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André Glucksmann, le "nouveau philosophe" intransigeant

  • Publié le 10 novembre 2015 à 15:57

Issu du courant maoïste, le philosophe André Glucksmann, mort dans la nuit de lundi à mardi à 78 ans, a ouvert les yeux de la gauche française sur les crimes du communisme et le danger totalitaire, n'hésitant pas à se servir des médias pour exprimer sa pensée.


De Mao à Soljenitsyne tel pourrait être le résumé du parcours intellectuel de ce philosophe engagé, intransigeant et toujours en colère.
Le visage ascétique encadré par de longs cheveux coupés au carré, André Glucksmann est né près de Paris le 19 juin 1937, quatre ans après l'arrivée en France de ses parents, des réfugiés juifs venus de la Palestine sous mandat britannique.
Sous l'Occupation, le jeune André Glucksmann devra vivre caché pour échapper aux rafles et à la déportation. Son père, sioniste et communiste, meurt au début de la guerre, sa mère s'engage dans la Résistance.
Après la guerre, l'orphelin de père se jette dans les études. Cursus brillant. Il fréquente l'Ecole normale supérieure de Saint-Cloud et obtient son agrégation de philosophie en 1961.
Dans le tumulte des années 1960 sonne l'heure des premiers engagements. Assistant du philosophe libéral Raymond Aron à l'université de la Sorbonne, André Glucksmann, comme de nombreux jeunes gens de sa génération, est attiré par les sirènes maoïstes. Il milite -quelques mois seulement- au sein de la Gauche Prolétarienne (GP), un des mouvements phares des "maos" français.
Le thuriféraire de la Révolution culturelle chinoise rompra spectaculairement les ponts avec le marxisme au milieu des années 1970.
"L'archipel du Goulag", la grande oeuvre d'Alexandre Soljenitsyne a été publiée à Paris en 1974. André Glucksmann prend aussitôt la défense du dissident soviétique, alors qu'au sein de la gauche française, le Parti communiste français est toujours hégémonique et garde une influence considérable chez les intellectuels.
Publié en 1975, "La cuisinière et le mangeur d'hommes", "Essai sur l'Etat, le marxisme et les camps de concentration", dont le titre est une référence à une citation de Lénine - "Chaque cuisinière doit apprendre à gouverner" est son livre le plus connu.
Vendu à des dizaines de milliers d'exemplaires, il provoque un choc car, à l'époque, les attaques frontales contre l'idéologie communiste sont plutôt rares.
Avec Bernard Henri-Lévy et quelques autres, il est associé au mouvement dit des "nouveaux philosophes", un courant très médiatisé d'intellectuels en rupture avec le marxisme.
Il n'hésite pas à s'exprimer sur les plateaux de télévision comme la célèbre émission littéraire de Bernard Pivot, Apostrophes. En 1974, les téléspectateurs découvre ainsi un jeune aux cheveux tombant sur les épaules, col ouvert et une cigarette à la main, invectivant l'ancien correspondant du journal L'Humanité à Moscou.
En 1977, c'est à nouveau sur le plateau d'Apostrophes que le jeune philosophe toujours aussi décontracté présente son livre "Les maîtres penseurs". L'émission fait sensation. Toute la France désormais connaît son nom.
- Critique féroce de Poutine -
Cette notoriété, André Glucksmann va l'employer pour aider les "boat people" vietnamiens qui fuient le Vietnam communiste. Il réussit à réunir les frères ennemis Raymond Aron et Jean-Paul Sartre et les emmène à l'Elysée défendre la cause des réfugiés vietnamiens.
Il sera de tous les combats contre le totalitarisme. Il soutient l'intervention occidentale contre la Serbie en 1999 pour défendre la minorité kosovare. Il défend également l'intervention américaine en Irak contre le régime de Saddam Hussein en 2003, puis l'opération en Libye visant à se débarrasser de Mouammar Kadhafi.
Quoique se revendiquant de gauche, il adopte des positions pro-atlantistes. Mais, contrairement à d'autres intellectuels prompts à défendre "l'identité nationale", il continue à défendre les réfugiés notamment les Roms.
En 2013, il a signé une tribune rappelant que le traitement des Roms en France n'était pas "républicain".
Certains de ses amis s'étaient étonnés en 2007 de son soutien au candidat Nicolas Sarkozy. "Il a posé le bon diagnostic sur le chômage, c?est le candidat le plus à gauche", avait-il alors expliqué.
Fervent soutien de la cause indépendantiste tchétchène et critique féroce de l'autoritaire Vladimir Poutine, André Glucksmann s'était ensuite éloigné de M. Sarkozy à mesure que celui-ci se rapprochait du maître du Kremlin.
Le philosophe était le père de Raphaël Glucksmann, auteur de documentaires notamment sur la Révolution orange en Ukraine.

Par Ouerdya AIT ABDELMALEK - © 2015 AFP
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