Santé

Des médicaments en libre-service

  • Publié le 8 avril 2008 à 00:00

Le gouvernement a annoncé en mars 2008 son intention d'autoriser d'ici le mois de mai la vente en libre-service dans les pharmacies de quelque 200 médicaments à prescription facultative. Les tarifs seront librement fixés par les industriels, les officines et leurs grossistes. Voulue par la ministre Roselyne Bachelot, cette mesure - qui ne sera pas obligatoire pour les pharmaciens - doit favoriser des baisses de prix.

"Les listes de médicaments sont prêtes", a indiqué Mme Bachelot dans son discours d'ouverture du salon professionnel Pharmagora, le 29 mars 2008. La ministre de la Santé a précisé toutefois qu'elles ne seraient dévoilées que vers la "fin mai", au moment de la publication d'un décret qui fixera également les règles de conditionnement. Le gouvernement motive sa décision par la recherche de la baisse des coûts. En effet, le libre accès aux médicaments devrait faciliter la comparaison des prix ce qui permettra de mieux faire jouer la concurrence."Cette mesure contribuera à améliorer le pouvoir d'achat des citoyens français, en favorisant l'éducation thérapeutique, et en préservant l'ensemble des garanties de sécurité sanitaire que l'officine apporte aujourd'hui", a poursuivi Mme Bachelot.

Les produits concernés

Concrètement cela signifie qu'au moins 226 catégories de produits sans ordonnance, répondant aux critères de sécurité définis par l'Afssaps (l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé, NDLR), pourront passer devant le comptoir des pharmacies d'ici la fin mai. Il ne sera donc plus nécessaire de passer par le pharmacien pour obtenir certains remèdes courants. Les projets de décret précisent que ces médicaments devront " être présentés dans un espace réservé et clairement identifié, (...) à proximité immédiate des postes de dispensation des médicaments ", de manière à permettre le contrôle effectif du pharmacien. Quant au contenu du conditionnement, il sera volontairement peu important et adapté à la posologie et à la durée de traitement recommandées.
En clair, si une consultation médicale est indispensable faute d'amélioration au bout de 5 jours, la boîte ne pourra contenir un mois de traitement. Les produits visés devraient permettre de traiter l'acné, la diarrhée passagère, le mal de gorge, la toux sèche, les aphtes, les maux de tête, les crampes ou les troubles mineurs du sommeil, et aider au sevrage tabagique. Sont exclus la "pilule du lendemain", la codéine (antitussif dérivé de la morphine qui peut être détourné par les toxicomanes) ou, pour le moment, la pédiatrie, l'homéopathie et la phytothérapie.
Chaque laboratoire sera libre, selon sa stratégie commerciale, de demander qu'un médicament éligible passe devant le comptoir. À noter que les médicaments visés par cette nouvelle réforme seront pour l'essentiel non remboursés par la sécurité sociale et les mutuelles santé. Toutefois le gouvernement ne s'interdit pas de faire figurer dans cette liste des produits remboursés par l'assurance maladie et les complémentaires santé.

Les pharmaciens réunionnais inquiets pour la sécurité du consommateur

Pour Jean-Pierre Gambini, pharmacien réunionnais et porte-parole de l'Union Syndicale des Pharmacies d'Officine (USPO), cette mesure revêt deux aspects : l'un afférant à la santé publique, l'autre économique et politique. Concernant la santé publique, Jean-Pierre Gambini craint les problèmes d'iatrogénie (risque de mauvaises associations médicamenteuses ou d'incompatibilité entre un médicament et un malade) : " une jeune fille indisposée par exemple n'a pas le droit de prendre de l'aspirine. De même que les personnes qui sont sous anti-coagulants. En cas d'accident, notre responsabilité sera désengagée mais, en tant que professionnel de santé, je trouve cette mesure dangereuse pour la sécurité du consommateur " explique-t-il. Quant au risque de surdosage, il existe également. " Cela dit, soyons honnêtes, l'eau de javel est en vente libre dans les supermarchés et on peut se tuer avec comme avec 10 boîtes de Doliprane " poursuit-il . Pour Jean-Pierre Gambini, le véritable enjeu de cette mesure est économique et surtout politique.

Un enjeu politique

Certes, ces médicaments non réglementés, désormais ouverts à la concurrence, vont rendre du pouvoir d'achat aux consommateurs mais, côté professionnel, les petites officines n'y résisteront pas car elles ne pourront pas se permettre de vendre les médicaments à trop bas prix. Quant aux plus grosses structures (employant une dizaine de salariés), elles seront elles aussi menacées dès que la délivrance des médicaments tombera dans l'escarcelle de la grande distribution - " ce qui va arriver très prochainement ", prédit Jean-Pierre Gambini. " Le terme " libre-service ", sciemment choisi par le gouvernement, sème déjà la confusion dans l'esprit du public " dit-il. L'avenir et l'indépendance de la profession sont en réel danger. " Derrière cette mesure en apparence anodine se cache la volonté politique de casser le monopole du pharmacien, explique Jean-Pierre Gambini. Les grandes surfaces vont baisser radicalement les prix et aucune officine ne pourra rivaliser ".
À La Réunion cependant, cette mesure ne devrait pas avoir beaucoup d'incidence dans un premier temps car la grande distribution n'est pas aussi bien implantée qu'en métropole, et le maillage des pharmacies est excellent. Par ailleurs, les prix de certains produits, tels que les laits infantiles, parfois les couches ou les petits pots, restent plus intéressants en pharmacie qu'en grande surface. Mais, d'après le porte-parole de l'USPO, cette nouvelle loi est l'arbre qui cache la forêt. Elle sera suivie d'autres mesures qui porteront de graves atteintes à la profession, en métropole comme dans les DOM. " La baisse du prix des médicaments en outre-mer procède de cette même politique de casse des monopoles, conclut Jean-Pierre Gambini".

Des médicaments bientôt en grande distribution ?

Il n'est pas question pour le moment d'ouvrir le marché à la grande distribution mais cela n'empêche pas Michel-Edouard Leclerc, patron des hypermarchés métropolitains éponymes, d'espérer en l'avenir. L'homme d'affaires a en effet toujours milité pour l'ouverture de nouveaux marchés à la grande distribution, au nom de la défense du pouvoir d'achat. " Il n'y aura de modération de l'inflation des médicaments que si on met en concurrence les pharmacies et d'autres réseaux de distribution", a-t-il expliqué, lors d'une conférence de presse donnée ce jeudi 3 avril. Il a également déclaré que les médicaments à prescription facultative seraient vendus 25% moins chers dans ses parapharmacies par rapport à la moyenne, si le gouvernement ouvrait ce marché à la distribution. Leclerc, qui vend déjà des médicaments en Italie où il a profité de la libéralisation du secteur en 2006, se montre toutefois prudent quant à la possibilité pour ses enseignes de faire de même en France. "A ce stade, rien n'est réglé en France et Dieu sait qu'il y aura débat!", a-t-il indiqué.
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