Après la mort d'une infirmière à Reims

Violences, agressions... à La Réunion, les soignants (presque) sans protection

  • Publié le 25 mai 2023 à 10:10
  • Actualisé le 25 mai 2023 à 15:18

Ce mercredi 24 mai 2023, le corps médical, à La Réunion comme dans l'Hexagone, s'est arrêté le temps d'une minute, pour rendre hommage à Carène Mézino, 38 ans et mère de famille. Cette infirmière a été agressée dans l'enceinte de l'hôpital de Reims. Grièvement blessée par arme blanche, elle n'a pas survécu. Un drame qui met au cœur la sécurité des soignants et du corps médical en général. Des professionnels de santé qui doivent faire face à une hausse des violences sans se sentir plus protégés (Photo : rb/www.imazpress.com)

Ce mardi 23 mai, lors de l'annonce du décès de l'infirmière, le ministre de la Santé François Braun a fait part de son "immense tristesse". Olivier Véran a même désigné "un drame des plus intenses qui puissent toucher notre nation".

Le ministre de la Santé qui a d'ailleurs annoncé réunir ce jeudi "l'ensemble des représentants des soignants pour qu'au-delà de cette période nécessaire, nous mettions en œuvre très rapidement l'ensemble des mesures qui seront utiles pour préserver la sécurité et préserver la vie de nos soignants".

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- Un drame à ne "pas banaliser" -

"C'est malheureux qu'il y ait un événement tragique pour que le ministère de la Santé réagisse", déplore un professionnel de santé du CHU Nord.

"C'est un drame épouvantable qui aurait pu se dérouler dans n'importe quel hôpital de France ou d'Outre-mer. La communauté soignante et hospitalière se retrouve de plus en plus exposée aux incivilités et parfois à ce type de violences", souligne Expédit Lock-Fat de la CFDT Santé sociaux Réunion, tout en ayant une pensée émue pour cette famille en deuil et les agents hospitaliers.

"Si on est là – en l'occurrence ce mercredi 24 mai pour rendre hommage à Carène Mézino – c'est pour que cet événement ne soit pas banalisé et mis sous le coup des faits divers", déclare Joël Payet, secrétaire départemental adjoint du syndicat Unsa Santé.

Selon lui, on "a déjà eu des cas similaires et on voit qu'aujourd'hui il y a une violence inouïe au sein des établissements publics de santé". "On est là pour apporter du confort et des soins et non subir de la violence de la part des usagers ou autres."

"Des agressions verbales c'est fréquents", confie Louise, une jeune infirmière. "Une impatience grandissante, où on doit être là tout de suite pour répondre aux demandes en direct ou par téléphone, sous peine de remontrances." Une hausse des agressions qu'elle a pu constater depuis le Covid. "Pendant cette période il était souvent difficile de faire respecter les règles sur le port du masque. Les gens s'énervaient et depuis c'est de plus en plus présent."

"Les violences et agressions, c'est quelque chose de régulier", indique Zohra Givran de la CGTR Santé. "Le manque d'information, l'attente des patients sur l'état de santé, parfois la colère est légitime mais pas la façon dont cela est exprimé." "L'hôpital ne répond plus à ses missions de soigner", ajoute-t-elle.

Un drame qui n'est pas non plus sans rappeler celui arrivé à Pau, lorsque en 2004, une infirmière et une aide-soignante avaient été tuées par un patient atteint de troubles psychologiques. Sauf que depuis…, "rien n'a été fait", s'insurge Zohra Givran de la CGTR et soignante au CHOR en service réanimation.

- Une violence, conséquence de "l'inertie du gouvernement" -

"Il ne faut pas se voiler la face, on a fermé des milliers de lits, on a un manque d'effectifs, de moyens, donc forcément il y a une dégradation du travail et une dégradation de la prise en charge de la population", déplore Joël Payet. Et la population, "bien que cela soit injustifié et face au retard de prises en charge, devient violente".

Une violence qui fait craindre les soignants pour leur sécurité. "Au bloc central où je travaille, tout le monde peut y accéder", nous confie Frédéric Bâche, infirmier de bloc opératoire au CHU Nord et secrétaire général de la CGTR Santé. "Une fois, alors qu'on opérait une personne, suivie par les forces de l'ordre, des personnes sont rentrées", témoigne-t-il. Mais "rien n'a été fait", déplore-t-il. "Pareil aux urgences, quand il y a des personnes agitées, la sécurité de nos personnels est mise en danger."

"L'hôpital est à flux tendu, on manque de personnel, on n'est pas assez nombreux", s'indigne Frédéric Bâche. Un manque de personnel criant lors de l'hommage rendu à l'infirmière décédée. "Comment peut-on rendre hommage alors que l'hôpital est sous tension. Sans médecins, sans chirurgiens, sans personnels, un hôpital ne marche pas", ajoute l'infirmier… Et au final, "c'est le patient qui en pâtit".

"Quand vous passez dans des services il n'y a personne, c'est ça la vraie vie", s'indigne Zohra Givran de la CGTR et également soignante en réanimation au CHOR. "Alors comment travailler en sécurité ? Car on le rappelle, l'employeur a une obligation de résultat en matière de sécurité et là ce n'est pas le cas", dit-elle.

"On nous donne toujours plus de missions, mais sans les moyens", déplore la syndicaliste. "Tout le monde s'en est rendu compte avec le Covid." "On nous a applaudi et puis après on nous méprise, l'hôpital est le plus mauvais employeur constitué par l'État", ajoute Zohra Givran.

Du manque de personnel qui occasionne des tensions, et qui, par effet boule de neige, entraîne de nombreux arrêts maladie. Au CHOR, selon les syndicats, près de 150 personnels sont d'ailleurs en arrêt pour burn-out.

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- L'ensemble du personnel médical touché -

La mort de cette infirmière met donc en lumière la fragilité de l'hôpital public et la violence à laquelle les personnels soignants font face.

Mais ils ne sont pas les seuls : les médecins de ville sont également pris à partie par des soignants. Selon un recensement réalisé par le Conseil national de l'Ordre des médecins, il y a eu plus de 1.200 incidents en 2022 (contre 1.009 en 2021), soit une hausse de 23% en un an. Toutefois, seulement 61% des personnels victimes portent plainte.

À La Réunion, "on ne constate pas une hausse des phénomènes d'agressivité", déclare cependant le Docteur Lédée, médecin au Port.

Pour Christine Kowalczyk, médecin et présidente de la confédération syndicale médecin de France, "il y a plus d'exigences, les gens ne supportent plus l'attente et malheureusement cela ne va pas s'améliorer avec le temps", dit-elle. Elle note toutefois qu'il y a des agressions verbales "mais souvent les collègues ne le signalent pas à l'Ordre".

Le Conseil départemental de l'Ordre des médecins à La Réunion qui, depuis 2021, a mis en place une commission dite "vigilance violence et sécurité". Une commission qui permet de faire des actions de pédagogie et de la sensibilisation du corps médical. Une commission également à l'écoute des médecins victimes de violences verbales comme physiques. Cependant, "la sous-déclaration de ces phénomènes est considérable", note le Docteur Benjamin Dusang, président du Conseil de l'Ordre à La Réunion. "Les violences sont devenues presque ordinaires, un peu sociétales. Les médecins vont rarement jusqu'à la plainte." "Je pense", dit-il, "que c'est dans l'ADN des médecins, qui ont une relation empathique avec leurs patients et du coup ce n'est pas naturel pour eux d'engager un contentieux avec ceux que l'on soigne".

Le Conseil de l'Ordre est d'ailleurs particulièrement attentif à cette question des violences. "On reçoit les médecins, les écoute. Et dès lors qu'un incident nous est remonté par le biais du médecin, d'un confrère ou par voie de presse, on se constitue partie civile", nous explique le Docteur Benjamin Dusang.

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Dans la moitié des cas, le motif de l'incident est un reproche relatif à une prise en charge ou un refus de prescription. Dans 10% des cas, l'incident est lié à un "temps d'attente jugé excessif".

Les médecins spécialisés représentent eux 29% des incidents signalés (46 psychiatres, 37 cardiologues, 26 gynécologues, 24 ophtalmologues et 20 médecins du travail).

Pourtant, l'Ordre des médecins encourage vivement les médecins victimes à accomplir cette démarche. Alors que se déploient dans l’ensemble des conseils départementaux de l’Ordre des commissions 'vigilance-violence-sécurité', l’Ordre rappelle aux médecins que leurs conseils départementaux peuvent être un soutien dans tout moment difficile, et un appui à l’ensemble des démarches judiciaires que souhaite entreprendre un médecin victime d’agression", peut-on lire sur le site internet de l'institution.

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- "L'Etat doit agir" -

Face à ce drame qui a touché l'hôpital de Reims, "on souhaiterait un réveil de conscience du ministère et surtout qu'il mette en place les moyens nécessaires pour éviter que cette situation ne se reproduise", note le secrétaire départemental adjoint d'Unsa Santé.

"Le gouvernement doit investir encore plus pour ses agents, au service des patients", indique Expédit Lock-Fat.

Pour Louise, la jeune infirmière interrogée, "il devrait y avoir à l'entrée des hôpitaux des détecteur de métaux ou une sécurité renforcée pour éviter le passage de couteaux". "Plus de sécurité aussi aux heures d'entrée et d'arrivée du perosnnel et des passages la nuit", dit-elle. 

Le Docteur Lédée, médecin au Port, aimerait lui "une prise en charge optimisée et un suivi plus optimal des personnes atteintes d'un trouble mental". De même que Stéphane Fouassin, médecin à Salazie, souhaiterait "des sanctions plus sévères envers les agresseurs".

De son côté, le Docteur Christine Kowalzyck pense qu'il faudrait "songer à former plus les soignants sur comment apprendre à dire non, comment gérer les situations de violences".

Le ministre de la Santé, a lui déclaré ce mercredi 24 mai, vouloir "une tolérance 0 contre toutes les violences visant les soignants. J’appelle aussi les hôpitaux à vérifier et réparer sans délai leurs dispositifs de sécurité. Il n’est plus possible qu’un professionnel soit confronté à un parking mal éclairé ou un digicode dysfonctionnel". "L'institution soutient, soutiendra", promet-il.

De mesures qui, pour les professionnels de santé, restent dérisoires, tant la situation des médecins comme des agents hospitaliers est critique. "Il est tant d'arrêter l'hémorragie", conclut un infirmier.

ma.m/www.imazpress.com/redac@ipreunion.com

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