Deux agents de la pénitentiaire ont été tués et trois autres blessés grièvement mardi au péage d'Incarville (Eure) lors de l'attaque à l'arme lourde de leur fourgon qui transportait entre Rouen et Evreux un trafiquant de stupéfiants qui s'est évadé.
"L’ attaque de ce matin, qui a coûté la vie à des agents de l'Administration pénitentiaire, est un choc pour nous tous (...) Nous serons intraitables", a réagi sur X le président Emmanuel Macron.
Le ton grave, le ministre de la Justice Eric Dupond-Moretti, qui s'est rendu en fin de journée à Caen pour rencontrer les collègues et les familles des victimes, a qualifié cette attaque de "drame absolu". Les agents ont été "abattus comme des chiens", a-t-il dit, "par des hommes pour qui la vie ne pèse rien". "Qu'ils soient châtiés à la hauteur de ce qu'ils ont commis." "La nation est en deuil, la République est attaquée", a conclu le ministre.
Dans la matinée, depuis la cellule de crise activée au siège de l'administration pénitentiaire dans le 19e arrondissement de Paris, le garde des Sceaux avait confirmé qu'au cours de cette attaque, d'une très grande violence et extrêmement rare, deux agents avaient été tués.
Il avait précisé que le pronostic vital était engagé pour "deux des trois" blessés. Dans la soirée, Mme Beccuau a affirmé dans un communiqué que le pronostic vital était encore engagé pour un seul des blessés.
Cette attaque a suscité un profond émoi dans le milieu pénitentiaire. L'intersyndicale de l'Administration pénitentiaire a appelé mardi soir à un "blocage" des prisons mercredi et à une minute de silence à 11H00.
M Dupond-Moretti a appelé pour sa part à une minute de silence dans toutes les juridictions.
Le ministre recevra l'intersyndicale à 14H00, selon la Chancellerie.
- Commando -
L'attaque s'est déroulée peu après 11H00 au péage d'Incarville sur l'A13, quand le détenu était en cours de transfèrement du tribunal judiciaire de Rouen vers la maison d'arrêt d'Evreux où il était écroué, a rectifié en début de soirée la Chancellerie. Celle-ci, ainsi que M. Dupond-Moretti, avaient précédemment dit l'inverse.
C'est la première fois depuis 1992, selon le ministre, qu'un agent de la pénitentiaire était tué dans l'exercice de ses fonctions.
Le convoi pénitentiaire n'avait pas d'escorte de la police ou de la gendarmerie, selon une source proche du dossier. Celle-ci a expliqué qu'une escorte n'était pas "systématique" et était déployée à la demande de l'Administration pénitentiaire.
De surcroît, les escortes sont principalement réservées aux détenus particulièrement surveillés (DPS). Or, ce n'était pas le cas pour le détenu désormais en fuite. Cinq agents pénitentiaires dont un officier, composaient l'escorte, classée 3.
Selon une source policière et une source proche du dossier, l'attaque a été menée par un commando de plusieurs malfaiteurs lourdement armés qui ont utilisé deux véhicules.
L'un de ces véhicules a été retrouvé peu après les faits, "carbonisé", dans l'Eure, a-t-on appris de source proche de l'enquête.
Aussitôt, le ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin a déclenché le "plan Epervier". 200 gendarmes ont été mobilisés ainsi qu'un hélicoptère, a détaillé la gendarmerie.
D'une durée maximum de quatre heures, le plan Epervier a été levé en fin d'après-midi mais des forces restent mobilisées, a-t-on ajouté de même source. L'équipe du GIGN, qui s'est rendue sur place, reste engagée pour participer à la traque de l'évadé et de ses complices.
Au péage d'Incarville, le trafic a été un temps interrompu. S'y trouvaient plusieurs véhicules de police et une tente blanche, a constaté un correspondant de l'AFP.
- "Ils paieront" -
"Nous n'économiserons aucun effort, aucun moyen. Nous les traquerons. Nous les trouverons. Et je vous le dis, ils paieront", a lancé le Premier ministre Gabriel Attal devant l'Assemblée nationale qui a observé une minute de silence.
Le détenu en fuite, Mohamed Amra, est âgé de 30 ans. "Le 10 mai 2024, il avait été condamné par le tribunal d’Evreux pour un vol avec effraction. Il était en outre mis en examen par la JIRS de Marseille pour enlèvement et séquestration ayant entraîné la mort", a indiqué la procureure de Paris Laure Beccuau dans un communiqué.
Selon une source proche du dossier, Mohamed Amra, impliqué dans des trafics de stupéfiants, est soupçonné d'avoir commandité des meurtres liés à ces trafics. Il est à la tête d'un réseau, selon une autre source proche du dossier.
Son avocat Hugues Vigier, interrogé par BFMTV, a émis l'hypothèse qu'on serait venu le chercher non pas pour le libérer mais "peut-être (pour) lui faire payer ce qu'on suppose qu'il aurait lui-même commis".
L'attaque sanglante est intervenue le jour-même où la commission d'enquête sénatoriale sur les narcotrafics rendait son rapport, proposant notamment la création d'un parquet anti-stups, étrillant le gouvernement qui n'a pas pris la mesure de "l'ampleur de la menace".
L'enquête est ouverte pour "meurtre et tentative de meurtre en bande organisée (faisant encourir la réclusion à perpétuité), évasion et bande organisée, acquisition et détention d’arme de guerre, association de malfaiteurs en vue de la commission d’un crime".
L'attaque s'est déroulée sous les yeux d'automobilistes arrêtés au péage et dont certains ont filmé une partie de la scène.
Sur une vidéo postée sur X, on aperçoit à travers le pare-brise d'un car, deux des quatre malfaiteurs habillés en noir des pieds à la tête, pointant leurs armes pour braquer les véhicules de l'Administration pénitentiaire bloqués par une berline noire.
Sur une vidéo de deux minutes provenant d'une caméra de surveillance du péage diffusée aussi sur X, on voit quatre malfaiteurs faire usage de leurs armes et une explosion.
- Mohamed Amra, "très connu de la justice" -
Mohamed Amra, détenu de 30 ans évadé après une attaque à l'arme lourde contre un fourgon pénitentiaire mardi dans l'Eure, est un homme "très connu de la justice", selon la procureure de Paris Laure Beccuau, condamné plusieurs fois et mis en cause dans des dossiers de délinquance organisée.
Selon une source proche du dossier, Mohamed Amra, impliqué dans des trafics de stupéfiants, est soupçonné d'avoir commandité des meurtres liés à ces trafics. Il est à la tête d'un réseau, selon une autre source proche du dossier.
Mais à ce jour, son casier judiciaire ne comporte "aucune condamnation" liée aux stupéfiants, a souligné Mme Beccuau, chargée de l'enquête sur l'attaque du fourgon.
Dans un communiqué, Mme Beccuau a d'abord indiqué que Mohamed Amra avait "été condamné à de multiples reprises, pour des vols aggravés et une extorsion".
Elle a détaillé lors d'une conférence de presse son casier judiciaire, qui "porte mention de 13 condamnations, la première en octobre 2009, alors qu'il était âgé de 15 ans", ainsi que ses mises en causes actuelles.
Détenu depuis janvier 2022, Mohamed Amra était actuellement incarcéré "à la maison d’arrêt d’Evreux en exécution de plusieurs peines: trois mois d'emprisonnement prononcés le 14 avril 2020 par le tribunal correctionnel d’Evreux pour rodéos motorisés" ; "trois ans d’emprisonnement prononcés le 5 janvier 2022 par la cour d'appel de Rouen" pour plusieurs infractions dont association de malfaiteurs criminelle, extorsion, vol par effraction et violence avec arme; mais aussi "18 mois d'emprisonnement prononcés le 7 mai par le tribunal correctionnel d’Evreux pour vol par effraction aggravé".
Dans ce dossier, la procureure a précisé qu'il était déjà en détention provisoire depuis avril 2023.
La magistrate a ajouté que Mohamed Amra était aussi provisoirement détenu depuis janvier 2022 dans un dossier instruit à Rouen pour une tentative d'assassinat à Saint-Etienne du Rouvray (Seine-Maritime).
Une autre mesure de détention provisoire avait été ordonnée en septembre 2023 dans un dossier instruit à Marseille pour meurtre en bande organisée. "Ces faits auraient notamment été commis à Aubagne (Bouches-du-Rhône)", a précisé la haute magistrate.
Selon une source proche du dossier, M. Amra était convoqué mercredi pour une audience dans une procédure disciplinaire à la maison d'arrêt d'Evreux, après le constat lundi qu'"un barreau de sa cellule était recouvert de scotch". Ces barreaux "auraient commencé à être sciés", a rapporté la procureure.
Sur BFMTV, son avocat Hugues Vigier s'est dit "complètement abasourdi". "J'ai peine à imaginer que ce garçon puisse être impliqué" dans ces faits de "violence aveugle, dramatique, folle, inexcusable", a ajouté le conseil.
Cette opération "ne correspond pas au profil que j’avais perçu de lui. S’il est impliqué, c’est que véritablement je m’étais trompé sur son fonctionnement et ce dont il était capable" a ajouté cet avocat habitué des dossiers de crime organisé.
"Il existe une autre possibilité, c'est qu'on soit venu le chercher non pas pour le libérer mais pour l'avoir à disposition et peut-être lui faire payer ce qu'on suppose qu'il aurait lui-même commis", a aussi avancé le conseil.
AFP