Zily affiche une présence physique forte, mais parle d’une voix incroyablement douce. Elle chante en shimaoré, mais sa musique fusionne des genres (pop, afrobeat, amapiano… et sonorités traditionnelles mahoraises) qui parlent partout sur la planète. Auteure, compositrice, interprète, productrice, Zily se produit ce samedi au Kabardock pour une soirée qui promet d’être fiévreuse. Rencontre avec une artiste complète et engagée (Photo www.sly/www.imazpress.com)
Il y a des artistes qu’on entend ou voit pour la première fois et on se dit : "comment j’ai pu passer à côté d’un tel talent jusqu’à aujourd’hui ?". Zily fait partie de cette catégorie.
Celle qu’on surnomme "La Reine Zily" ou "la Diva" a commencé à chanter à 7 ans, le debaa, avec sa grand-mère maternelle. Elle en a 40 aujourd’hui, soit 33 ans d’expérience dans la musique !
A 16 ans, elle est repérée par Jean-Raymond Cudza, un producteur reconnu à Mayotte. Elle accompagne ensuite de nombreux artistes mahorais de renom, comme Baco ou encore M'toro Chamou. Puis elle créée ses premières chansons, commence à fusionner les genres musicaux d’une manière vraiment originale : certains morceaux ("Gabussa Medley") touchent ainsi à la transe hypnotique des gnaouas marocains, d’autres comme "Tsika" peuvent rappeler l’énergie festive de l’Angolaise Pongo ou des DJ sud-africains spécialisés dans l’amapiano.
- Zily, fidèle à ses racines -
Mais toujours en shimaoré et kibushi, les deux langues maternelles mahoraises, fidèle à ses racines. Surtout, Zily devient incontournable à Mayotte en proposant des chansons traditionnelles personnalisées pour les mariages.
Plus de 200 créations par an, dont un tiers sur les seuls mois de juillet-août ! C’est ce qui lui donne les moyens de créer son propre label de production, en 2021, Yeka Music, avec pour objectif de faire connaître Mayotte partout dans le monde. Mahoraise par sa mère, malgache par son père, Zily, eassume avec fierté l’image d’une femme forte, ambitieuse et entreprenante, tant dans ses projets artistiques que dans son quotidien de femmee souligne sa biographie officielle.
Mais Zily est aussi généreuse. Elle a ainsi pris le temps de répondre à nos questions, jeudi en fin d’après-midi, juste avant de répéter avec les 4 danseuses réunionnaises du collectif AfroLyss, avec lesquelles elle se produira samedi soir au Kabardock.
- Imaz Press : C’est la 3ème fois que vous vous produisez à La Réunion, après une première prestation remarquée au Sakifo 2023 et avoir été désignée « coup de cœur » des dernières Francofolies de La Réunion en septembre 2024. Vous êtes contente d’être de retour ?
Zily : C’est toujours un plaisir pour moi de venir à La Réunion. Je me sens chez moi ! J’aime bien l’accueil et l’énergie qui se dégage ici. Ce sera mon premier concert dans une salle à La Réunion, après deux festivals.
- Imaz Press : Vous avez commencé votre carrière en chantant le debaa. Comment vous expliquez cette tradition mahoraise quand vous rencontrez des personnes qui ne connaissent pas Mayotte ?
Zily : Le debaa, ce sont des chants et danses qui permettent aux femmes mahoraises de se réunir, d’échanger, de partager. C’est strictement réservé aux femmes. Les groupes sont généralement composées de 4 femmes, et il y a régulièrement des rencontres entre groupes, des sortes de battle, pour lesquelles on s’habille bien, on se fait belle.
Ce sont des récitations de poésies arabes, ça s’apprend dans certaines écoles coraniques. C’est ma base : j’ai effectivement commencé à chanter avec ma grand-mère maternelle à l’âge de 7 ans. Je n’ai plus le temps de le pratiquer aujourd’hui, mais je suis l’exemple vivant qu’avec le debaa, on peut faire plein de choses !
- Imaz Press : Comment vous définissez votre genre musical ? Comment vous arrivez à fusionner de l’afrobeat, de la pop, de l’amapiano avec des sonorités traditionnelles mahoraises ?
Zily : Je n’arrive pas à définir mon style. Je fais de la musique ouverte, pleine de sonorités. Et j’aime prendre des risques. Je peux commencer par faire du n’godro (une sorte de reggae mahorais), glisser sur un morceau plus blues-jazz, puis devenir carrément pop, voire même rapper. Mais toujours avec les tambours traditionnels mahorais n’goma (les tari en peaux de chèvre). Je travaille beaucoup en amont avec mes musiciens et mon beat-maker : on travaille note par note, on rajoute un instrument après l’autre.
- "Je ne me considère pas comme une féministe, mais je pense que la Femme doit être célébrée" -
- Imaz Press : Quelles sont vos sources d’inspiration ?
Zily : J’écoutais avec ma mère Miriam Makeba et Bob Marley, mais aussi Céline Dion et Nina Simone : je me rappelle qu’on nettoyait ensemble leurs vinyls, avec une cire spéciale. Mais j’ai aussi commencé à écouter de l’amapiano dès 2007. Je m’inspire de ce que je vis, ce que je ressens, des choses qui me chagrinent, des voyages et des rencontres qui m’enrichissent. Je chante énormément la femme. Je trouve qu’on ne met pas suffisamment les femmes en valeur, les femmes qui donnent la vie, qui travaillent et s’occupent de leur famille.
Je ne me considère pas comme une féministe, mais je pense que la Femme doit être célébrée. J’adore l’Amour "avec un grand A" : l’amour des autres, de son prochain. Je suis très engagée aussi dans la promotion de la culture mahoraise : Mayotte mérite d’être plus connue.
- Imaz Press : "Pour moi, Zily représente plus qu’artiste talentueuse. Elle incarne une voix unique qui porte les émotions et les réalités de son île avec une sincérité touchante" nous disait une fan ce matin. Y a-t-il un titre en particulier qui raconte une histoire personnelle forte pour toi ?
Zily : Ma chanson fétiche, c’est « Amani », un hymne à la femme mahoraise. J’aime bien aussi "Limbala", plus douce, et qui parle à l’homme, aux jeunes hommes, aux descendants de rois.
- Après Chido "je n’ai plus de portes, ni de fenêtres à ma maison" -
- Imaz Press : On ne peut pas ne pas vous poser de questions sur la crispation actuelle de la société réunionnaise sur les Mahorais, accentuée par les conséquences dramatiques du cyclone Chido il y a 2 mois. Est-ce qu’on doit s’attendre samedi soir à un pied-de-nez aux racistes bloqués sur les enfants scolarisés en urgence à La Réunion ou la violence de quelques mineurs isolés ou à quelque chose de plus festif ?
Zily : Je crois beaucoup en l’humain. Je suis persuadée qu’en apprenant à se connaître, en essayant de s’unir, on évitera de juger hâtivement. C’est compliqué et en même temps, ça m’attriste : la Réunion représente un exemple de vivre-ensemble.
Il y a beaucoup de tensions, de frustrations partout et on est tous connectés. Samedi soir, je vais essayer de donner le maximum d’amour et de joie pour apaiser les esprits.
Je suis là pour tout le monde : évidemment les Mahorais, mais aussi les Malgaches, les Réunionnais, les Bretons, les Bordelais… Je veux faire découvrir la musique mahoraise à la zili, à ma manière ! C’est le sens de mon cri de guerre « Yeka Baba ». Ca signifie « hop ! Allez, on y va ! » (Yeka Baba a donné le nom de son label de production, Yeka Music, ndlr).
- Imaz Press : Vous avez vous-même été touchée, personnellement, par le passage du cyclone Chido ? Quelles leçons vous en tirez ?
Zily : Je n’ai plus de portes, ni de fenêtres à ma maison. Je ne souhaite à personne de vivre ça. Je suis encore traumatisée, mais il faut qu’on avance. Je pense qu’on ne fait jamais assez d’information et de sensibilisation sur les catastrophes naturelles : ce qui s’est passé doit servir de leçon, on doit tous se préparer à des situations graves.
- Imaz Press : Quels sont vos projets pour 2025 ? Et à moyen terme ?
Zily : On travaille sur la sortie de mon premier album, avant la fin de l’année. Ce sera différent de mon premier EP (« Imani na amani », sorti en 2022), encore plus dans la fusion, world music. Des nouvelles sonorités et peut-être des titres en français et en anglais. J’ai beaucoup de demandes en ce sens.
Et surtout, j’aimerais pouvoir me produire dans des grandes villes : New-York, Montréal, Tokyo… J’aurais atteint mon objectif quand j’aurais réussi à faire découvrir ma musique à des publics étrangers, même s’ils ne comprennent pas toutes les paroles.
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