Tribune libre de Isabelle Latchimy

Et si on se demandait plutôt pourquoi ceux qui gouvernent ont oublié le cœur de l’insertion ?

  • Publié le 12 mai 2025 à 09:30

Comment expliquer qu’on ait oublié l’essence même d’un dispositif qui, à l’origine, portait un nom simple et clair : Revenu Minimum d’Insertion. Puis, plus tard : Revenu de Solidarité Active.

1988 : naissance du RMI.
Un revenu, oui — mais aussi une promesse : celle d’un accompagnement vers l’autonomie, la reconstruction, un avenir.
Très vite pourtant, cette promesse a été abandonnée.
Pas de moyens, pas d’écoute, pas d’accompagnement.
On a donné un peu d’argent… mais aucun cap, aucun espoir.
On a oublié que sans lien, sans projet, sans confiance… on n’insère pas.
On apaise. On éteint. On gère. On assiste peut-être ….mais on n’accompagne plus .

2008 : création du RSA.
Présenté comme une avancée.
Mais sur le terrain ? Davantage de contrôles, des démarches alourdies, une pression constante.
Et toujours les mêmes murs : santé fragile, logement précaire, isolement, découragement.
Le RSA n’a pas réhabilité l’insertion. Il l’a transformée en gestion de dossier.
Une aide qui fait survivre, mais ne permet toujours pas de vivre.

Et aujourd’hui ?

On parle de “réformes ambitieuses”.
On invente des plans, des dispositifs, des parcours…
On multiplie les mots : coordination, accompagnement, activation, guichet unique.
Mais quand on regarde de près ?
On exige 15 heures d’activités obligatoires, qui se résument parfois à des ateliers vides, sans fond, sans transformation.
Des CV réécrits pour la 10e fois, des réunions pour meubler le temps.
On coche des cases. On occupe.
Mais on n’insère toujours pas.

Car l’insertion, la vraie, ce n’est pas du remplissage.
Ce n’est pas une ligne sur un planning.
C’est une attention. Un chemin.
Cela demande du lien, de la reconnaissance, du temps et de la confiance.
Pas juste des chiffres à produire ou des objectifs à remplir.

Et pendant ce temps, certains continuent de parler “d’assistanat”, de “paresse”.
Mais à qui la faute ?
À celles et ceux qu’on laisse seuls dans un système sans issue, ou à ceux qui ont construit ce système-là ?

Depuis des années, les plans se succèdent.
L’emballage change, les mots changent.
Mais la base reste la même : on gère la précarité, on ne la transforme pas.
On administre la pauvreté, on ne libère pas les gens.
Et parfois, on finit par oublier que derrière chaque heure imposée, chaque dossier rempli, il y a une vie. Une fatigue. Une dignité.

Alors, oui, il est temps de poser les vraies questions.
Et si, enfin, on cessait de faire survivre les plus fragiles… pour leur permettre de vivre dignement ?

Et si on reprenait le mot “insertion” au sérieux ?
Non pas comme une contrainte ou une punition.
Mais comme une promesse de justice, de lien, d’avenir.

Parce qu’au fond, comme le disait si justement Aimé Césaire :
“La voie la plus sûre pour perdre une cause, c’est de la défendre sans conviction.”

Isabelle Latchimy

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