Littoral réunionnais

Érosion des côtes : où vont les plages ?

  • Publié le 23 mai 2010 à 05:00

Le littoral réunionnais s'étend sur 210 kilomètres ; c'est 25 km de plages de sable blanc, corallien, 14 km de plages de sable noir, 93 km de falaises rocheuses, 59 km de côtes de galets, 13 km de côtes rocheuses plates, 8 km de cordons littoraux alluvionnaires et 3 étangs littoraux (Bois Rouge, Saint- Paul et le Gol). Derrière ces chiffres, se cache une réalité "préoccupante" selon Roland Troadec, géologue, chercheur associé à l'Université de la Réunion et spécialisé dans la dynamique des littoraux. En effet, les littoraux réunionnais qui bénéficient d'une biodiversité unique en termes de faune et de flore, sont affectés par de profondes mutations. Attractivité résidentielle, économique et touristique, pression anthropique, artificialisation croissante, pollutions, réchauffement climatique :, la vulnérabilité du littoral se fait de plus en plus apparente. Selon Roland Troadec, l'homme est un "élément déclencheur et aggravant " de l'érosion des zones basses littorales. Le chercheur tente de répondre à la question : comment faire pour ne pas en rester là ? Entretien.

* Les 208 km de côtes réunionnaises sont soumises à l'agitation marine : un phénomène naturel qui résulte des actions combinées des vagues, du vent, des courants. Cette dynamique, par l'érosion, affecte cependant la fragilité de certains espaces aux enjeux majeurs...

- L'érosion pose de graves problèmes sur les littoraux meubles (côtes de galets, plages de sables volcanique et corallien). Ces espaces sont aussi vulnérables et menacés qu'il sont stratégiques. En effet, ils concentrent une grande part des activités humaines. De plus, ils représentent une interface entre milieu naturel et milieu aménagé. La pression humaine se fait de plus en plus grande ; elle accélère le "grignotage" des zones côtières. Les erreurs d'aménagement sont telles que, même si la surélévation du niveau marin, corollaire du changement climatique, n'existait pas, cette pression expliquerait à elle seule l'érosion côtière à la Réunion.

* Ces côtes sont donc sujettes à la double menace de dangers venant de la mer mais aussi de la terre...

- Sur les littoraux de type "plage" de nombreuses constructions sont installées sur le territoire de la mer ; là où elle ne devraient pas. Ces espaces sont épisodiquement concernés par les aléas naturels marins. Le plus grave, c'est qu'avec ces espaces confisqués à la mer, il manque quelque chose à ces littoraux pour pouvoir se défendre efficacement contre les attaques des vagues de tempête. Le risque et la menace sont ainsi accrus par l'homme qui empêche de ce fait le maintien du littoral en bon état d'équilibre. Au final, l'homme se met en danger lui-même.

* Vous évoquez des constructions qui ne sont pas là où elles devraient être. Quelle est la réglementation en la matière ?

- La plage se divise en trois zones : un compartiment sous-marin (l'avant-plage), la plage en elle-même où nous allongeons notre serviette et l'arrière-plage avec son stock sableux végétalisé. Ce stock sédimentaire doit rester à la disposition de la plage pour sa régulation naturelle en cas de gros événements naturels. Si l'on fait le bilan aujourd'hui, un espace d'environ 100 mètres à partir du rivage de la mer aurait dû rester libre et demeurer dans le domaine public maritime (DPM) qui dans le principe ne peut être ni vendu, ni cédé. Le trajet de l'ancienne voie ferrée dans l'ouest de l'île correspond à peu près à la ligne qui limite cet espace et qu'il aurait fallu respecter. Avec la loi "Littoral des DOM" de 1996, le législateur a souhaité évoluer vers une gestion durable de la bande littorale côtière dite "zone des cinquante pas géométriques" (ZPG) (ndlr - pas du Roi, calculée sur la base d'un pas égal à 2,5 ou 3,5 pieds selon l'époque puis dénommée "cinquante pas géométriques") ; zone très sensible dans les espaces insulaires étroits. Mais de la théorie à la pratique !...

* Vous l'avez dit, l'homme a une responsabilité dans l'aggravation de l'érosion des zones basses littorales. Comment l'impact anthropique agit-il sur ces zones côtières ?

- L'homme, de par ses activités, perturbe des phénomènes naturels et contribue ainsi au déséquilibre du milieu littoral. Son action peut être directe, comme dans le cas des prélèvements de matériaux sur les plages ; du sable ou du corail mort. Elle peut être aussi indirecte par une artificialisation grandissante du littoral qui modifie les transferts sédimentaires côtiers ou par une limitation des apports en sédiments par des extractions d'alluvions dans les rivières ou bien encore par une dégradation des récifs coralliens...

* Vous signalez que le problème de l'érosion des littoraux meubles coralliens a une nature double : il n'y a pas assez de sédiments produits et les aménagements de l'homme entravent le fonctionnement naturel de ces espaces...

- La plage est un milieu fluctuant, mobile dont les sédiments sont soumis à deux types de mouvements : des mouvements "dans le profil" (de haut en bas et inversement) et des mouvements longitudinaux (le long de la plage). Selon le fonctionnement normal, les apports de sédiments complètent les départs. Quand une plage se maintient, c'est que la zone "source" de sédiments se porte bien. Mais si l'on considère la production actuelle des récifs coralliens, la vision est plus pessimiste. Il n'y a plus assez de sédiments pour compenser les pertes. De plus, lors de phénomènes cycloniques ou de forte houle, les vagues passent plus aisément au-dessus d'un récif dégradé et déferlent activement sur la plage. Il en résulte une érosion naturelle importante qui se manifeste par le départ du sable au large. Les racines apparentes des filaos à l'Ermitage en sont un témoignage. Par ailleurs, lorsque le sable est transporté au large de la barrière corallienne, il ne peut pas revenir sur la plage car le relief du récif l'en empêche. L'érosion apparaît inéluctable.

* Les plages tendent donc à disparaître...

- Les aménagements urbains, la pollution, les infrastructures de bord de mer, la végétation inadaptée font en sorte que le littoral corallien n'offre plus la résistance nécessaire aux attaques des vagues qui se font plus violentes. La fuite des sédiments est accélérée. Un exemple probant de ce phénomène : lorsqu'un mur est construit à proximité de la plage, lors des fortes houles, les vagues viennent s'y heurter. L'énergie de la vague ne se dissipe pas en "mourant" sur le sable, comme sur une plage où il n'y a pas d'obstacle. Là, l'eau rebondit sur le mur, crée un ressac turbulent qui emporte le sable vers le large. Autre exemple : tout le littoral saint-leusien, du sud au nord, montrait une plage corallienne de "sable blanc" quasi continue avant que la construction du port ne vienne entraver le déplacement longitudinal du sable vers le nord.

* Chacune des infrastructures construites sur le littoral a des répercussions. Il y a des zones où il a même fallu intervenir à grand renfort de tétrapodes et de blocs rocheux pour ralentir l'érosion...

- D'emblée, c'est la zone littorale de la Pointe des galets qui me vient en tête. La construction du port a interrompu le transit de sédiments en provenance de la Rivière des galets. Au nord, il a fallu artificialiser la côte à proximité du dépôt de la SRPP pour la protéger du recul littoral qui l'affectait. Les zones problématiques, ce sont des zones comme le littoral nord de Saint-Denis, la baie de la Possession... Elles souffrent des entraves créées au déplacement des sédiments par des aménagements lourds comme la piste longue de Gillot, l'endiguement des ravines de Saint-Denis, la route du littoral... Je ne remets pas en cause ces aménagements, mais ils conduisent à accroître l'artificialisation de littoraux qui au départ ne le nécessitaient pas. À notre décharge, avant la ruée "pied dans l'eau des années 70", on peut dire que nous avions moins de connaissance sur les problématiques de l'érosion. La loi Littoral n'a pas vraiment été respectée, on peut même parler de laxisme. Mais il y a 50 ans, les habitants de la côte n'avaient construit que des cases légères, sans murs d'enceinte. Aucune comparaison avec ce qui existe aujourd'hui.

* Comment l'homme peut-il faire pour ne pas rester facteur aggravant ?

- Je pense qu'il ne faut surtout pas recommencer ou continuer les mêmes erreurs. Il faut développer le plus possible des systèmes de défense douce pour les littoraux voire ne pas hésiter à abandonner les zones critiques du littoral. Les défenses lourdes (enrochements, tétrapodes) ne doivent être réservées qu'aux situations d'extrême nécessité car ces techniques sont onéreuses et ne font que déplacer le problème de l'érosion. Par contre, pour la revégétalisation, il ne faut pas tomber dans l'excès de vouloir retenir les sédiments à tout prix. Il faut installer des plantes qui stabilisent les sables face aux effets du vent, mais qui leur laissent la possibilité de se mouvoir pour répondre aux déferlements. C'est essentiel ; en cas de déferlement de vagues de tempête, le sable des parties hautes de la plage doit pouvoir être tracté par la mer pour créer un relief sous-marin (des barres) qui repousse alors les déferlements vers le large.

* Selon vous, les experts sont-ils assez consultés dans le cadre des projets d'aménagements lancés sur l'île ?

- Pas assez selon moi ; surtout face à la multitude d'aménagements privés en bordure de plage. Pour les grands dossiers, ils sont généralement présentés à des structures d'analyse et de conseil (Conseil scientifique régional du patrimoine naturel, Commission des sites, de la nature et des paysages...) qui peuvent émettre un avis à l'intention des "grands décideurs". Avis qui pourra être suivi ou non... Ce qu'il faut vraiment avoir en tête, c'est que si les changements du littoral peuvent être spectaculaires, l'évolution littorale dans son ensemble est un processus long. Il faut mettre ce temps à profit pour trouver des solutions pour au moins ralentir le phénomène. Je suis peut-être pessimiste sur ce sujet, mais non défaitiste. Il faut être pragmatique, ne pas baisser les bras. Il faut que ceux qui ont le pouvoir de décision fassent en sorte que cela suive et sans distorsion. Un exemple : la Réserve naturelle marine qui s'étend sur 40 km de côtes du Cap La Houssaye (Saint-Paul) à la Roche aux oiseaux (Etang Salé), créée en 2007, protège les plans d'eau littoraux, mais ses prérogatives ne lui permettent pas de prévoir quoique ce soit pour garantir la préservation physique des plages, qui sont pourtant parties intégrantes du domaine publique maritime. Étonnant, non ?

Annabelle Ovré pour
guest
2 Commentaires
Mélo
Mélo
6 ans

Du coup 212 km, non ?

sterne
sterne
10 ans

merci pour ces très claires explications.