17.000 Réunionnais touchés par ce syndrome

Le long combat au quotidien de Sabrina, victime de l'alcoolisation fœtale

  • Publié le 10 août 2023 à 08:24
  • Actualisé le 10 août 2023 à 08:26

Cette année 2023, le Safthon fête sa 7ème édition. Une cause vouée à sensibiliser chaque année les Réunionnais aux troubles causés par l'alcoolisation fœtale (TCAF). À La Réunion, c'est plus de 270 enfants fragilisés qui naissent atteints de troubles causés par l'alcool durant la grossesse. Sur l'ensemble de la France, ce chiffre se porte à 15.000 enfants, soit un enfant toutes les trente minutes. Alors que le coup d'envoi de l'événement a été donné dans notre département, Sabrina et Élisabeth, deux femmes symboliques de ce combat, ont accepté de se livrer (Photo : ma.m/www.imazpress.com)

Sabrina Dijoux a 36 ans. C'est à l'âge de 25 ans qu'elle découvre qu'elle est porteuse du syndrome de l'alcoolisation fœtale (SAF).

Pour Denis Lambin, président du SAF France, "cette femme représente l'espoir par le sourire qu'elle porte sur son visage, malgré son lourd handicap, conséquence de l'alcoolisation fœtale".

Pour la jeune femme – visage de cette édition 2023 – "il y a eu de bonnes évolutions pour sensibiliser les gens, même si le combat est encore très long".

"Je suis fière de porter cette campagne pour moi, pour tous les enfants et pour mes parents ainsi que toute l'équipe soignante qui m'a accompagné."

- Un livre pour sensibiliser –

L'année dernière, Sabrina Dijoux a sorti un libre autobiographique, "Une fille debout". "Je ne m'attendais pas à autant de réaction", dit-elle avec émotion. Grâce à cela, "les gens prennent conscience que l'alcool est un réel danger".

Sabrina Dijoux a donc appris à ses 25 ans qu'elle était porteuse du SAF. "J'ai su que j'étais atteinte du SAF en allant chez ma gynéco pour savoir si je pouvais porter un bébé", nous dit-elle. "Mais avant même de traverser la porte, elle m'a dit vous êtes un enfant SAF, c'est là que je me suis dit comment elle le savait car moi-même je ne le savais même pas", poursuit Sabrina Dijoux.

C'est à ce moment précis que Sabrina Dijoux a voulu se battre contre ça.

Depuis qu'elle a découvert sa maladie, elle le dit, "j'ai retrouvé une partie de moi". Et ce, même si "dans le quotidien il y a plein de petits grains de sable, par exemple je ne peux pas plier mes vêtements comme il faut, j'ai du mal à coordonner mes gestes pour la coiffure et le maquillage".

- Une enfant victime par ricochet de l'alcoolisme de sa maman -

Lorsque Sabrina Dijoux raconte son histoire, elle évoque sa relation avec sa mère. Une fille qui en a voulu à sa mère. Une mère "atteinte d'alcoolisme jusqu'à la fin, puisqu'elle est décédée des suites de son alcoolisme", raconte la jeune femme.

"On vivait chacune notre mal-être de notre côté plutôt que de faire face ensemble", ajoute-t-elle.

Mais aujourd'hui, c'est très dur pour elle, "dur non pas parce que je suis en fauteuil mais parce que ma mère n'est plus là". Lorsqu'elle a appris à 25 ans sa maladie, "j'ai compris et ça m'a permis de la comprendre (sa mère), de comprendre sa souffrance et de lui pardonner. J'avais besoin de ça et me savoir atteinte du SAF m'a permis de l'aimer encore plus", confie Sabrina Dijoux rempli d'émotion.

Le SAF, trois petites lettres qui "bouleversent la vie d'un enfant à tout jamais". "Ce syndrome invisible fera que l'enfant déversera sa colère sur la seule personne qui lui a donné la vie. Alors arrêtons de banaliser l'importance de cela. S'il est trop tard pour ma mère et moi, ce ne l'est pas pour les autres", conclut la jeune femme.

- "On boit et on s'imagine que le bébé est en sécurité" -

Si Sabrina Dijoux est le visage de cette nouvelle édition, Élisabeth joue également un rôle symbolique.

Cette mère de trois enfants a été en proie avec l'alcool pendant plusieurs années. Pour s'en sortir, elle a d'ailleurs fait trois cures de désintoxication et a été accompagnée par le réseau SAF France.

En 2009, la mère de famille est venue témoigner au Sénat afin de convaincre les élus pour prendre en considération cette problématique qu'est l'alcoolisation fœtale. Un appel entendu, notamment par la Réunionnaise Anne-Marie Payet, à l'origine d'un amendement qui va conduire à l'inscription de messages de prévention contre le syndrome d'alcoolisation fœtale sur l'ensemble des bouteilles d'alcool commercialisées en France.

"Elle représente les mamans qui nous ont guidé dès le départ. Des femmes pour 99% victimes de violences conjugales où les causes et conséquences de l'alcool sont intimement liées", indique Denis Lamblin.

Élisabeth a sombré dans l'alcool pendant sa deuxième grossesse. "C'était le désespoir et au lieu de tomber dans la bouf, moi c'était l'alcool", dit-elle. "Mais je buvais déjà avant ma grossesse", confie la mère de famille. "Quand l'alcool est établi dans notre vie on n'envisage pas une autre vie et on fait l'autruche."

"Grossesse ou pas grossesse on boit et on s'imagine que le bébé est en sécurité, au chaud dans son placenta", nous confie-t-elle. "Et quand j'ai fait mon suivi on m'a orienté vers le Docteur Lamblin – également pédiatre – qui m'en a parlé." "On a parlé d'alcool et enfin j'ai trouvé quelqu'un qui pouvait entendre mes souffrances", clame Élisabeth.

Une femme suivie par l'ensemble des bénévoles de Saf France. "Elles sont déterminées, elles nous font prendre conscience que ce n'est pas bien et qu'il faut être bien accompagné."

Toutefois, le plus dur reste la culpabilité quand les enfants grandissent. "C'est une hantise mais mes enfants avaient besoin de savoir", dit-elle.

Des enfants qui – malgré une taille pas très grande pour le deuxième – est heureux, a eu un enfant. "Je n'ai jamais eu de reproche de la part de mes enfants et ça c'est ce que je craignais", confie Élisabeth. Son dernier lui, vient la voir tous les jours, et malgré un petit retard mental, il fait face et sait dire qu'il n'est pas très bien.

Élisabeth est d'ailleurs conscience de la chance qu'elle a eue. "Moi ce que je dois supporter rien que pour moi ça me suffit. Ce que j'ai fait."

- Un accompagnement primordial... même sans l'appui de tous -

L'accompagnement d'ailleurs de ces femmes victimes du SAF et victimes de l'alcool est primordial pour avancer.

C'est d'ailleurs pour cela également que le Safthon existe. Des femmes qui, comme Amandine Dijoux, monitrice-éducatrice ont comme objectif de "repérer et accompagner les situations à risques".

Toutefois, cet accompagnement s'avère difficile sans moyens suffisants. "On veut des moyens financiers pérennes", lance Martine Ribaira, médiatrice sanitaire et sociale. "Pas de voiture de fonction pour arpenter l'île, pas d'ateliers, souvent en déplacements…"

Et pourtant… "les familles ont besoin de nous", lancent les bénévoles de SAF France. "Cela fait 20 ans que je connais Élisabeth mais après ces cures de désintoxication, quand elle rentrait chez elle, rien ne changeait car personne n'était là pour l'encadrer, la soutenir", déplore Martine Ribaira. "Il faut pouvoir accompagner ces personnes car elles restent fragiles et peuvent retomber dans l'alcool."

SAF France déplore d'ailleurs l'absence des collectivités et de l'Agence régionale de santé à leurs côtés. "On a eu des promesses sans effets et comment l'expliquer, je ne sais pas", lance Denis Lamblin. "On est face à une société qui doit trouver ses solutions par elle-même."

"Tant pis si les institutions ne viennent pas. Les Réunionnais eux, sont fiers, fiers de faire des dons, de la sensibilisation, car au travers de cela, c'est leur enfant qu'on protège."

Lire aussi - Alcool et grossesse : les Réunionnais conscients du danger, mais il reste (encore) beaucoup à faire

ma.m/www.imazpress.com/redac@ipreunion.com

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1 Commentaires
Lola
Lola
1 mois

En même temps quand vous avez des grands panneaux publicitaires vantant les boissons alcoolisées, avec des slogans affichant la fierté des fabricants de de leurs produits ...