Triste réalité

La Réunion est toujours le troisième département français le plus violent envers les femmes

  • Publié le 25 novembre 2022 à 14:36
  • Actualisé le 25 novembre 2022 à 14:40

Ce vendredi 25 novembre 2022, marque la journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes. Un véritable fléau sur l’île. En quinze ans, 54 femmes ont été victimes de féminicide sur l’île. La Réunion est d’ailleurs toujours le troisième département de France le plus violent envers les femmes. En 2021, sept plaintes ont été déposées quotidiennement pour violences conjugales (Photo : rb/www.imazpress.com)

Charlotte, Lise-May… Derrières ces noms, des visages, des histoires tragiques, des familles. Malheureusement, ces féminicides et ces violences faites aux femmes classés au titre des faits-divers sont plus marqués à La Réunion que dans l’Hexagone.

Les violences intrafamiliales (VIF) représentent 50% des atteintes volontaires à l’intégrité physique (AVIP) commises à La Réunion et 79% des victimes de VIF sont des femmes. L’année 2022 est marquée par 2 féminicides, un suicide de l’auteur d’un féminicide et 10 tentatives de meurtre au sein des familles. 

En 2021, à La Réunion, 2.683 femmes ont déposé plainte pour violences conjugales auprès des forces de l’ordre (police et gendarmerie), soit une augmentation de 12,83% par rapport à l’année précédente (2.378  dépôts de plainte enregistrés), révèle une enquête de l’Observatoire Réunionnais des Violences Faites aux Femmes (ORVIFF). La part d’hommes victimes de violences conjugales demeure faible. Sur environ 10 victimes de violences conjugales, 9 d’entre elles sont des femmes (entre 87 et 89%). En 2021, 1 homme dépose plainte chaque jour. 

Un triste phénomène devenu une priorité du gouvernement.

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- Mettre des mots sur une souffrance dont on n'ose pas parler -

Des femmes et parfois des hommes. Ces victimes sont prises en charge par des professionnels de santé, comme les psychologues. « Peu importe la forme du traumatisme, on intervient », explique David Gaulois, psychologue à Saint-Pierre. « Il est important de mettre en confiance les victimes, car ce n’est pas forcément facile d’entrer dans les détails », ajoute-t-il.

Ce qu’il ressort de ses séances, c’est que trop souvent « il y a un sentiment de culpabilité ». « Les femmes et hommes nous disent qu’ils n’ont pas su s’opposer, pas su dire non », précise le spécialiste. « On a souvent le schéma de la lune de miel, c’est-à-dire que la femme a vécu des violences mais les accepte car elle se dit fautive de cela et que l’homme en face promet de changer », explique le psychologue.

Le plus important, déclare David Gaulois, c’est de « mettre des mots sur des choses que les victimes n’osent pas dire. Elles ne veulent pas se dire victimes ». Entendre ces mots de la part d’une personne extérieure, « permet de soulager la victime et l’aider dans la souffrance qu’elle a vécu pour se reconstruire ».

David Gaulois est également psychologue expert à la Cour et est amené à recevoir des victimes ou auteurs de violences pour des expertises. Des victimes qui ressassent, qui ruminent et se refont le film cauchemardesque dans leur tête, se demandant où cela a pêché. Et qui se pose un millier de questions sur l’avenir de leur couple, de leurs enfants. « On retrouve souvent chez ses victimes des symptômes de fatigue chronique, de troubles du sommeil, des troubles de l’alimentation ou encore de l’anxiété", indique le psychologue.

- Insultes, coups, pression... les violences ont plusieurs visages -

Des victimes de violences, mais pas seulement physique. Les violences faites aux femmes peuvent se présenter de plusieurs manières.

Tout d’abord verbales. « Il s’agit de cris, d’insultes au quotidien… », explique David Gaulois. Des violences souvent indécelables pour les personnes à l’extérieur. « Souvent l’on ne considère pas que se faire insulter peut être traumatisant et laisser des séquelles psychologiques. »

Les violences psychiques sont les violences psychologiques. « Toutes les formes de violences provoquent des séquelles psychologiques, mais il s’agit dans cette catégorie, des violences du genre harcèlement moral, très pervers et très destructeur, mais aussi toute forme de pression : chantage par rapport aux enfants (« si tu t’en vas, je tuerais les enfants »), chantage par rapport à la vie professionnelle (« si tu t’en vas je briserais ta réputation…), chantage au suicide… », précise le psychologue. « C’est le fait de se faire dévaloriser continuellement, de se faire couper du monde, des relations sociales, professionnelles », ajoute-t-il.

Les violences physiques elles, sont les coups portés à son conjoint. Malheureusement souvent les victimes cachent leurs blessures sous des tonnes de vêtements ou des lunettes.

Violentommètre

Ces victimes de violences, quelles qu’elles soient, doivent être accompagnées. Non pas seulement par les psychologues, mais également par les associations et les forces de l’ordre.

- La prise en charge des victimes par le réseau associatif -

À Saint-Pierre, au Centre intercommunal d’action sociale (CIAS), on accompagne quotidiennement des victimes de violences conjugales. « On est là pour des accompagnements d’urgence comme pour le logement par exemple », explique Édith Noël. « En 2021, 21 % des personnes demandant un logement d’urgence étaient des victimes de violences intrafamiliales », dit-elle. Malheureusement, ce que constate Édith, c’est qu’encore trop de familles viennent demander un logement, sans dire qu’elles sont victimes de violences conjugales. Pour 2022, à ce jour, 10% d’orientations le sont en raison d’une problématique VIF.

Un chiffre qu’elle estime en hausse. « En 2020 il y a eu une accalmie avec le confinement, certainement dû au fait que les personnes n’osaient pas parler. Mais l’année d’après il y a eu une explosion des chiffres au niveau national », ajoute-t-elle tristement.

La fréquentation des lieux d’accueil, d’écoute et d’orientation (LAEO) et des lieux d’accueil de jour a connu un essor indéniable ces dernières années : 2.050 femmes victimes de violences ont été accueillies dans ces structures en 2021, contre 1.648 en 2020. 

Ces lieux, au nombre de 9, sont répartis dans tous les arrondissements de l’île. Deux points d’accueil, au plus près de la population, dans une démarche « d’aller vers », ont également été implantés sur le territoire : un espace au centre commercial Beaulieu de Saint-Benoît depuis novembre 2020 et un second au centre commercial les Terrass de Saint-Joseph depuis le 25 novembre 2021. 

Afin de garantir la sécurité des victimes de violences conjugales, il est essentiel de leur offrir un espace de mise à l’abri sécurisé. En 2022, une cinquième structure d’accueil et d’hébergement d’urgence temporaire (SAUT) a été ouvert dans le Sud, portant la capacité totale d’accueil à 61 places.

Mieux protéger les victimes implique de prendre également en charge les auteurs de violences, pour éviter le passage à l’acte et la récidive. À La Réunion, le centre de prise en charge et d’hébergement des auteurs (CPCA), situé à Saint-Paul, est opérationnel depuis avril 2021. Ce processus est inscrit dans un mécanisme de prise en charge pluridisciplinaire de chaque membre de la famille (auteurs, victimes et enfants-parentalité). Cette approche systémique fait la spécialité de ce dispositif par rapport aux autres CPCA déployés en France métropolitaine et dans les Outre-mer. Outre les différentes antennes réparties sur l’île, un accueil se fait également au sein de structures partenaires, d’antennes de justice et de points d’accès au droit. Au 30 septembre 2022, 505 auteurs sont en cours de suivi.

- Les agents et intervenants sociaux largement impliqués dans l’accompagnement des victimes -

Si les associations ont un rôle important à jouer, les forces de l’ordre également. Pour améliorer l’accueil et la prise en charge des victimes au sein des commissariats et des gendarmeries, policiers et gendarmes sont spécifiquement formés sur les violences conjugales et intrafamiliales. 55 agents en gendarmerie et 8 en commissariat sont désignés comme référents violences intrafamiliales (VIF). 

Dans le Sud, comme dans les autres commissariats de l’île, les équipes sont formées pour prendre les dépôts de plainte des victimes. « Nous sommes formés sur plusieurs modules », explique le commandant divisionnaire et adjoint au chef de la circonscription de la police nationale de Saint-Pierre, Ronan Illien. « Au-delà de la formation théorique, chaque policiers formés aux violences intrafamiliales (VIF) sont volontaires », ajoute-t-il.

À Saint-Pierre, ils sont une équipe de sept enquêteurs dédiés aux VIF. « Quand l’on reçoit les victimes, elles sont accueillies par un agent formé, puis questionnées par les enquêteurs et accompagnés par une assistante sociale », explique le commandant. Parmi les questions que les enquêteurs vont poser à la victime : la situation familiale, la relation avec l’agresseur, si la femme ou l’homme connaît les anciens partenaires de son conjoint, la situation professionnelle, si elle est vulnérable (handicapé, enceinte, sous traitements…), s’il y a eu des violences antérieures et des dépôts de plainte, s’il s’agit de violences physiques ou verbales. Un panel de questions mis en place pour faire la lumière sur l’histoire du couple.

Du côté de la Gendarmerie, le principe est le même. L’ensemble des militaires, soit plus de 500 personnels, sont formés aux VIF. « L’attitude des gendarmes est un peu différente puisqu’il y a le côté sensibilisation sur la psychologie afin d’aider les personnes à dénoncer les faits », explique la Gendarmerie. « Après chaque dépôt de plainte, la victime est suivie par une assistante sociale et une association afin qu’elle ne se retrouve pas isolée. »

Malheureusement, comme le constate la Gendarmerie de La Réunion, « les violences faites aux femmes et conjugales sont une grande majorité de nos interventions ». « Souvent en lien avec des problèmes d’alcool », ajoute le service.

Parallèlement, des intervenants sociaux (ISCG) sont présents au sein des commissariats et des gendarmeries, afin d’assurer un accueil, une écoute et une orientation actives des personnes victimes de violences conjugales ou intrafamiliales. Ils sont au nombre de 13 depuis septembre 2022, contre 11 en 2021. Valérie Étienne est intervenante sociale dans l'Est de l'île depuis mai 2022. "Depuis mai on a eu 55 saisines", dit-elle. "Mon rôle, accueillir les victimes. Le premier entretien est très important puisque la personne arrive avec la charge émotionnelle, une histoire, de la souffrance, parfois visible, parfois cachée", souligne Valérie. "Mon rôle est vraiment d'avoir un premier recueil de donnée par rapport à la situation, avoir une écoute active et présenter les solutions d'aides, d'accompagnement", conclut l'intervenante sociale. En 2021, 1.657 femmes et 407 mineurs victimes de violences intra-familiales ont bénéficié de l’intervention des ISCG.

Des dispositifs rendus possibles grâce au Grenelle sur les violences conjugales.

Malheureusement, parfois, certaines victimes se ravisent, par peur de leur conjoint ou des représailles. Toutefois, « à force de communiquer, la parole se libère et tout le monde est sensibilisé », souligne le commandant Ronan Illien.

- À la justice de jouer son rôle -

Pour protéger les victimes, la justice doit jouer son rôle. Pour cela sont mis en place les bracelets anti-rapprochement et les téléphones grand danger.

Les bracelets anti-rapprochement sont une mesure de protection pour lutter contre les violences conjugales. Une alternative à l’incarcération via un dispositif de surveillance constante par géolocalisation. Dans le Sud de l’île, 11 bracelets sont actifs.

Le téléphone grand danger lui a pour objectif de lutter efficacement contre les violences en prévenant de nouveaux passages à l’acte. 31 sont actuellement en circulation.

Concernant les dépôts de plainte, depuis le grenelle sur les violences conjugales, « il n’y a plus de main courante, la plainte est formalisée », nous explique Caroline Calbo, procureure de la République au parquet de Saint-Pierre. Des plaintes prises par les enquêteurs et les équipes dédiées aux violences intrafamiliales.

« Après les victimes sont orientées vers un médecin légiste et l’unité médico-judiciaire de proximité », explique la procureure. Les victimes sont vues par des psychologues, des infirmiers, des assistantes sociales. « Cela permet aux victimes de se sentir mieux », explique Caroline Calbo. « Ensuite, les victimes peuvent être orientées en victimologie et être prises en charge en cellule médico-psychologique. »

Concernant les auteurs de violences conjugales, deux réponses pénales sont possibles. « Si la violence est réciproque, alors on envisage une sanction pédagogique », explique la procureure. « Avec un stage contre les violences conjugales auprès du service de contrôle judiciaire et d’enquêtes (SCJE). « Dès lors que les violences sont plus fortes, habituelles, on va déférer la personne devant nous à l’issue de sa garde-à-vue. » Selon les chiffres, au parquet de Saint-Pierre, en 2020, il y a eu 94 déferrements contre 267 depuis le début de l’année.

« Soit on considère qu’il faut mettre la personne sous contrôle judiciaire avec interdiction de rencontrer la victime, soit on l’oblige à se soigner », dit-elle. En ce qui concerne le contrôle, judiciaire, l’auteur des violences devra présenter les soins réalisés et analyses sanguines, puis travailler sur sa réinsertion.

« Si cela ne suffit pas pour protéger la victime, l’agresseur passe en comparution immédiate avec souvent demande de placement en détention », explique la procureure. « Il faut l’écarter et l’éloigner loin de la victime », indique Caroline Calbo.

- Toutes concernées, tous concernés -

En plus de la justice, c’est la sensibilisation de tous et dès le plus jeune âge qui permettra peut-être d’éveiller les consciences. « Le repérage des victimes doit être réalisé par toute la société : la famille, les médecins... et les associations réalisent un vrai travail d’accompagnement des victimes, qui ne doivent pas se sentir seules. Le soutien juridique des avocats est également essentiel », souligne la procureure du parquet de Saint-Pierre.

La sensibilisation est également de mise. « Souvent les auteurs reproduisent les violences de génération en génération, c’est pour cela qu’il faut enrayer ce fléau », ajoute-t-elle.

Libérer la parole est donc l’un des moyens pour aider d’autres victimes à en parler. Vous n’êtes pas seule dans ce cas, sachez-le.

Autre moyen de libérer la parole, appeler le 39 19.

Violences intrafamiliales : qui appeler ?

Il faut savoir que les hommes aussi peuvent être victimes, même si très peu en parlent. La peur du « moukatage du dalon », notamment.

Malheureusement, les violences faites aux femmes n’ont pas, lieu qu’une journée. Chaque jour, des femmes subissent et parfois meurent sous les coups de leur conjoint. Le chemin est encore long pour en venir à bout.

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ma.m/www.imazpress.com/redac@ipreunion.com

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