Tensions sur les approvisionnements

Pénuries de médicaments : les pharmacies de La Réunion fonctionnent "à flux tendu"

  • Publié le 31 mai 2023 à 08:31

Spray nasale, lait infantile, amoxicilline, paracétamol… depuis plusieurs semaines, certains de ces médicaments sont difficilement trouvables dans les pharmacies de l'île. Il faut parfois même faire plusieurs officines avant de pouvoir en trouver. Une situation de "tension" des médicaments qui ne date pas d'hier mais qui persiste, que cela soit à La Réunion, ou dans l'Hexagone.

Dans une pharmacie de Sainte-Clotilde, "il y a en effet des tensions", nous indique la préparatrice en pharmacie. Des tensions sur les médicaments tels que "le dafalgan, le doliprane, tout ce qui est codéine". Pour pallier ces pénuries, , "on se débrouille pour trouver des alternatives" nous indique la préparatrice. Concernant le spray nasal, elle confirme "il n'y en a plus et cela fait un bout de temps". Fort heureusement, "cela est temporaire".

Alors que nous cherchions du lait infantile et du spray nasal pour bébé, dans une pharmacie de Sainte-Marie, nous avons pu faire le même constat, impossible d'en trouver. "Cela fait plusieurs semaines qu'on est en rupture", souligne Marie, la préparatrice. Pour le spray, ni celui prescrit, ni le générique ne sont disponibles.

Une "tension" confirmée par Boubker El Beghdadi, membre du syndicat régional des pharmaciens de La Réunion. "On est souvent en flux tendu", nous confie-t-il. "C'est même quelque chose qui devient habituel pour certains produits comme le Pivalone."

Autre produit sous tension, l'atorvastatine, un médicament utilisé pour son baisser le taux de cholestérol dans le sang. "Il y a des dosages qui arrivent mais ça rentre au compte-goutte" souligne Boubker El Beghdadi.

Concernant l'insuline - produit pour personne diabétique dont la rupture avait été évoquée dans l'Hexagone – il n'y a pas à craindre pour La Réunion. "Pour l'instant on n'a pas de rupture, sachant qu'on a énormément de diabétique, on stocke plus ces produits-là", explique le pharmacien.

- Des tensions régulières en approvisionnement -

Ces tensions, l'Agence régionale de santé de La Réunion (ARS) les constate également. "La situation des ruptures en France est récurrente avec souvent un décalage à La Réunion étant donné la présence de stocks plus important chez les grossistes."
L'insuline – dont les tensions datent de 2022 sont toujours présentes – "n'est pas en rupture", notent néanmoins les services de l'ARS.

Au 1er mars 2023 par exemple, le NovoRapid 100U/ml, solution injectable (insuline asparte) était indiqué en tension d'approvisionnement, même si présent chez le grossiste à La Réunion.

Concernant le spray nasal – bien que quelques ruptures nous ont été signalées dans les officines – "ce n'est pas un médicament d'intérêt thérapeutique majeur. Ce médicament possède des formes génériques et des alternatives thérapeutiques à évaluer avec le médecin et le pharmacien". L'ARS qui confirme cependant que "s'il n'est pas en rupture actuellement, il fait l'objet de tension d'approvisionnement régulière".

Pour les parents qui recherchent un lait infantile spécifique, "quelques tensions sont observées pour les laits de composition spécifique destinés à des cas particuliers (allergie aux protéines de lait de vache, lait sans lactose)".

L'ARS clôt son propos en déclarant, "La Réunion ne connait pas de difficultés particulières en dehors des ruptures nationales et des difficultés pouvant encore être rencontrées par le fret maritime qui a été très perturbé ces derniers mois et a créé des tensions ponctuelles sur certaines molécules".

Pour prévenir et faire face à des ruptures d'approvisionnement, l'ARS nous cite les outils employés. Au premier rang desquels, les répartiteurs. "Ils peuvent recourir aux frets aériens qui permettent d’assurer la livraison des médicaments essentiels (ex : anticancéreux)."  Ils disposent de deux mois de stock.

Autre moyen, la liste des médicaments d’intérêt thérapeutique majeur (MITM) publiée par l'ANSM, permettant de connaitre l’état d’un médicament (tension ou rupture).

Lire aussi - Pénurie de médicaments en France : une inquiétude de longue date, mais qui empire

- Des médicaments de plus en plus complexes à fabriquer -

La Réunion, comme la France et d'autres pays européens, connait depuis des mois des tensions sur les stocks de plusieurs médicaments. Mais alors, pourquoi ? À quoi est-ce dû ?

Déjà, l'année passée, alors que l'épidémie de gastro-entérite faisait rage à La Réunion, nous évoquions des situations de ruptures dans les pharmacies de l'île.

Pour Boubker El Beghdadi, plusieurs raisons peuvent expliquer ces ruptures. La première "il peut s'agir d'officines n'ayant pas prévues suffisamment de stocks".

Autre raison, "le problème des matières premières" (responsable de 17% des ruptures selon l’ANSM). Une pénurie des matières premières qui, entraîne une pénurie en Europe, en France et donc, par ricochet, à La Réunion. Un déficit d'approvisionnement qui s'ajoute également aux retards des navires qui doivent apporter les marchandises dans notre département. Des délais rallongés depuis l'épidémie de Covid-19, et qui n'ont toujours pas retrouvé leur rythme normal.

L'actualité récente contribue aussi à gripper la machine. L'industrie est pénalisée par l'inflation, en partie liée à la flambée des tensions géopolitiques depuis la guerre en Ukraine. Ce contexte pèse sur l'accès aux matières premières ou les coûts énergétiques des entreprises.

Enfin, même si le Covid est toujours là, l'épidémie se calme, et d'autres maladies reviennent après avoir été freinées par les confinements et autres restrictions sanitaires.

C'est l'argument mis en avant par les autorités françaises pour expliquer le manque d'amoxicilline : selon elles, les fabricants ont été pris de court par un fort rebond de la demande.

Ce que nous apprend l'Agence régionale de santé (ARS), c'est que "depuis 2006, tous les pays, dont la France, notent une hausse du nombre de ruptures d’approvisionnement en médicaments". "Dès lors que le pharmacien ne peut plus s'approvisionner en un médicament pendant 72 heures, une déclaration de rupture est adressée à l’ANSM (Agence Nationale de Sécurité du Médicament et des produits de santé)", ajoute l'ARS.

- Près de 300 médicaments en situation "critique" -

Auditionné dans le cadre de la commission d’enquête sénatoriale sur la pénurie de médicaments, Olivier Véran, ministre de la santé de février 2020 à mai 2022, a lui-même indiqué, "en 10 ans, de 2008 à 2018, les signalements de pénuries ont été multipliés par vingt".

L'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), ainsi que le ministre de la Santé, ont donc dressé une liste de 281 médicaments "critiques".

De plus, François Braun a précisé que cette liste devrait être affinée afin “d’éliminer les doublons”. Ainsi, elle facilitera l’analyse de la chaîne de production de chaque médicament afin de mettre en place des mesures concrètes pour éviter les ruptures d’approvisionnement.

Alors que le pays est toujours confronté à une pénurie de certains médicaments dans les rayons des pharmacies, le ministre de la Santé François Braun plaide pour une réponse européenne, en complément d'une politique nationale.

Pour Roland Lescure, ministre délégué chargé de l'Industrie, "il faut que l'on arrive à forcer les industriels à faire de la production en France". Sauf que, si depuis le mois de février les auditions de ministre et de représentants des laboratoires se succèdent, la liste des obstacles s’allonge : savoir-faire, coût de la main-d’œuvre, normes sociales et environnementales…

ma.m/www.imazpress.com/redac@ipreunion.com

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