Anjouan - Mayotte en kwassas kwassas

Embarquement pour le meilleur ou pour la mort

  • Publié le 13 novembre 2005 à 00:00

Les candidats anjouanais à une vie supposée meilleure à Mayotte embarquent à 30 ou 40 sur des barques de pêche. Mortellement dangereuse, la traversée coûte de 70 à 100 euros. Une fortune dans ce pays où le salaire moyen est de 30 euros pas mois

Par mer calme et avec moins de 5 passagers à bord, la traversée entre Anjouan et Mayotte peut s'effectuer en 2 heures dans de bonnes conditions de sécurité. Cela est rarement le cas. Les candidats au départ s'entassent à 30 ou 40 dans des kwassas- kwassas de 6 à 9 mètres. Certains partent les mains vides, d'autres avec de maigres bagages et parfois avec des animaux. Seuls les passeurs ont des gilets de sauvetage. On compte une moyenne de deux naufrages par mois. Il y a rarement des survivants.
Il arrive aussi régulièrement que des barques dérivent à la suite d'une panne de moteur ou parce que le passeur s'est perdu. Si la chance est avec eux, les naufragés sont repérés par des avions ou des navires circulant dans la zone et ramenés sur terre, souvent à La Réunion où ils sont ensuite renvoyés à Anjouan. Les moins chanceux dérivent à l'infini mourant de soif et de faim les uns après les autres.
Les candidats au départ pour une vie meilleure connaissent les risques qu'ils encourent. Ils partent quant même. Pour travailler, pour se faire soigner ou pour accoucher. Dans ce dernier cas, les mamans repartent rarement aux Comores s'accrochant à l'illusion que leur enfant étant Français par droit du sol, elles finiront elles aussi par obtenir leur naturalisation ou une carte de séjour.

"On nous renseigne de Mayotte"


Les "clandestins" versent aux passeurs entre 70 et 100 euros, une fortune dans ce pays où le salaire moyen est de 15 000 francs comoriens (30 euros) et où les fonctionnaires sont payés tous les 4 ou 5 mois. "Les gens économisent pendant des mois" raconte un passeur confortablement installé dans son salon doté d'une télé grand écran, d'un lecteur de DVD, d'un magnétoscope, d'un ordinateur dernière génération et d'une grosse paire de jumelles. "On surveille les côtes quant on approche de Mayotte" dit-il en expliquant que son réseau est bien organisé. Installés à Mayotte, des membres du réseau surveillent quotidiennement les patrouilles maritimes des forces de l'ordre françaises. Par téléphone, ils renseignent les passeurs à Anjouan sur les heures de rondes et sur les circuits.
"Avant on allait surtout à M'Tzamboro (Nord de Mayotte - ndlr), c'est la plage la plus proche d'Anjouan et la plus sûre pour l'accostage. Mais maintenant le coin est trop surveillé alors on va ailleurs, mais c'est moins facile pour accoster" dit encore le passeur. Un danger ultime après tous ceux encourus lors de la traversée. "Une fois au moment de l'embarquement à Domoni, une grosse vague a retourné l'une de mes barques et deux enfants sont morts" se souvient le passeur.

"À demain"

Il dit avoir arrêté les traversées. Pas à la suite de l'accident mais "parce que je perdais trop de barques. Les gendarmes à Mayotte m'en ont brûlé deux ou trois après les avoir interceptées. Je ne pouvais plus faire de passages".
D'autres continuent. La clientèle ne manque pas, y compris chez les "sans papiers" expulsés de Mayotte. "À l'aéroport, il y a souvent des taxis qui attendent l'arrivée des expulsés. Ils sont à peine sortis de l'avion que les chauffeurs leur proposent de les conduire à Domoni où un départ de kwassa kwassa est programmé pour le soir même ou le lendemain et quelques heures après leur expulsion, ils sont de retour à Mayotte" souligne Antufi Mohamed, coordinateur de la radio - télévision d'Anjouan (RTA). Les anecdotes sur le sujet sont nombreuses.
Ne répondant pas aux normes de sécurité françaises, les bateaux assurant la rotation entre les 4 îles ne sont plus autorisés à embarquer des passagers à Mayotte. C'est donc par avion que se s'opèrent les reconduites à la frontière. Le lundi 17 octobre sur la piste de Pamandzi (l'aéroport de Mayotte), en montant dans le petit avion de Comores Aviation, un jeune Anjouanais en séjour irrégulier lançait aux policiers de la PAF (police de l'air et des frontières) surveillant l'embarquement : "allez bonne journée, à demain".
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