Rodrigues en musique

Entre polka et séga tambour

  • Publié le 30 août 2009 à 00:00

La boucle lustrée du soulier verni renvoie un éclat de lumière. La jupe longue à manches gaufrées virevolte sagement. Les cheveux de la cavalière sont ramenés sur la nuque dans un chignon impeccable. Son cavalier à un mouchoir blanc dans la main. Il l'a tendu à la jeune fille pour l'inviter à danser. Le couple tourne sur la piste au rythme d'une valse égrenée par l'orchestre

La scène a lieu dans le salon d'un hôtel de luxe à Rodrigues, à quelques centaines de kilomètres de La Réunion et de Maurice (Rodrigues est rattaché à la république mauricienne), à des milliers de kilomètres du continent européen. Les danseurs et les musiciens font partie d'une troupe et ils donnent un spectacle pour clients de l'hôtel.

Une mazurka succède à la valse, puis vient une polka, une scottish (kotis en créole rodriguais). Les danseurs s'en donnent à c?ur joie. Les pas et les figures sont enchaînés avec entrain. Si tout paraît aussi bien réglé c'est que le spectacle est bien rôdé certes, mais c'est aussi, surtout en fait, parce que ces danses désormais désuètes à La Réunion, à Maurice ou en Europe, sont toujours dansées à Rodrigues. Par les plus âgés et par les jeunes. Amenées par les Européens lors de la colonisation de l'île il y a plus de deux siècles et demi, elles restent bien vivaces. Elles connaissent même une nouvelle vie. Avec la capacité d'intégration qui est celle de toute les peuples métissés, les Rodriguais ont su les adapter à leurs spécificités en remplaçant le violon et la harpe par le tambours et l'accordéon.

"En fait, la musique est aussi une façon pour le Rodriguais de rendre hommage à ces différentes origines. Nous dansons sur les danses européennes, mais aussi sur les rythmes africains amenés par nos ancêtres esclaves" note Kennedy, un jeune homme de 21 ans qui exerce le métier d'animateur. Lesquels rythmes d'Afrique sont séparés en deux branches musicales. D'une part le séga accordéon aux accents plus "policés" et au tambour moins présent. D'autre part, le séga tambour où les percussions règnent en maître "et où l'on est sûr que tout le monde se retrouve sur la piste dès les premières mesures même dans les discothèques où les jeunes dansent le rap et la techno" commente Edouard Doyal, chanteur et animateur d'un centre culturel à Port Mathurin (capitale de Rodrigues).

Le rythme du séga tambour ressemble à s'y méprendre à celui du maloya réunionnais (danse traditionnelle emmenée dans l'île par les esclaves). Comme lui il raconte les misères et les petites joies de la vie quotidienne. Mais ne le dites surtout pas à Julie Collet. L'esprit vif, le verbe facile, l'?il plein de malice, elle vous rétorquera en pinçant les lèvres que le maloya comme le séga mauricien se dansent d'une manière un peu trop chaloupée à son goût. Elle l'a vu de ses yeux lorsqu'elle est venue en tournée à La Réunion à la fin des années 70.

Elle précise tout de suite après qu'elle aime La Réunion et qu'elle y pense souvent car son père y est venu vers le début du 20ème siècle pour participer à la construction des routes. "Il disait qu'il habitait la Grande Chaloupe" se souvient la vieille dame.

À près de 80 ans ans, elle est l'une des plus anciennes chanteuses de séga accordéon et tambour. "J'avais 12 ans quand j'ai commencé. Avant moi mes grands-parents et mes parents faisaient déjà cette musique" dit-elle sous l'?il d'un Zinedine Zidane presque grandeur nature épinglé au mur de sa petite case en bois sous tôle dans le village de Palissade - Ternel.

Récemment une attaque cardiaque l'a obligé à garder le lit et arrêter les spectacles qu'elle donnait avec "Nouveaux venus", la troupe qu'elle a créée. L'une de ses filles (Julie Collet à deux filles et un garçon) a pris la relève. Le groupe chante les airs et les paroles composées par la vieille dame mais également des compositions plus récentes. C'est dire si le séga a encore de beaux jours devant lui.
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