Courrier des lecteurs de Jean-Hugues Savigny

"Défiscalisation outre-mer : et si la farce avait assez duré ?"

  • Publié le 2 janvier 2013 à 05:30

"Le gouvernement aura-t-il en 2013 le courage d'engager la révolution fiscale outre-mer pour que cessent enfin le creusement des inégalités ?". Telle est l'interrogation de Jean-Hugues Savigny, dans un courrier des lecteurs. Il estime, en effet, que la "farce" de la défiscalisation outre-mer a "assez duré". Nous publions son courrier ci-dessous.

"A croire les échos des débats parlementaires sur la Loi de finances 2013, l’Outre-mer aurait eu droit de la part du gouvernement à une année de sursis avant une refonte en profondeur en 2014 de son système fiscal. Les quelques éléments qui vont suivre, extraits du rapport public annuel de 2010 de la Cour des Comptes évaluant la LOPOM (dite loi " Girardin " de juillet 2003), ses ajustements successifs dont la LODEOM (mai 2009) et accessoirement le " Scellier ", devraient permettre au lecteur de comprendre pourquoi l’initiative est bienvenue (Lire aussi à ce sujet la page 3 du n°4 du journal satirique local "le Tangue").

La voix de La Réunion, territoire le plus peuplé, sera évidemment très attendue. Principalement celle de ses parlementaires (11 nationaux, 1 européen) qui vont devoir s’exprimer publiquement. Des conférences économiques et sociales ont d’ailleurs été organisées pour élargir l’assise démocratique sur ces questions essentielles. Mais, ces dernières ont laissé l’impression d’une opération de com’ destinée à se donner bonne conscience notamment à ne pas être en dessous de la droite (avec ses états généraux de 2009) et à masquer l’évidente carence de projet socialiste local.

Idéologiquement, du point de vue de la contribution républicaine de chacun (ménages, entreprises) à la dépense publique, la défiscalisation est plutôt considérée comme un dispositif de droite, initié en 1986 (Loi " Pons ") mais largement adopté par la suite par les socialistes. Le dispositif vise, comme chacun le sait plus ou moins, à flécher par des incitations à réduction d’impôt sur les revenus (IR) et/ou sur les sociétés (IS) des capitaux privés (fond propre ou emprunt) vers des investissements productifs, des logements (d’abord en propriété dans le secteur libre et intermédiaire puis en locatif y compris dans le secteur social).

Aux autorités communautaires sont avancés des objectifs pléthoriques et très généraux comme la relance de l’investissement productif en outre-mer, le développement et l’amélioration de l’offre de logement, la compensation du surcoût des crédits bancaires, la difficulté d’accès aux crédits, la création d’emplois, etc.. Tel que conçu, la pertinence séparée de chacun des objectifs est n’est pas évaluable : son premier reproche ! C’est ainsi qu’à propos des opérations dites de plein droit (investissements plafonnés à 250 k€) qui concernent en 2010 plus de 55 000 télé-déclarations tout de même, le contrôle s’avère difficile, la Cour commence par signaler une " situation d’ignorance [qui perdure …] anormale ", ou encore que " plusieurs fraudes importantes ont été découvertes par les services fiscaux ".

Le second reproche est d’ordre culturel. Il soustrait les plus riches à leur devoir de solidarité alors même qu’ils profitent, de la naissance au trépas, et comme tout français de l’ensemble des biens et services publics (éducation, santé, sureté, …) et que, du strict point de vue comptable, ils devraient – sauf situation très particulière – rapporter plus à la collectivité qu’ils ne coûteraient.

L’impôt acquiert du coup dans les discours de la majorité de ceux qui ont connu l’avantage, ceux appartenant aux CSP favorisées, la réputation de premier responsable de la réduction du train de vie alors même que, résident local, ils détiennent déjà, au motif de " vie chère ", le privilège d’un abattement de 30% sur leur impôt sur les revenus quand les pauvres n’ont pas de semblable considération. Il y aurait donc là un travail de rééducation citoyenne impératif à entreprendre si l’on ne veut pas voir notre société poursuivre son fractionnement. Deux simulations sur l’IR établissent un avantage fiscal, l’un de 70 k€ et l’autre de 114 k€, étalé sur les dix années d’aide en faveur des résidents ultramarins face à leurs homologues métropolitain (même revenu, même structure de famille, acquisition d’un logement au même tarif (mais pas nécessairement de même nature). Soit peu ou prou une année de revenu, c'est-à-dire une situation de distorsions verticale et d’injustice horizontale qui mérite que le législateur s’y penche sérieusement.

Le troisième grief a trait aux effets sur l’économie principalement les effets secondaires. D’abord, la défiscalisation a renchéri le prix foncier à tel point qu’il a produit des effets d’éviction de ménages relevant du secteur libre vers l’intermédiaire et d’autres de l’intermédiaire vers le très engorgé logement social. Les endettements privés ont par ailleurs vu leur durée passer de 15 années à 20 voire 25 années pour les plus jeunes. Elle a institué une niche fiscale particulièrement attractive puisque " 10 689 foyers appartenant au décile des foyers disposant des plus hauts revenus imposables ont bénéficié de 93,2% de la dépense fiscale en 2009 au titre des investissements productifs (710 M€/761 M€) ".

Le comble est alors atteint à propos de la création des emplois. Sur les quelques 500 opérations agréées (investissements productifs supérieurs à 250 k€ ou opérations de logements supérieures à 2 M€), la DGFIP considère que " le coût pour le budget de l’Etat de chaque emploi direct créé aura été de 730 k€ en 2009 contre 343 k€ en 2006 " (tous avantages compris : réductions de charges sociales, abattement sur le résultat pour le calcul de l’IS, mécanisme de la TVAnpr). En prenant en compte la nature des montages des opérations, on note qu’" en 2009, pour aider à hauteur de 420 M€ les quelques 1,4 Md d’€ d’investissements productifs réalisés outre-mer, l’Etat a renoncé, en 2010, à 700 M€ de recettes fiscales. Sur ces 700 M€, 280 M€ ont profité aux seuls contribuables investisseurs. " On comprend mieux à cette aune pourquoi cette niche est aussi prisée par la poignée d’investisseurs et rentiers regroupés en lobby – la Fedom - dans l’intérêt d’une classe qui leur permet encore (pour combien de temps ?) de résister aux quelques récriminations parlementaires nationales ou à la vindicte populaire de plus en plus informée et exposée à l’austérité. Enfin, dans le cas des montages locatifs, l’INSEE estime qu’ " au plus 60% de la dépense fiscale bénéfice aux acteurs économique de l’outre-mer et au moins 40% aux contribuables (de métropole) qui défiscalisent ". Ainsi, malgré sa forte participation, l’Etat se passe de droits de propriété dans l’appareil productif local qu’il finance, se privant dès lors de pouvoirs notamment en matière de politique de recrutement au sein des sociétés.

En conclusion, au regard de son coût et de son manque d’efficacité, la Cour propose tout simplement sa suppression. Elle suggère son remplacement par un système d’aides directes pour répondre aux éventuelles insuffisances de fonds propres, de bonifications d’intérêts ou de garanties en matière financière, … Mais, la seule question qui mérite d’être posée est politique. Le gouvernement aura-t-il en 2013 le courage d’engager la révolution fiscale outre-mer pour que cessent enfin le creusement des inégalités ? Quelles opportunités nouvelles apportera outre-mer la décevante banque publique d’investissement ? Ou considèrera-t-il que la bataille contre la vie chère se suffit à elle seule ?"

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