Tribune libre de Youssouf Omarjee

Rétablir la légitimité démocratique

  • Publié le 11 juin 2024 à 15:56
  • Actualisé le 11 juin 2024 à 16:00

Le "raz-de-marée Bardella est passé par là ce week-end et n’a pas manqué, pour ainsi dire, nos rivages. A vrai dire, pour relativiser, à La Réunion, si l’on tient compte des suffrages exprimés (24,57 %) et si l’on additionne les pourcentages de la liste Bardella (31,71 %) et ceux de Marion Maréchal (5,68%), nous nous retrouvons seulement avec 9,18 % des suffrages qui ont traduit un ras-le-bol de la vie politique actuelle par les électeurs et leur refus du marasme social dans lequel nous sommes sévèrement plongés. Tandis que certaines voix clament que les citoyens n’ont plus foi en la politique, d’autres réclament qu’on entende et respecte le verdict des urnes. (Photo photo rb/www.imazpress.com)

Cependant, le divorce des citoyens remonte au soir du 27 Avril 2002 lorsque s’ouvre un second tour inédit entre feu Jacques Chirac et Jean-Marie Le Pen. Depuis, le fossé n’a cessé de se creuser, surtout depuis 2007, avec l’irruption de la notion de « pouvoir d’achat » promue par le Président Nicolas Sarkozy, une notion au sujet de laquelle « plus on en parle, moins on en voit la concrétisation ».

Pour revenir donc aux Européennes, avec 38 listes qui ont concouru, on peut clairement dire que « trop de démocratie a tué la démocratie ».

Aujourd’hui, plus que de dissolution, nos concitoyens ont besoin de renouvellement de la classe politique et des méthodes de faire de la politique afin de redonner de l’appétence pour la chose politique. Dans un monde qui se modernise, dans une époque où l’on veut appliquer les dogmes du secteur marchand aux services publics, dans un moment d’effondrement continu de notre système éducatif et de son incapacité à maintenir son rang dans les classements successifs de l’enquête de performance PISA, face à l’inquiétude grandissante du phénomène rampant de la délinquance, face aux violences socio-économiques, il est urgent de réconcilier les jeunes et tous les jeunes, des villes comme des banlieues, (décideurs et/ou acteurs de demain) avec la chose politique.

Au-delà, il y va de la question de la centralité du citoyen dans la vie politique, un citoyen bénévole non reconnu et honoré comme il se doit, un citoyen militant de base, pour la plupart du temps, non associé à la réflexion politique de fond, un citoyen à qui l’on promet ce que l’on ne peut donner par la suite, un citoyen surdiplômé et frustré soit de ne pas trouver du travail, soit d’être surdiplômé, soit d’avoir effectué les mauvaises études qui ne mènent sur aucun métier tangible, viable, durable et duquel on peut sortir, par le haut, de la logique de survie.

C’est pourquoi, afin d’enrayer le délitement constant du tissu politique et corrélativement de son durcissement autour d’une seule et unique idéologie consistant à la stigmatisation systématique de tous et de toutes, à l’affrontement des uns contre les autres, à l’opposition entre banlieues « hostiles » et « villes à protéger », il convient de prendre plusieurs mesures.

La première mesure serait celle de rendre le vote obligatoire, la seconde serait celle de faire le choix du vote électronique (on fait quasiment tout de manière dématérialisée aujourd’hui), la troisième serait de créer un espace de dialogue permanent avec les élus au travers de la mise en place de la« permanence parlementaire virtuelle », la quatrième consisterait à inciter les parlementaires à organiser des webinaires régulièrement via LinkedIn, la cinquième mesure porterait sur les élections, européennes d’abord, en tenant compte, pour la prochaine fois, de la possibilité d’une candidature pour les seules listes ayant obtenu au moins 5 % des voix en 2024.

Quant aux autres listes, un tirage au sort, ne retenant que 3 listes (ayant réalisé moins de 5 %), pourrait se faire en 2029. S’agissant des élections municipales de 2026, il conviendrait d’avoir des élus différents au sein des intercommunalités que les élus communaux, même s’ils seraient élus lors des mêmes scrutins sur des listes dissociées. La sixième mesure porterait enfin sur l’introduction d’un pourcentage de la population (10 % des élus) tiré au sort venant compléter les conseils municipaux.

La septième mesure serait de proposer des supports multimédias intelligents aidant à comprendre les enjeux des problématiques sociétales et à objectiver les débats plutôt qu’à les enfermer dans une doxa uniquement diffusée par des « médias d’opinion mainstream » qui ne cessent d’orienter les débats et de réduire l’analyse politique au commentaire du fait-divers. La huitième mesure consisterait à ne pas se fonder seulement sur les sondages d’opinion pour se forger sa propre idée. La neuvième mesure tendrait à instaurer l’obligation d’une newsletter électronique sur le site de l’Assemblée Nationale, d’un bilan, à chaque anniversaire de mandat, pour chaque Député afin de bien mesurer l’activité de chaque parlementaire.

Enfin, il est urgent de prendre concrètement des mesures qui tendent au blocage du prix des loyers, de libérer le petit entrepreunariat de proximité de toutes les entraves fiscales ou encore de penser au fait que beaucoup de ménages sont en train de ployer sous le poids des prix de plus en plus exorbitants de l’énergie en le déconnectant de mécanismes complexes de calcul. Il faudrait aussi, pouvoir, dès les premiers signes de décrochage scolaire, réorienter systématiquement les jeunes vers les voies de formation adaptées à leur profil (RSMA, CFA, Ecole de Métiers). De même, à la politique pénale répressive et inefficace autour de la délinquance juvénile devra se substituer l’inscription du jeune dans un parcours d’apprentissage au travers d’une intégration au sein des Armées. Tout comme, tous les moyens financiers devraient pouvoir être mobilisés pour mieux accompagner la jeunesse des banlieues qui dispose d’un parcours scolaire exceptionnel.

Aussi, il convient d’introduire massivement des cours de théâtre à l’instar de la prise en compte de méthodes innovantes pour l’apprentissage de langues étrangères, qui misent davantage sur les « savoir-faire » et « savoir agir » que sur les seuls savoirs purement conceptuels. Par ailleurs, la création d’emploi ne viendra que d’une meilleure embellie économique dans laquelle chacun(e) doit pouvoir trouver son compte afin de prendre un emploi dignement rémunéré ou de créer une entreprise (artisanale, semi-industrielle, de services, culturelle, de conseils, sportive) pérenne sans se retrouver, de suite, face à une montagne de dettes impossibles à régler.

Sans la mise en place d’un prêt bancaire éthique pour les primo-entrepreneurs, on ne parviendra pas à les sauver avec la même énergie qu’on a mise dans le sauvetage des grosses entreprises durant la pandémie. Il faut donner leur chance aux jeunes, qui doivent être la priorité de chacun d’entre nous (institutions aussi bien qu’individus). Ils ont besoin de s’intéresser sérieusement à leur avenir, de le préparer consciencieusement et de bénéficier de tous les rouages existants dans les réseaux à même de mieux porter leurs rêves, de fortifier leurs ambitions, de préciser leurs désirs d’avenir en faisant en sorte qu’ils empruntent les bonnes voies et se retrouvent au sein des formations qualifiantes, reconnues et d’excellence pour être en mesure de faire la preuve de leurs talents et de leurs compétences, le moment venu.

Youssouf Omarjee

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