Justice

27 ans de réclusion demandés contre l'accusée de l'incendie de la rue Erlanger

  • Publié le 23 février 2023 à 02:25
  • Actualisé le 23 février 2023 à 06:10

Vingt-sept ans de réclusion criminelle ont été réclamés mercredi contre l'accusée au procès de l'incendie de la rue Erlanger, à Paris, qui a causé dix morts et des dizaines de blessés en 2019, des réquisitions fustigées comme "déshumanisantes" par la défense.

L'avocat général a admis que le discernement de l'accusée, Essia Boularès, était "altéré" au moment des faits, comme l'ont conclu deux expertises psychiatriques.

Mais il a demandé au jury de ne pas appliquer la réduction de peine permise dans ce cas par le code pénal, "au regard de la gravité extrême de la tragédie" provoquée par son "action volontaire, vengeresse et disproportionnée".

Le représentant de l'accusation a demandé que la peine soit assortie de 18 ans de sûreté et de 15 années de suivi socio-judiciaire, comportant une obligation de soins et d'indemnisation des victimes.

Essia Boularès, une femme de 44 ans qui souffre d'addictions et d'importants troubles psychiatriques, a reconnu avoir mis le feu dans son immeuble du XVIe arrondissement de Paris la nuit du 4 au 5 février 2019, après un différend avec un voisin.

Les fumées toxiques et les flammes avaient envahi en quelques minutes les huit étages de cet immeuble ancien en fond de cour, difficile d'accès pour les secours, piégeant de nombreux habitants dans leur appartement.

"Les incendiaires" font partie des criminels "qui troublent le plus gravement l'ordre social", a affirmé l'avocat général, comparant la scène vécue cette nuit-là - les cris, l'attente, l'intervention des pompiers et des forces de l'ordre - à celle d'un "attentat terroriste".

- "Un peu de nuance" -

Si Essia Boularès a bien "une personnalité complexe", sa décision de mettre le feu n'est ni "un geste délirant", ni "un geste impulsif", mais le résultat de "sa colère non maîtrisée et exacerbée par son alcoolisme", a estimé Rémi Crosson du Cormier.

Dans une plaidoirie à deux voix, les avocats d'Essia Boularès ont cherché à démonter des "réquisitions déshumanisantes", invitant la cour à injecter "un peu de nuance dans ce dossier".

Léa Hufnagel s'est attachée à définir le trouble "borderline" diagnostiqué à Essia Boularès, "une maladie grave", dont les symptômes ne sont "pas causés par la prise de stupéfiants", comme cela a pu lui être reproché pendant les débats.

Alors qu'Essia Boularès enchaînait depuis l'adolescence cures de sevrage et internements sous contrainte, l'avocate a aussi souligné que sa "crise mystique" trois semaines avant les faits n'avait "aucun précédent" et n'était "pas liée à la prise de stupéfiants ou d'alcool".

"Vous n'avez pas à être arbitres d'un prétendu délire", avait assuré l'avocat général aux jurés. "Vous avez juste à le constater", a répliqué Me Hufnagel, évoquant les comptes rendus médicaux à l'hôpital psychiatrique, avant sa sortie le 30 janvier 2019, et les témoignages de voisins l'ayant vue allongée dans le couloir, grattant sa porte et affirmant voir "des oiseaux sauvages".

Si Essia Boularès "n'était pas délirante 100% du temps" dans les jours précédant le drame, elle "présentait a minima un épisode aigu", et son geste criminel est bien "celui d'une femme malade", estime l'avocate.

"C'est un mélange d'incohérences, de cohérences", a résumé Sébastien Schapira, déplorant la tendance du président de la cour, Franck Zientara, à voir "de la rationalité" dans tous les actes d'Essia Boularès.

Regrettant que les médecins qui ont suivi l'accusée n'aient jamais pu être entendus, il a mis en garde la cour contre la tentation de "tomber dans une caricature qui consiste à dire +c'est un monstre froid, qui a tout pensé, qui vous banane+".

En détention provisoire depuis quatre ans, Essia Boularès a effectué de nombreux séjours dans une unité hospitalière spécialement aménagée (UHSA), structure dédiée aux détenus nécessitant des soins psychiatriques.

S'exprimant clairement au cours des débats, mais luttant souvent pour ne pas fermer les paupières dans le box, en raison du "lourd traitement" qui lui est prescrit, l'accusée n'a pas réagi à la peine réclamée.

"Si on avait un doute qu'elle allait mal, regardez-la, et emportez son visage dans votre délibéré", a lancé Me Schapira à l'attention des jurés.

Le verdict est attendu jeudi.

AFP

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