"Le dossier est clos, les époux Kichenin sont propriétaires", indique Chendra, leur fils.

- 2001, le Conseil d'État donne raison à la famille -

C'est alors que se pose la question des limites du terrain. Où commence-t-il ? Où se termine-t-il ?

Le juge civil a désigné des experts pour établir des documents d'arpentage. Mais voilà, l'État une nouvelle fois, n'est pas d'accord "et a refusé de signer le PV de bornage", explique Maître Chendra Kichenin.

"Si l'État refuse, on ne peut pas le contraindre."

S'ouvre alors un deuxième volet en justice, concernant la fixation des limites. "Nous avons pris l'initiative d'assigner l'État."

Le juge civil a été déclaré incompétent pour fixer les limites du domaine public. Le tribunal des conflits a donc été saisi pour dire quel juge est compétent. Le juge administratif a été déclaré compétent pour statuer.

En 1995, "on va devant le tribunal de Saint-Denis qui donne cette fois-ci raison à l'État".

"On a perdu sur ce point mais nous avons décidé de faire appel devant la Cour d'appel de Bordeaux qui a confirmé le jugement", explique l'avocat. "On a fait ensuite un pourvoi en cassation devant le Conseil d'État."

"En 2001, le Conseil d'État a déclaré 'j'ai été saisi sur la question du juge compétent, pas pour dire si la famille Kichenin avait prescrit puisque cela a déjà été tranché." C'est alors que l'institution a donné raison à la famille "en disant que la borne va de tel endroit à tel endroit".

"Aujourd'hui, on est donc bien propriétaires de la plage", répète Chendra Kichenin.

- Trou d'Eau, une plage familiale -

Une plage privée dont la gestion revient donc à la famille Kichenin, avec le soutien de la commune de Saint-Paul.

Sur la plage de la famille Kichenin, il y a tout d'abord l'ancienne résidence de la famille, désormais mise en location, et des restaurants et activités nautiques.

Le restaurant O Zembruns loue depuis plusieurs années un bout de parcelle. "Nous avons un bail commercial permettant la mise à disposition de locaux commerciaux", explique le gérant. Un patron qui savait que cette plage est privée.

Mais face à la pression immobilière, à la hausse de fréquentation, aux voitures stationnées plusieurs jours… "on est en train de se concerter avec la mairie de la SPL Tamarun qui gère le domaine public pour voir comment on peut valoriser cette zone-là et la sécuriser", explique Chandra Kichenin.

"Il faut qu'on arrive à aménager le site et garder cet esprit créole, familial."

Ce qui est certain, c'est que la famille Kichenin "est fière du combat mené et du fait que cette plage – même privée – conserve sa vocation de plage créole, surtout que peu de monde croyait en cette cause-là".

ma.m/www.imazpress.com/redac@ipreunion.com

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13 Commentaires
bambino
bambino
1 mois

L'état n'aura qu'à faire jouer son droit de préemption à ce moment là et racheter le bien comme pour toute vente de foncier. Les propriétaires actuels doivent savoir pertinemment qu'ils ne pourront jamais vendre et préfèrent donc miser sur le locatif et l'aménagement concerté.

Hoareau
Hoareau
1 mois

Bravo au kichenin. Beaucoup de d'éléments de la vie créole et réunionnaise se pert a l'île de la réunion. Notre vie familiale d'antan. Il y a trop de béton trop d'urbanisation à outrance...

Satanou
Satanou
1 mois

Oui une plage créole
N'en déplaise à certains

Jiji
Jiji
1 mois

Et qui dans 20 ans sera sous l’eau 🤷🏽‍♂️

Olala
Olala
1 mois

Une plage où nena plastic à terre.

LG2
LG2
1 mois

Définition d’une plage créole ?

Sèry
Sèry
1 mois

Le bord de mer appartient à tous !
Ces propriétaires actuels Réunionnais comprennent la nécessité de laisser libre l'accès, mais s'ils le vendent à une firme touristique un de ces jours ? qu'adviendra-t-il ? On va faire comme à L'île Maurice ? L'accès uniquement aux consommateurs de l'hôtel ou des structures existantes ?
On est encore en France, il me semble ?
Là, band kréol va réveiller mi espèr !

KING-SOON
KING-SOON
1 mois

Merci pou cette histoire de not origine réunionnaise. Bravo à zot pou ce combat admirable. Moi en footing depuis des années sur cette portion de plage mi ler fière zordi de pouvoir y marcher et i fo ki reste kom ça. Une plage partagée par not savoir viv ensamb pas privatisée surtout.

Prisc
Prisc
1 mois

Il suffit de relire l'article pour comprendre pourquoi cet endroit est privé problème de compréhension ?

Jean Paul
Jean Paul
1 mois

Et ta maison ou ton appartement ou quelconque terrain en ta possession, à la base ce n’était pas de la nature ?

Fifi
Fifi
1 mois

Depuis quand une plage est privé ? La nature est devenue Privee , et bein di donc une plage n’appartient ni à l’état ni à un un privé pour moi

Qq1
Qq1
1 mois

Bravo à eux de laisser cet accès libre au public ! D'autres l'auraient gardé à leur seul usage privé...

Stean
Stean
1 mois

Merci Imaz. Cette histoire est en effet incroyable.