Tribune libre de Jean-Claude Comorassamy

Le doux parfum souvenirs de l'Usine Sucrière de Stella !

  • Publié le 21 novembre 2019 à 09:36

Le musée de Stella n'est pas seulement l'histoire du patrimoine de l'Usine sucrière. C'est aussi l'histoire de beaucoup d'ouvriers qui ont sué très durement pendant des générations à planter et à couper la canne, à la charger et transporter en " charèts befs " ou encore à travailler sur des diverses machines à l'intérieur de l'Usine comme sur la grande plateforme réceptionnant des tonnages de canne. (Photo d'illustration rb/www.ipreunion.com)

C’est la raison pour laquelle, l’idée de balade en " charèt bèf " proposée par le Musée Stella Matutina de St-Leu le week-end dernier, nous a permis de nous replonger dans des souvenirs d’antan. Moi, qui a passé huit années dans cette Usine sucrière jusqu’à sa fermeture…. Pourtant, ce passé n’est pas si lointain où les " charèts bèfs " qui transportaient des chargements de canne à l’Usine pour la fabrication du sucre roux, où servant dans certaines occasions de transport familial, se voient aujourd’hui devenues une attraction pour les enfants, parents voire pour les touristes.

Événement qui était bien propice, pour aussi découvrir l’environnement du village Stella en " charèt bèf " à ciel ouvert et à entendre les souvenirs racontés par ce guide improvisé lors de cette promenade, pour y entrevoir l’histoire enfouie des " travayers tabisman, bitation " et le " kartié "….

Un passé au bon goût d’antan

Alors, nous voilà immerger dans le temps d’un moment, aux souvenirs parfumés de la fin de l’année 1977. Pendant que camions, tracteurs et charrettes bœufs, qui sont fleuris par des bouquets, du haut de leurs chargements de canne où sur les jougs des charrettes bien remplies, arrivaient les uns après les autres sur la grande plateforme où les cannes commençaient à se réduire drastiquement en cette fin de coupe. Les charretiers comme les chauffeurs s’apprêtaient à déposer leurs dernières récoltes sur la plateforme de l’Usine Sucrière de Stella. Un signe annonçant la fin de la campagne, jusqu’à l’arrêt des machines au fur et à mesure que la nuit s’approchait.

Tout cela dans une ambiance des plus conviviales de fin, mais dont personne ne savait que c’était pour la dernière fois que l’Usine de Saint-Leu broyait ces dernières cannes à sucre dont la fermeture de la campagne 1977 allait prendre fin en ce mercredi ou jeudi de décembre.

Une vue panoramique

Perchés du haut de la pièce du laboratoire où je travaillais avec mon collaborateur Jules, grâce à ces grandes baies vitrées, se dressait une vue imprenable aux scènes se déroulant à l’extérieur de la plateforme qu’à l’intérieur de l’Usine.

A ce moment là, les bruits grinçants des freins des charrettes des " gramounes " Coco, Dally et bien d’autres, remplies de cannes bien rangées et bien dépaillées, se font entendre en cet après-midi de jeudi, pour s’arrêter finalement quelques instants plus tard. C’est à cet endroit précis que les charretiers s’apprêtent à déposer par brassés leurs cannes sur le tapis roulant, tandis qu’Albert conducteur du pont roulant, à son tour avec les griffes de son grappin, dépose des gros paquets de cannes, afin que les longues tiges soient transportées puis morcelées, pénétrant étape par étape à l’intérieur de l’Usine pour être broyées.

De la canne en cristaux de sucre

A l’intérieur, c’est mon père Gabriel qui est à la commande du moulin depuis plus de quarante ans, contrôle l’acheminement de ces cannes vers le premier moulin pour débuter le processus d’extraction du jus sucré. Dans ces bruits infernaux, les broyages continuent. Les cannes passant de cylindres en cylindres, sont écrasées et le jus récupéré est envoyé dans des grands bacs, pour une longue décantation, puis chauffé et filtré.

Ensuite, dans différentes chaudières, le jus est concentré par divers chauffage pour obtenir du sirop de canne. Par la suite, dans l’appareil à cuire, ce sirop est encore chauffé pour une transformation du sirop en masse cuite. Cette masse cuite subit encore un chauffage et une malaxation régulière, puis rentre dans une des centrifugeuses.

C’est là que la masse cuite est essorée, permettant ainsi de séparer de la liqueur mère des cristaux de sucre (saccharose). Enfin, sur un tapis roulant que les cristaux sont évacués vers le séchage, puis déversés dans deux grands silos pour le stockage pour être transportés par camion au Port. C’est le sucre roux de la Réunion.

Hommage aux " travayèrs tabisman et bitation " de Stella

Avant que le clap de fin de cette saison sucrière s’achève sur une bonne note pour les " trayèrs tabismans ". Dans une joie débordante et d’immense bonheur, que nous avions fait mijoter une bonne soupe chaude à une heure du matin, que nous avions partagé avec quelques ouvriers. Mais surtout une fois de plus avec mon père Gabriel, lui qui était le "conducteur du moulin" à quelques dizaines de mètres du laboratoire où je travaillais. Des moments privilégiés de partage d’un fils à son père qui restent des instants inoubliables, plus de 41 ans presque jour pour jour. Ce travail de mémoire m’est devenu nécessaire pour  valoriser tout un pan de notre histoire. Car l’héritage ne doit pas sombrer dans l’oubli. A ce titre écrit Hegel " le musée est un acte de mémoire, une récollection du souvenir". Une manière de rendre un bel hommage à l’ensemble des " trayèrs tabismans et de bitation " de Stella St-Leu.

Jean-Claude Comorassamy

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