Plus de 2.000 enfants, nés à La Réunion, ont été transférés de force vers la métropole et principalement dans la Creuse entre 1962 et 1984, afin de repeupler des départements touchés par l'exode rural. Ce vendredi 7 avril 2023, 47 de ces ex-mineurs Réunionnais dits de la Creuse sont revenus sur leur terre natale, certains pour la première fois. Daisy Jamain, Marlène Ouledy, Jacques Dalleau et Simon A-Poi racontent leur histoire et leur douloureux parcours à la recherche d'une vie et d'une identité volées. (Photo Arrivée Enfants de la Creuse , photo Sly imazpress)
Ils font partie de ces Enfants de la Creuse arrachés à La Réunion. La recherche de leurs racines a été semée d'embuches. Ils tentent aujourd'hui de se reconstruire après le traumatisme causé par cet exil forcé. Une reconstruction qui passe par la mémoire.
- À la recherche d'une famille perdue -
"Revoir mon île c'est formidable". Ce vendredi 7 avril, Daisy Jamain est de retour à La Réunion avec 46 autres enfants de la Creuse. Ce n'est pas son premier retour mais ce moment reste toujours rempli d'émotions.
Elle a 9 ans lorsque ses parents sont assassinés. Elle ne connaît pas les raisons et les circonstances de ce drame. Sa sœur Suzanne avait 13 ans, c'est la seule de la fratrie qui restera sur l'île. Un jour, une assistante sociale vient chercher Daisy et ses deux autres sœurs, Anne-Marie âgée de 7 ans et Bénédicta la dernière âgée de 9 mois. Daisy et Anne-Marie seront emmenées au foyer des pupilles à Saint-Denis, séparées de la plus petite qui ira en pouponnière avant d'être adoptée par une famille du Mans.
Daisy arrivera finalement en Métropole. "A ce moment là, la Creuse ne pouvait plus prendre d'enfants tellement il y en avait" se rappelle-t-elle. Les jeunes réunionnais seront alors éparpillés dans 83 départements. C'est en Loire Atlantique à Saint-Étienne-de-Montluc qu'elle sera exilée. "Nous sommes arrivées dans le froid avec nos petites robes d'été. Ce n'était pas la même nourriture, pas la même culture. On ne savait rien" souffle-t-elle.
Des années plus tard, Daisy installée à Saint-Herblain dans la banlieue de Nantes, en Loire-Atlantique, cherche à retrouver sa petite sœur, qu’elle n’avait pas revue depuis leur séparation. Ce n'est que 56 ans plus tard qu'elle la retrouvera. Les sœurs apprendront à se connaître et retourneront ensemble sur leur île natale.
Aujourd'hui, Daisy Jamain se sent comblée et heureuse même si le chemin a été long. Elle attend aujourd'hui des excuses de la part de l'État pour "avoir fait souffrir autant d'enfants innocents".
- Un grand trou noir -
Marlène Ouledy attend elle aussi ce pardon, elle qui a été enlevée en 1971 à l'âge de 9 mois des bras de sa demi-sœur. " On ne peut pas transplanter un enfant comme ça. On le fait avec une plante ou une fleur mais pas avec un être humain" dit-elle. Pour elle aussi, la reconstruction a été un long travail. "Je demande réparation et que notre voix soit portée à l'Élysée. Il est temps. Bientôt l'un après l'autre nous allons disparaitre".
C'est à l'âge de quatre ans qu'elle arrive en Métropole. Arrivée à l'aéroport d'Orly, une famille adoptive l'attend. Entre le moment où elle part en voiture de La Réunion et son arrivée dans l'Hexagone, Marlène parle d'un grand trou noir.
Un jour, ses parents adoptifs lui expliqueront qu'ils ne sont pas ses vrais parents et que ses parents biologiques sont morts dans un accident de voiture. "Très vite j'ai su que ce n'étaient pas mes parents. De vraies parents ne font aucun mal à leur enfant. Il le protège. J'étais élevée à coups de poing, ils me faisaient manger la tay. C'est impensable et il n'y avait aucune surveillance de la part des assistantes sociales" confit Marlène.
Ce n'est qu'en grandissant qu'elle aura une intuition et essayera de retrouver son histoire, connaître ses ancêtres et la vérité. "Quand j'ai eu 18 ans une lettre est arrivée par la poste en provenance de la DDASS de La Réunion. J'étais en mauvais termes avec mon père adoptif qui a retourné la lettre à l'envoyeur" raconte-t-elle. Ce n'est qu'à ses 25 ans qu'elle apprendra l'existence de cette lettre de la DDASS qui indiquait que ses parents biologiques la recherchaient.
L'envie de retrouver sa famille sera freinée par une découverte. Marlène apprend qu'elle a un petit frère qui a fait le même voyage qu'elle à 3 ans d'intervalle. Lui à Caen, elle à Pléneuf-Val-André. À 100 km l'un de l'autre. Six années s'écouleront jusqu'à leurs retrouvailles.
Enfin en 1999, Marlène reviendra sur la terre réunionnaise âgée d'une trentaine d'année. Elle y retrouvera sa mère et ses frères et sœurs mais pas son père, malheureusement décédé en 1983. "Avant de mourir mon père m'a appelée et m'a dit "Marlène ou sa i lé, ma petite Marlène revient vers moi". Je ne l'oublierais jamais" livre Marlène Oulédy désormais installée à La Réunion depuis quatre ans.
- Un exil et un retour difficile -
En 1965 Jacques Dalleau est conduit hors de son domicile. Ce sera la dernière fois qu'il voit son père. Exilé au foyer de l'enfance de Guéret dans la Creuse à 14 ans il sera par la suite placé dans une ferme. Un placement qui ne s'est pas bien passé du tout.
"J'ai travaillé comme un larbin" exprime Jacques, qui a été exploité et maltraité. Un an après, il est de retour au foyer de Guéret. Il sera de nouveau envoyé dans une ferme où il travaillera sept jours sur sept. Plus tard, il suivra un apprentissage aux espaces verts et travaillera comme jardinier jusqu'à sa retraite. Aujourd'hui, il a déjà eu l'occasion de revenir plusieurs fois à La Réunion. La reconstruction reste difficile même s'il estime que le pire est derrière lui.
Simon A-Poi est revenu lui aussi sur l'île ce vendredi 7 avril, l'occasion de rencontrer pour la première fois sa petite fille qui a aujourd'hui 8 ans. Ses deux parents sont décédés quand il était jeune. Sa grand-mère, travaillant à la préfecture et ne pouvant plus s'occuper de tous les enfants les laissent partir en Métropole, pensant leur permettre d'avoir une vie meilleure sous les belles promesses faite par le député de La Réunion de l'époque, Michel Debré.
Simon âgé de 12 ans s'envole en 1966 avec deux sœurs et deux frères en direction de la Creuse. Dans un premier temps emmené au foyer de l’enfance à Guéret, il sera par la suite placé dans une famille d'accueil et séparé du reste de la fratrie. Dans les années 1985, il reviendra sur son lieu de naissance et retrouvera sa grand-mère.
Plus tard, dans les années 2000, Jean-Jacques Martial un enfant de la Creuse, écrit au Président de la République pour demander réparation. Ce n'est qu'a ce moment-là que Simon A-Poi réalise complétement ce qui lui ai arrivé. Il participera à la mise en place d'associations et deviendra le président de l'une d'elle pour soutenir Jean-Jacques Martial dans ce combat.
Depuis quelques années, Simon organise des missions sur l'île avec des ex-mineurs transférés de force en Métropole. Il revient à cette occasion plusieurs fois à La Réunion, des retours encore aujourd'hui compliqués. "On a passé plus de temps en Métropole. On a plus de vie métropolitaine que réunionnaise. À 12 ans, on ne se rend pas trop compte, on se fait des amis et on organise notre vie loin d'ici. À chaque fois que je viens à La Réunion quelque chose me pousse à revenir en Métropole" souligne Simon A-Poi.
Daisy, Marlène, Jacques et Simon font partie des 2.000 enfants dits de la Creuse. 47 d'entres eux sont revenus à La Réunion ce vendredi 7 avril. À cette occasion plusieurs évènements sont organisés à Saint-Denis et Saint-Pierre dont la présentation d'une pièce de théâtre inspirée de leur histoire.
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