Tribune libre de Perceval Gaillard

La France doit renouer avec sa politique non alignée et indépendante au service de la paix

  • Publié le 10 mars 2025 à 11:58
  • Actualisé le 10 mars 2025 à 12:01

"Être un ennemi des Etats-Unis est dangereux mais être un ami est fatal" disait Henri Kissinger qui savait de quoi il parlait. Secrétaire d'État sous deux présidents américains (Nixon et Ford), architecte de la Realpolitik américaine pendant la Guerre Froide, il a joué un rôle de sinistre mémoire en Amérique latine en soutien aux pires dictateurs, Pinochet en tête, noyant ainsi dans le sang les révolutions progressistes du continent (Photo : www.imazpress.com)

Cette citation se confirme une fois de plus au sujet de la guerre en Ukraine. Comme attendu les Etats-Unis et la Russie s'entendent sur le dos de l'Ukraine tout en s'essuyant les pieds sur l'Union Européenne. La Russie va garder ses conquêtes dans l'Est du pays, l'Ukraine n'intégrera jamais l'OTAN mais à terme l'UE (ce qu'a toujours voulu le patronat européen, allemand en particulier) et les affaires continueront comme avant. Business as usual.

Trois ans de conflit, un million de victimes, dix millions de personnes réfugiées ou déplacées...tout ça pour ça. Coincée entre deux impérialismes, l'Europe continuera à se faire marcher dessus et à être incapable d'éviter ou d'arrêter des conflits sur son sol tant qu'elle continuera à prendre ses ordres à Washington comme elle le fait globalement depuis la fin de la seconde guerre mondiale ou à Moscou comme c'est le cas pour la Hongrie ou la Slovaquie plus récemment.

Les Européens de l'Ouest découvrent brutalement la manière dont les Américains traitent leurs vassaux, leurs laquais. L'Amérique du Sud connaît ça depuis 100 ans. Notre génération le découvre à son tour. L'objectif de Donald Trump est de détacher la Russie de la Chine, son véritable ennemi. Pour ce faire il est prêt à livrer l'Europe, qu'il méprise, à Poutine.

Il ne restera d'autre choix aux pays européens que de se soumettre totalement aux conditions humiliantes américaines, ce qui est déjà le cas pour l'Ukraine et ne va pas tarder pour les états baltes ou la Pologne. L'Allemagne, biberonnée depuis 1945 à l'atlantisme, ne sait déjà plus à quel saint se vouer. Elle cherche à obtenir la protection du parapluie nucléaire français même si tout le monde sait que c'est du bluff. Paris ne se fera pas vitrifier pour sauver Berlin, c'est une évidence. La dissuasion nucléaire ne marche que dans un cadre national. C'est valable pour Washington, Moscou, Pékin, Delhi, Paris bref pour tout le monde. De Gaulle n'a jamais cru au parapluie nucléaire américain, bien lui en a pris.

Que va faire la France seule vraie puissance nucléaire indépendante européenne, les Britanniques étant soumis à l'approbation américaine et leurs vecteurs ne marchant pas, face à ce retournement complet d'alliances ?

Les eurobéats et autres atlantistes nous ont conduit dans le mur, cela fait trente ans que nous le disons. Et ils semblent vouloir continuer. En jouant les va-t-en guerre alors qu'aucune armée européenne ne peut fonctionner sans les armes américaines, merci l'OTAN. En voulant envoyer des troupes sur place se faire tuer pour rien, ce ne sont pas leurs enfants qui meurent à la guerre. En augmentant drastiquement les dépenses militaires - prétexte à encore plus d'austérité (retraite à 70 ans, baisse des dépenses sociales, du financement des services publics) comme c'est déjà le cas au Danemark - qui ne serviront in fine qu'à acheter encore plus d'armes aux Etats-Unis donc à accroître encore plus notre dépendance vis-à-vis de Trump et compagnie.

De Gaulle a créé les conditions de notre indépendance et souveraineté. Il nous faut renouer avec sa politique indépendante et non alignée au service de la souveraineté française et du droit international. La France, seule puissance dotée en Europe, est en capacité de parler à tout le monde sans obéir à personne. Elle est en mesure de se faire respecter partout et tout le temps et de faire respecter, partout et tout le temps, le droit international et la paix.

C'est à ces conditions que non seulement nous assurerons notre sécurité (y compris dans l'Océan indien zone de tous les enjeux et de tous les dangers au 21ème siècle) mais également celle des pays qui voudront bien nous suivre. Sinon le grand partage continuera sans que nous puissions rien y faire et les guerres continueront à ensanglanter l'Europe et le monde.

La panique absolue qui s'empare de la plupart des chancelleries occidentales vient d'abord d'une absence totale de conscience historique. Nombre d'observateurs et d'acteurs, aux États-Unis y compris, font une erreur d'analyse majeure en comparant l'empire américain à l'empire romain. Dans sa structure et sa nature il n'a absolument rien à voir. En l'occurrence l'analogie "romaine" fonctionne mieux avec l'empire territorial russe qui se vit d'ailleurs comme une 3ème Rome qui a réussi (Rome/Byzance/Moscou) après les tentatives échouées de Sofia et Belgrade à l'être.

L'empire américain est une thalassocratie, la plus grande puissance maritime de l'histoire indubitablement. Donald Kagan, biographe de Périclès et promoteur de l'interventionisme américain, l'avait bien compris : Washington est la nouvelle Athènes (mais où sont les Phidias, Sophocle, Euripide ou Thucydide ?) et l'OTAN c'est la ligue de Délos.

J'invite les poissons rouges qui nous servent de "dirigeants" et "d'intellectuels" à regarder comment ont fini les vassaux qui se croyaient alliés d'Athènes ? À la fin de la Guerre du Péloponnèse Athènes, affaiblie par sa défaite, a survécu et continué à exister, Sparte et ses alliés ont ramassé la mise. Les "alliés" d'Athènes eux ont payé cash leur aveuglement.

Voici ce qui attend les pays européens suffisamment fous ou contraints pour avoir mis leur sécurité entièrement dans la main des USA, l'Allemagne en tête. L'empire américain est sur le déclin. Tout le monde le sait. Pour sauver ses positions, en particulier dans l'indo-pacifique, il sacrifiera ses vassaux européens. Le processus est déjà lancé. Tout le monde le voit.

Grâce à De Gaulle nous sommes les seuls en Europe à pouvoir éviter un tel destin. Encore faut-il le savoir, le voir et le vouloir. Vaste programme. Hors de portée des laquais biberonnés à l'atlantisme qui nous servent de "dirigeants". Même humiliés, même sacrifiés, même rabaissés ils retournent sempiternellement dans leurs niches.

La France n'est pas un pays européen ou occidental. Elle est présente partout dans le monde. Par ses révolutions, aussi imparfaites soient-elles, elle a ouvert une nouvelle ère historique qui n'est pas encore finie. Si le peuple français le souhaite il se donnera des dirigeants conscients et capables de la mener sur le chemin de l'indépendance, du multilatéralisme et de la sécurité. Sinon nous sombrerons tous dans le sillage des autres membres de la ligue de Délos.

Perceval Gaillard
Député de La Réunion
Membre de la Commission des Affaires étrangères à l'Assemblée nationale

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2 Commentaires
Kaz
Kaz
3 semaines

En 2009, Sarkozy a décidé de faire de la France un vassal des Etats Unis et depuis chaque Français le paie cher dans tous les domaines même quotidiens avec main mise américaine sur tout qui annihile notre pays! Il faut que la France se retrouve!

Solange
Solange
3 semaines

Occupez-vous des dégâts cycloniques dont les nombreuses toitures ont été emportées par Garance et des champs de plantations agricoles dévastés. Des sinistrés recherchent des logements....etc, etc au lieu de L'Ukraine. Votre courrier est mal venu devant l'urgence de la Réunion. Soyez utile pour une fois à la population M. Perceval.