Arboriculture

Oranges : au delà de la polémique, l'amertume des producteurs péi face à l'importation

  • Publié le 21 juin 2023 à 12:01

89 centimes le kilo d'oranges… non vous ne rêvez pas, c'est bien le prix auquel le kilo d'oranges a été vendu dans une grande surface de l'île. Mais attention, pas des oranges péi, des oranges venues d'Égypte. Une opération qui a provoqué la colère de la Chambre d'agriculture de La Réunion et des producteurs réunionnais. Et ce, alors que la saison des agrumes débute à peine. Mais au-delà de la polémique qui agite les réseaux sociaux, se pose également un problème de fond, celui de l'autosuffisance de la filière à La Réunion (Photo : rb/www.imazpress.com)

0,89 centimes le kilo d'oranges venues d'Égypte. Il n'aura pas fallu plus pour agiter les réseaux et provoquer la colère des agriculteurs. Cette opération de promotion a eu lieu dans une grande enseigne de l'île ce week-end du 17 et 18 juin 2023.

Une opération qui ne passe pas auprès de la Chambre d'agriculture. "Je suis stupéfait", lance Frédéric Vienne, président de la Chambre. D'autant plus que "plusieurs productions réunionnaises connaissent une progression encourageante en volumes depuis quelques années sous l'impulsion de notre accompagnement technique et de nos partenaires".

"Ce prix est certes attractif mais on se demande si la qualité est au rendez-vous", note Frédéric Vienne.

Le président qui se questionne également sur cette production venue d'ailleurs. "Combien ont été payées ces oranges à ces producteurs là et comment ont été exploités ces agriculteurs par les pays importateurs de légumes", ajoute-t-il.

"Une situation synonyme de concurrence déloyale qui n'a jamais été encadrée mais qui perdure et qui ne favorise en rien la production réunionnaise et encore moins les objectifs de souveraineté alimentaire dans lesquels l'île s'est pourtant engagée", déclare la Chambre d'agriculture.

"Le prix de vente de 0,89 euro soulève des interrogations quant à la volonté des Égyptiens de brader leurs oranges, car avec une augmentation des coûts de fret, il est difficile de vendre à un prix aussi bas", explique Éric Lucas, responsable de la cellule diversification. "Les grandes surfaces ont acheté au maximum à 0,50 centimes d'euros. À ce niveau de prix, les oranges d'Égypte ont été vendues à peine à 0,30 euro le kilo au départ d'Égypte. Même si le coût de la main-d'œuvre est beaucoup moins élevé en Égypte, elles sont vendues en dessous de leur coût de production", ajoute-t-il.

Pour des agriculteurs du Tampon, spécialisés en polycultures biologiques, cette promotion est scandaleuse. "Ce qui nous scandalise c'est surtout que cela soit fait alors que la saison des agrumes commence ici." Des agriculteurs qui dénoncent les agissements des supermarchés.

"Certes ils ont de beaux calibres, mais on ne sait pas comment elles ont été produites. Est-ce qu'elles respectent un cahier des charges", se questionnent-ils.

Des agriculteurs qui dénoncent également le non-sens de faire venir des produits de pays où les normes phytosanitaires ne sont pas les mêmes qu'en France et en Europe, alors que "l'on doit respecter un cahier des charges et qu'ici il nous est interdit d'utiliser certains produits", indiquent les deux agriculteurs du sud.

Une injustice également pour la Chambre d'agriculture, alors que les producteurs locaux n'ont toujours pas le droit d'exporter leurs agrumes en raison des maladies transmissibles aux vergers de l'Hexagone et d'Europe.

Pour Thomas Hayot du Domaine de la source positive situé à Piton des Goyaves, "pourquoi importer des agrumes d'Égypte alors que l'altitude permet de produire des agrumes de belle qualité à La réunion".

De plus, l'agriculteur se dit, "à l'ère où tout le monde parle de l'empreinte carbone, si 80 centimes ce n'est rien, quel est le coût écologique pour importer ces oranges ?"

Lire aussi - Réaction de la CGPER sur les prix des oranges

- Consommer local -

Ce que demande Frédéric Vienne, président de la Chambre d'agriculture, c'est aux Réunionnais de privilégier les produits locaux. "Il faut consommer les agrumes péi pour se prémunir contre le froid. Moi j'appelle la population à consommer local."

Frédéric Vienne poursuit en disant, "il faut savoir ce que le consommateur veut car dans ces oranges d'Égypte il n'y a pas de traçabilité". "On ne connaît pas les conditions dans lesquelles elles ont été produites, depuis quand, combien de jour en chambre froide, quel traitement phytosanitaire elles ont subi pour arriver à avoir un agrume lustré et brillant", dit-il. "Ce serait intéressant d'avoir ces informations à côté du prix."

Le président de la Chambre appelle également à faire attention aux saisons. "Il faut dénoncer ce genre de démarche. Ici c'est les oranges et demain ? Cela peut être tout ou n'importe quoi, des mangues d'Égypte." "Respectons les saisons, laissons faire la nature et ne soyons pas dépendant de l'extérieur."

Mais face à des prix (plus) attractifs pour le consommateur et une inflation grandissante, certains privilégient les produits plus abordables pour leur portefeuille.

"Les gens regardent beaucoup le prix avec l'inflation, mais s'ils étaient informés sur le type de culture de ces pays, peut-être qu'ils réfléchiraient autrement et préfèreraient payer un peu plus cher et consommer local", souligne les producteurs du Tampon.

- Des oranges impactées par le coût de la vie -

Des produits péi plus chers qui s'expliquent par le coût de la vie et des matières premières, précise la Chambre d'agriculture et les producteurs. En effet, inflation, prix des intrants, main-d'œuvre, salaires, charges… des frais qui obligent les producteurs à vendre leurs oranges plus chers que un euro le kilo.

Notre duo d'agriculteurs du Tampon, spécialisé dans le bio, vend ses oranges sur le marché 2,80 euros le kilo. "En vrai, si les produits ici étaient au même prix qu'en Égypte par exemple, peut-être qu'on pourrait vendre à un bas prix."

Au Domaine de la source positive situé à Piton des Goyaves (Petite-Île), le prix de vente moyen des oranges cultivées en agriculture raisonnée est de 3 euros, en fonction de la quantité. Des oranges que le producteur vend (presque) exclusivement aux restaurateurs des bars à jus. Un prix "justifié vu la quantité de jus dans l'orange et la qualité".

Dans une boutique de Salazie, les oranges péi – venues tout droit du cirque – sont vendues entre 1,50 et 1,80 euros le kilo en fonction des arrivages. Selon le gérant, "quand il n'y a pas d'orange on est content des imports mais c'est mieux de mettre en avant les produits locaux". "Chaque Réunionnais sait que les oranges péi ont un meilleur goût", indique Fabien Chane-Kam de la boutique 101.

- Une production limitée à développer -

Consommer local, de qualité certes, en y mettant un prix un peu plus cher... mais La Réunion est-elle en mesure de fournir l'ensemble de la population en agrumes et notamment en oranges ? Car pour l'heure, étant le début de la saison, on n'en trouve pas sur tous les étals.

À La Réunion, les agrumes et oranges poussent essentiellement dans les Hauts, notamment à Salazie ou du côté de la Plaine des Cafres ou Petite-Île. Une culture exclusive des hauts en raison d'un virus qui a décimé les productions qui se trouvaient dans les bas.

"Les agrumes locaux, tels que les clémentines et tangor, sont présents de mai à septembre. Cependant, au cours des cinq dernières années, la production d'agrumes a connu une baisse en raison de la prévalence de la maladie du greening HLB dans les vergers d'agrumes du sud", indique Éric Lucas, resposable de la cellule diversification à la Chambre d'agriculture.

"Nous observons cependant un développement de vergers dans la région de Salazie et dans les hauts de l'ouest. L'objectif est de retrouver un niveau de production annuelle d'agrumes de 5.000 tonnes", ajoute-t-il. Dans les années 2000, La Réunion produisait environ 5.000 tonnes d'agrumes par an pour une consommation totale d'environ 10.000 tonnes.

Selon les chiffres délivrés par la Chambre d'agriculture, à La Réunion, il existe environ 250 producteurs d'agrumes qui exploitent une surface totale d'environ 300 hectares. La production estimée pour cette année est d'environ 2.500 tonnes, mais à noter que la sécheresse en fin d'année 2022 a pu avoir un impact sur les rendements. La consommation annuelle d'agrumes à La Réunion est d'environ 11.000 tonnes. La Réunion couvre donc seulement 30% des besoins.

Une limite de production qui ne permet pas à La Réunion d'être autosuffisante sur la filière des agrumes, récoltés principalement durant l'hiver, à l'exception du citron - en surproduction dans notre département - qui se cultive toute l'année. 

Dans ce cas, pourquoi ne pas réfléchir à une solution pour favoriser et étendre la filière locale ? Pourquoi ne pas envisager de cultiver des oranges sur les parcelles en friche ?

"Oui", cela est envisageable" pour Frédéric Vienne, mais pas dans les bas – en raison du virus. "La Chambre d'agriculture avec les aides du Feader (Fonds européen agricole pour le développement rural) peut accompagner les agriculteurs vers des plantations d'agrumes mais la difficulté c'est qu'il faut attendre 4 à 5 ans pour voir les premiers fruits", précise le président.

La Chambre "encourage la plantation d'agrumes dans des endroits qui sont encore indemnes de la maladie du greening HLB". "Nous travaillons en collaboration avec les professionnels du secteur sur des alternatives visant à réintroduire la culture des agrumes dans ces zones d'origine telles que Petite-Île et Saint-Joseph. Des essais prometteurs ont été réalisés en utilisant des filets de protection qui permettent de prévenir la propagation du HLB et les attaques des mouches des fruits. Cependant, le principal défi réside dans les coûts élevés d'installation de ces filets, qui peuvent dépasser 50.000 euros par hectare", nous explique Éric Lucas.

Alors en attendant de voir s'élargir la filière agrumes de La Réunion, et alors que l'agriculture réunionnaise fait face à de nombreux défis économiques et climatiques, il est important de consommer local, tout en préservant son pouvoir d'achat.

Lire aussi - Tomates, mangues, bibasses… les fruits et légumes n'ont plus de saison

ma.m/www.imazpress.com/redac@ipreunion.com

guest
9 Commentaires
Missouk
Missouk
1 an

On trouve aujourd'hui des oranges péi dans à peu près tous les marchés et chez de très nombreux bazardiers contrairement à ce qu'écrit Joe. Elles sont simplement plus chères, mais quand même diablement meilleures!

Joe
Joe
1 an

Je suis d'accord sur le fonds de cet article mais, où sont les oranges pays? Et lorsqu'elles arriveront, à quel prix seront-elles vendues dans la mesure où, paradoxalement, ce qui n'est pas importé est souvent plus cher!!!

Jeanmich
Jeanmich
1 an

Si la France respecte les normes sanitaires, que Mr Vienne m'explique les bananes antillaises au chlordécone vendues moins chères que les bananes péi? Quid des normes sanitaires de nos fruits, plusieurs fois décriés dans la presse nationale?

HULK
HULK
1 an

Question : quel est le coût de revient à la ferme d'un kg d'oranges péi et combien nous est-il vendu au détail dans le commerce? Qui se gave au passage? Pourquoi ne pas vendre directement au consommateur en circuit court?

Foutant
Foutant
1 an

Vous semblez maitrisez la question ? Pourriez vous nous éclairer et nous dire ici quelles sont les agriculteurs producteurs en végétal qui bénéficient de subvention à La Réunion ? Allez chiche... On attend votre réponse. Combien de producteurs à La Réunion en maraichage, papam et arboriculture touchent des subventions ? Parler c'est bien surtout quand on n'y connait rien et qu'on répète un refrain sans aucun fondement alors on attend votre réponse....

Mathias
Mathias
1 an

mais s'ils étaient informés sur le type de culture de ces pays, peut-être qu'ils réfléchiraient autrement et préfèreraient payer un peu plus cher et consommer local",

Non

Anne
Anne
1 an

On veut des subventions! On veut des subventions! On veut des subventions!

Monopole
Monopole
1 an

Il faut tout dire au réunionnais. Cela a été importé par le groupe hayot de sa centrale de fruits et légumes sur Paris. Et là ça fait de la pub on soutient la production locale. Serieux !!!! Le vrai visage apparaîtra au fur et à mesure.

Ded
Ded
1 an

le coup classique des importateurs locaux et des plates formes de distribution des grandes surfaces: on importe en masse des articles venus d'ailleurs pour faire VOLONTAIREMENT concurrence à un produit local ( dans les années 50, on a fait la même chose avec le sel de la pointe au sel: importation massive de sel malgache et prix cassés, la pointe au sel n'a pu faire face à la concurrence...et qu'on ne s'y trompe pas , si aujourd'hui les salines de St Leu refonctionnent et produisent c'est uniquement pour le tourisme et pour faire semblant de s'intéresser au patrimoine car les élus ne s'y intéressent pas!) et pour en revenir aux oranges , , si nos producteurs locaux ne s'organisent pas , ils devront soit baisser les prix qui sont déjà limites pour eux soit accepter les prix que leur propose la grande distribution ( toutes les enseignes se tiennent la main) ou mourir!