Expulsion massive de personnes en situation irrégulière

Mayotte : Wuambushu, l’opération de tous les dangers

  • Publié le 13 avril 2023 à 07:20
  • Actualisé le 13 avril 2023 à 07:35

Alors que l’opération Wuambushu à Mayotte arrive à grand pas, les réactions sont toujours aussi vives, du côté des partisans comme des opposants. Alors que plusieurs milliers de personnes en situation irrégulière doivent être expulsées vers les Comores dans les deux mois à venir, le collectif "Stop Wuambushu à Mayotte" appelle à manifester un peu partout en France ce dimanche 16 avril 2023. Sur place, les associations craignent par ailleurs que la situation dégénère, d’un point de vue sanitaire mais surtout sécuritaire (Photo rb/www.imazpress.com)

Associations des droits humains, magistrats, soignants…Nombreux sont ceux qui s’inquiètent des répercussions – et de la finalité – de cette opération voulue par le ministère de l’Intérieur et des Outre-mer.

Dans une tribune libre, une centaine de soignants locaux ont notamment alerté les autorités sur les risques sanitaires que l’opération pourrait engendrer. La section régionale du Syndicat de la magistrature a elle dénoncé « un amalgame entre immigration et délinquance ainsi que l’instrumentalisation dont fait l’objet l’institution judiciaire qui se retrouve mise au service d’une politique pénale décidée par le ministère de l’intérieur ».

- Wuambushu inquiète au-delà des frontières françaises -

D’après nos informations, l’ouverture de deux locaux de rétention administrative (LRA), dont un à Mtsapéré, devrait avoir lieu pour le temps de l’opération qui débutera officiellement le 23 avril. A l’inverse des centres de rétention administrative (CRA), les LRA ne prévoient pas le même accès aux droits pour les personnes enfermées, la présence d’associations de défense des droits des étrangers n'étant notamment pas obligatoire.

Si la pratique est commune à Mayotte, cette fois-ci, elle sera réalisée à grande échelle. Des départs de bateaux depuis le port de Longoni devraient aussi avoir lieu, en plus du port de Petite-Terre, d’où s’effectuent habituellement les expulsions.

Et Wuambushu inquiète au-delà des frontières françaises : aux Comores aussi, l’opération ne plait pas, au point où certains accusent la France de préparer un "massacre". Le gouvernement comorien a par ailleurs réagi par voie de communiqué, indiquant avoir "appris avec étonnement la nouvelle du maintien du projet gouvernement français (...) visant à procéder, dans l'ile comorienne de Mayotte, à la destruction de bidonvilles, suivies de l'expulsion de tous leurs occupants sans-papiers, vers l’île d'Anjouan". Il a ainsi demandé à la France de "renoncer" à cette opération.


- Le député Mansour Kamardine veut "un peu de sérénité à Mayotte"-

Pour autant, elle ne compte pas que des opposants. Certains collectifs et politiciens locaux soutiennent pleinement la démarche, qui prévoit l’arrivée de 500 membres des forces de l’ordre.

Le député LR Mansour Kamardine notamment s’est exprimé en faveur de l’opération. "Vivement le temps de l’action pour que nous retrouvions un peu de sérénité à Mayotte" a-t-il en effet réagi sur Twitter.

Les collectifs ont aussi montré leur soutien dans un courrier adressé à Gérald Darmanin, fustigeant au passage certaines organisations ayant dénoncé cette opération. Le Collectif des citoyens de Mayotte, le Collectif RéMa et les Femmes Leaders ont tenu à rappeler leur "soutien massif pour (mener) à bien cette opération". Ils ont renouvelé leur demande de "la fermeture des frontières par la mise en place d’un bâtiment de la marine nationale pour empêcher toute tentative d’immigration clandestine à Mayotte".

"Un certain nombre d’associations droit-de-l’hommistes (…) sont de plus en plus honteusement à l’œuvre pour tenter de faire stopper cette opération salvatrice pour Mayotte sous des prétextes fallacieux qui cachent à peine leurs motivations politiques" ont écrit les collectifs.

S’il est indéniable que la situation de Mayotte est alarmante, et que des solutions doivent être trouvées, l’opération commence à prendre une tournure inquiétante. Entre déferlement de haine, mises en cause du travail des journalistes et des associations de défense des droits humains, mais aussi vocabulaire largement exagéré aux Comores où certains parlent de "massacre", Wuambushu cristallise finalement toutes les tentions existantes sur le territoire.

Au point que certaines associations de protection des droits humains préfèrent ne pas s’exprimer avant la fin de l’opération, par peur d’être la cible de propos haineux, à l’instar du syndicat de la magistrature et des soignants à l’origine de la tribune libre.

- 500 membres des forces de l'ordre supplémentaires -

Au-delà des polémiques, la forme interroge aussi. Près de 500 forces de l’ordre supplémentaires sont attendues sur le territoire, pour la plupart n’étant pas formées aux spécificités du terrain. Un manque d’expérience et une situation explosive qui laissent craindre des débordements, voire des drames.

Et si au début, l’appel à mission n’a pas vraiment trouvé écho à La Réunion, aujourd’hui, c’est tout le contraire : il a désormais plus de candidats que de postes à pourvoir.

La mission de renfort se déroulera en plusieurs phases. Premièrement, le délogement et la déconstruction systématique des habitations illégales. Une opération facilitée par l’article 217 de la loi Elan 2018, permettant d’ordonner la destruction immédiate des habitations sans attendre l’approbation d’un juge.

Seconde phase : l’arrestation et le placement en centre de rétention administratif (CRA) des personnes en situation irrégulière. Pour se faire, les forces de l’ordre souhaitent appeler les étrangers en situation régulière habitant elles aussi dans ces habitations illégales à se manifester avant le lancement des opérations.

-2.255 personnes interpellées au premier trimestre 2023 -

Le Canard Enchaîné note pour sa part que le CRA de Mayotte n’étant absolument pas adapté pour les besoins de cette opération, des gymnases vont être réquisitionnés. Et si le nombre de forces de l’ordre sur place va temporairement exploser, côté magistrats et greffiers, cela risque d’être plus compliqué.

Troisième et quatrième phase : l’expulsion massive en s’assurant que ces départs tiennent durablement. C’est là que le bât blesse : généralement à peine expulsées, nombreuses sont les personnes à ré-embarquer pour un bateau de fortune direction Mayotte.

Chaque année, environ 20.000 personnes en situation irrégulière sont expulsées de Mayotte, d’après les derniers chiffres de la préfecture. D’après son dernier bilan, les équipes de la police aux frontières ont reconduit depuis le début de l'année 6507 personnes, "soit une augmentation de 30% par rapport à la même période de 2022" écrit France Mayotte Matin. 100.000 personnes ne seraient pas en règle sur le territoire.

Selon les chiffres de la préfecture de Mayotte, entre le "1er janvier au 31 mars 2023, 173 kwassas ont été interceptés transportant au total 2.255 personnes interpellées". Au cours de la même période 123 passeurs ont été présentés à la Justice. 83 d'entre-eux ont étré condamné à de la prison ferme.

En 2017, environ 48% de la population était de nationalité étrangère, d’après l’Insee, et 42 % des habitants n’y étaient pas nés. Entre 5 et 8 000 mineurs isolés sont présents sur le territoire.

as/www.imazpress.com / redac@ipreunion.com

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