Judo

Clarisse Agbegnenou : "à La Réunion, je me recharge en énergie"

  • Publié le 23 avril 2024 à 16:47

En pleine préparation pour les Jeux olympiques de Paris, Clarisse Agbegnenou a décidé de faire une escale à la Réunion. La sextuple championne du monde et quintuple championne d’Europe explique dans l’interview qui suit combien la Réunion est vitale pour elle dans sa préparation. Elle y vient régulièrement depuis 2014 et y a souvent puisé l’énergie nécessaire sur la route de ses exploits. C’est même son île porte-bonheur. En 2021, elle y avait déjà posé ses valises, avant les Jeux de Tokyo. Quelques mois plus tard, elle raflait deux titres olympiques. Entretien (Photo sly/www.imazpress.com)

• Clarisse Agbegnenou, vous entretenez un lien privilégié avec La Réunion. Pouvez-vous nous en parler ?

- Je suis venue à La Réunion pour la première fois en 2014, avec mon ancien club d’Argenteuil. J’ai appris par la suite à découvrir l’île durant les trois mois que j’y ai passés à l’époque du confinement.

Depuis, j’y suis revenue régulièrement pour un ensemble de raisons dont les balades, la nourriture créole, les fruits en particulier, bien meilleurs ici qu’en métropole, le soleil bien sûr et la jovialité des gens. J’y ai créé des liens avec des gens que je considère aujourd’hui comme étant de ma famille. La Réunion est une île où je me recharge en énergie. Quand j’en repars, je suis gonflée à bloc.

• Vous avez fait le choix d’une préparation individuelle à La Réunion, à l’écart du collectif de l’équipe de France. Pourquoi ?

- J’ai enchaîné le Grand Slam de Paris et le Grand Slam d’Ouzbekistan (avec deux victoires à la clé, ndlr) puis des stages au Japon et à Temple-sur-Lot avec l’équipe de France. Je savais ensuite que le groupe allait partir pour les championnats d’Europe.

Vu que je ne les faisais pas, j’avais une période de flottement dans mon calendrier. Je me suis dit que c’était le bon moment pour effectuer un stage individuel de reprise d’énergie, à la Réunion. Et puis, j’avais aussi envie de sortir du stress d’une préparation en France, au moment où ça commence à s’agiter à 100 jours des JO à la maison.

J’avais la possibilité ici de me refaire une préparation très personnelle sur le plan musculaire, retravailler ma force et ma puissance, avant les championnats du monde qui arrivent bientôt (du 19 au 24 mai à Abu Dhabi, ndlr).

- Comment ce stage s’intègre-t-il dans votre préparation ?

- J’ai fait venir Gianni Locarini, mon prof de mouvement. Avec lui, je veux préparer mon corps à être fort, dans trois mois, à affronter les tempêtes de stress au moment des JO.

Je suis là pour renforcer les fondations, en faisant un gros travail sur le mouvement, la mobilité, de la musculation et aussi du judo même si le spécifique judo, j’en ai déjà fait pas mal avant, en stage, avec l’équipe de France.

Je n’oublie pas non plus que je suis là pour pouvoir partager et transmettre mon expérience aux jeunes Réunionnais. C’est important pour moi de montrer à ces jeunes du pôle espoirs que je suis accessible, qu’ils puissent également se rendre compte, quand ils m’ont entre les mains en randori, quel est exactement le bagage dont il faut disposer pour prétendre au haut niveau.

- "Être maman a décuplé mes forces " -

• A Tokyo, vous aviez été sacrée championne olympique, mais sans spectateurs dans les tribunes. A Paris, vous serez à la maison, avec tout un public qui poussera derrière vous. Comment vous préparez-vous à vivre un contexte radicalement différent de celui du Japon ?

- A Tokyo, le stress était déjà à son comble car j’avais eu juste avant un confinement à gérer, plus une dépression. Par-dessus tout, je voulais absolument décrocher mon premier titre olympique, après ma médaille d’argent à Rio. Dans ce contexte, j’ai été contente de récolter ma médaille d’or.  A Paris, je serai chez moi, devant ma famille et ma fille. Il faudra que je donne tout. Je suis certaine que le public va me galvaniser.

• Est-ce que Paris 2024 correspond au plus grand rendez-vous sportif de votre vie ?

• Ce n’est pas forcément le plus grand. Car à Tokyo, l’enjeu était déjà extrêmement fort. Je ne pouvais pas rêver mieux que de gagner au pays du judo. Remporter deux médailles d’or, là-bas (en individuels et par équipes mixte, ndlr), avait déjà une forte signification. Mais combattre à Paris, ça va être particulier, bien évidemment. Tous les athlètes français rêvent de faire les JO à la maison.

- Vous avez accouché de votre petite fille en 2022. Est ce que vous jugez la Clarisse de maintenant aussi forte que celle d’avant la maternité ?
- Ce n’est pas pareil. Je ne suis pas du tout la même femme. Je compose désormais avec les nouveaux atouts que j’ai construit.

J’ai beaucoup moins de puissance. C’est pour ça que j’essaie de la retrouver en ce moment, même si je sais que ce ne sera pas possible tant que je ne ferai pas des nuits complètes et que j’allaiterai, car ça pompe beaucoup d’énergie. J’ai conscience d’un côté que ma puissance ne peut pas se régénérer au même niveau qu’avant. Mais de l’autre, le fait d’être maman a décuplé mes forces. Mon mental est plus fort qu’avant.

• En participant aux Mondiaux d’Abu Dhabi, y a-t-il dans un coin de votre tête l’idée d’égaler la Japonaise Tamura-Tani et ses sept titres mondiaux ?

- J’y vais surtout parce que c’est une grosse compétition et qu’elle va me mettre dans la bonne dynamique par rapport aux Jeux, me permettre de savoir où j’en suis, pouvoir faire les derniers réglages. J’y vais aussi avec la ferme intention de ne pas laisser à une autre mon dossard rouge (la couleur de dossard de la championne du monde, ndlr).

- 'Je ne me vois pas comme une star' -

• Vous êtes l’une des plus grandes championnes françaises, hommes et femmes confondus. Comment appréhendez-vous ce statut de star ?

-  Je ne me mets pas de pression en fait par rapport à mon statut. J’ai bien conscience parfois d’être une personnalité à part pour beaucoup de gens, mais je ne me vois pas comme une star. Sans doute parce la chose qui me tient le plus à cœur, c’est le partage.

Et notamment avec la jeune génération. Un jour, je serai remplacée, et derrière moi, j’espère qu’il y aura plein d’autres bonnes judokates. C’est comme pour vous journalistes, il ne faut pas s’accrocher à son statut. Il faut espérer qu’à l’avenir, il y aura de bons journalistes pour vous remplacer.

• Oui, mais c’est quand même plus facile de trouver un bon journaliste que la nouvelle Clarisse Agbegnenou…

- Mais détrompez-vous, sans journalistes, on ne parle pas des sportifs. On a besoin d’un écosystème tout autour pour faire parler de soi… Mais pour revenir à votre question de tout à l’heure sur la pression inhérente aux Jeux organisés en France, j’essaie de relativiser. Pour moi, la vraie pression c’est surtout d’être maman d’un côté et sportive de l’autre.

Des femmes me regardent dans ce double costume. Il est là le véritable enjeu. Je m’entraîne pour pouvoir leur prouver que l’on peut combiner les deux, en l’occurrence vie de femme et carrière professionnelle, et pour qu’ensuite la société nous en donne les moyens.

• Au-delà du combat sur le tatami, vous menez aussi un combat féministe…

- Ça l’est, oui. J’ai envie de donner la force aux mamans de vivre leur passion à côté.

• Comment envisagez-vous l’après-JO ?

- Médaille ou pas médaille, je ne m’arrêterai pas sur ces Jeux olympiques. Si par bonheur, je suis championne du monde pour la septième fois dans quelques semaines, je ne m’arrêterai pas à sept. J’aime en effet les chiffres pairs, donc au moins huit, ce serait bien.

Et qui sait, par rapport à l’olympiade suivante, en 2028. Elle va arriver vite. J’aimerais faire un deuxième enfant. Mais comme je connais déjà la recette, pourquoi ne pas continuer le judo après cette deuxième naissance, en revenant me préparer à la Réunion, pour les JO.

Propos recueillis par F.P. pour www.imazpress.com



 

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