Tribune libre de Christophe Girardier

Vie chère en outre-mer et à La Reunion : "Ne pas rester sur l’écume des vagues"

  • Publié le 16 juillet 2023 à 11:59
  • Actualisé le 16 juillet 2023 à 12:15

Christophe Girardier, président de Bolonyocte Consulting et auteur de 3 rapports rendus à l’OPMR de La Réunion, de 2019 à 2022, notamment le dernier publié le 17 octobre 2022 dressant un état des lieux du marché de la distribution généraliste deux ans après le rachat par GBH de Vindemia, a été entendu par la Commission d’enquête parlementaire sur la Vie chère en outre-mer. A cet occasion il a donné son analyse des causes réelles de la vie chère en outre-mer et proposé aux membres de la commission de réformer profondément le cadre réglementaire pour démanteler et lutter contre les situations de concentration des marchés et établir un nouvel ordre économique favorisant le pluralisme concurrentiel. (Photo photo Sly/www.imazpress.com)

Non, le facteur de l’éloignement des territoires d’outre-mer, n’est pas le facteur principal, c’est bien le modèle économique qui y est en place et ses effets concentrateurs qui est le déterminant majeur.

L’éloignement des territoires d’outre-mer, les frais d’approches qui en résultent et l’octroi de mer, considérés par la plupart des acteurs entendus, comme la cause principale de la vie chère, ne sont pas de loin les facteurs déterminants, si la commission ne retenait que ces causes, elle resterait sur l’écume des vagues.

Le facteur déterminant de la vie chère en outre-mer est en réalité le modèle économique et social appliqué à ces territoires, qui n’a jamais rompu avec les principes de « l’économie de comptoir », où prévalent des situations de domination extrême des territoires, par quelques acteurs à structure conglomérale.

En substance, les déterminants de la vie chère sont à rechercher dans les réalités structurelles suivantes des territoires d’outre-mer : 

- La France a répliqué en Outre-mer le modèle de développement de la métropole, ce modèle dont les effets ont déstabilisé l’équilibre économique, social et même environnemental de ces territoires en ce qu’il n’ont pas créé suffisamment de valeur pour les populations locale, n’est pas adapté à leurs nombreuses spécificités en particulier pour ceux insulaires

- Un des marqueurs les plus structurant de ce modèle, le secteur de la distribution avec le développement excessif des grandes surfaces, concentrateur par essence, qui a sinistré le tissu majeur du commerce de proximité et tout son écosystème de production local fondée sur des petites ou micro exploitations

- Autre marqueur, le modèle économique des grandes surfaces fondé notamment sur le principe des marges arrières excessives, qui par ses effets inflationnistes, est une des causes majeures et structurelles de la vie chère

- Effet de l’application d’un tel modèle économique en outre-mer et par voie de conséquence facteur majeur de la vie-chère : l’hyper-concentration des marchés du secteur de la distribution et de la grande consommation, et façon générale de la plupart des marchés structurant l’économie : l’énergie, les transports, la distribution, le BTP, et même la production agricole

- Autre marqueur de ce modèle économique et déterminant de la vie-chère, la constitution de véritables conglomérats, décuplant le pouvoir de marché des acteurs exerçant une quasi domination de l’économie des territoires au détriment des autres acteurs, de leurs équilibres économique, comme de leur attractivité

- Enfin facteur majeur de la concentration des marché, l’inadaptation et même le non-respect par l’Autorité de la concurrence et désormais par le conseil d’état, du droit de la concurrence

A cet égard, alors même que les dirigeants de GBH ont affirmé dans leur audition devant la Commission que : « la part de marché de l’enseigne Carrefour serait après l’opération de rachat de Vindemia, de 28, 6 %, soit moindre que celle de 33% que détenait Vindémia avant l’opération », « le marché de la distribution généraliste à La Reunion ne se serait pas concentré, qu’il n’existerait aucun duopole », « Que les enseignes Leclerc et U talonneraient Carrefour et que de ce fait le marché serait beaucoup plus concurrentiel et dynamique qu’il ne l’était avant l’opération», Christophe Girardier à maintenu les chiffres de son rapport à l’OPMR et a indiqué que :

A fin 2022 GBH (Carrefour) se trouve bien en position dominante avec une part de marché en chiffre d’affaires d’environ 37 % (bien loin des 26,8% et beaucoup plus que la part de marché de Vindémia avant l’opération, contrairement aux affirmations de GBH).

Cette monté en puissance du groupe GBH, s’est bien accompagné de la formation d’un duopole avec Leclerc, enseigne qui atteint elle une part de marché d’environ 29%, soit de 7 à 10 points inférieure à celle de GBH . Ce duopole effectif totalisant à lui seul les 2/3 du marché.

Le troisième acteur U, n’atteint qu’environ 15% de part de marché (et non pas 21% comme le prétend GBH) avec une différence de 22 points avec le premier. Tous les autres acteurs sont relégués à moins de 10%, Leader Price occupant la quatrième place avec environ 8% de part de marché (et non pas 17% comme le prétend GBH), devant Run Market qui est relégué à environ 5% (et non pas 11% comme le prétend GBH) ce qui a notamment expliqué les graves difficultés financières de cet acteur.

Au final, l’opération de rachat de Vindémia par GBH, à l’inverse des affirmations de GBH, a conduit objectivement à un renforcement très significatif du niveau de concentration du marché, clairement défavorable au pluralisme concurrentiel.

L’impérieuse nécessité d’une réforme profonde du cadre réglementaire pour démanteler, lutter contre les situations de concentration des marchés et établir un nouvel ordre économique favorisant le pluralisme concurentiel : la limitation à 25% des parts de marché des acteurs, l’interdiction des conglomérats, la limite à 1500 m2 de toute surface commerciale et l’encadrement des marges arrières.

Comme l’avait pourtant annoncé le premier rapport de Bolognyocte rendu à l’OPMR en juin 2020, deux années après son exécution, l’opération de rachat de Vindemia, a permis une montée en puissance du groupe GBH inédite dans un département d’Outre-mer portant son chiffre d’affaires global à La Réunion à 1,8 milliard d’euros, représentant environ 45 % des dépenses de consommation courantes des ménages réunionnais. Outre ce renforcement très significatif de l’emprise de GBH sur l’économie réunionnaise, cette opération a favorisé une concentration accrue du marché aval de la distribution généraliste par l’émergence d’un duopole Carrefour- Leclerc, totalisant les 2/3 du marché, solide et durable dont l’emprise pourrait s’accroitre davantage et devenir irréversible.

Les remèdes de nature structurels proposés par le groupe GBH et qu’avait accepté l’Autorité de la Concurrence, se révèlent aujourd’hui non seulement totalement inopérants pour neutraliser les atteintes à la concurrence de l’opération de concentration, mais ont induit l’effet inverse et sont à l’origine d’une concentration accrue d’un marché.

Cette opération de concentration de grande ampleur qui s’est traduite par un bouleversement et un déséquilibre durable de l’économie du territoire, est ainsi symptomatique des limites d’un modèle économique en vigueur à la Réunion, qui n’a en réalité jamais rompu avec les principes de l’économie comptoir, où prévalent des situations de domination extrême des territoires, par quelques acteurs à structure conglomérale.

Elle devrait marquer une prise de conscience collective des pouvoirs publics et des parlementaires de l’urgence de mettre fin à ce modèle économique à bout de souffle et les inciter à réformer profondément le cadre réglementaire de l’organisation de l’économie des territoires d’Outre-mer insulaire et du contrôle des concentrations dans ces mêmes territoires.

Sur ce terrain réglementaire Christophe Girardier préconise les réformes suivantes qui pourraient faire l’objet d’un projet de loi ou bien s’insérer dans le code du commerce par voie d’amendement.

De telles propositions créeraient le cadre légal de prévention des phénomènes de concentration extrême et de démantèlement des situations de domination existantes ou des structures à intégration verticale constituant des verrous de marché :

- Interdiction de l’implantation de surfaces commerciales de plus de 1 500 m2 avec instauration un contrôle renforcé par la CDAC de l’environnement concurrentiel au niveau des zones de chalandise

- Limitation de la part de marché des acteurs de tout secteur de l’économie, exprimée en proportion du chiffre d’affaires, à 25%. Cette disposition particulière serait accompagnée d’un dispositif de mesure objective, de contrôle des situations existantes et de prévention des situations de concentration excessive.

- Interdiction pour les marchés de la distribution généralistes ou spécialisées des structurations « verticales » des acteurs et donc la présence d’un même acteur sur les marchés amont et aval

- Taxation des grandes surfaces au-delà de 2000 m2, au profit d’un fond dé développement de l’économie locale, dont la gestion serait confiée à l’exécutif régional

- Mise en place d’une encadrement des marges arrières appliquée dans la distribution, en les limitant et en imposant leur réintégration dans la facture d’achat

- Application de la loi EGALIM dans les départements d’outre-mer selon un régime adapté aux outre-mer

- Création d’une « Autorité de La Concurrence indépendante dans chaque département d’outre- mer » à l’instar de celle instaurée en Nouvelle Calédonie et en Polynésie

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