Santé

Peu de médecins et encore moins de rendez-vous : les "nouveaux patients" mis sur la touche

  • Publié le 24 juillet 2023 à 12:50

Qui n'a jamais entendu lors d'une demande de rendez-vous avec un médecin "désolé on ne prend pas de nouveaux patients". Qui n'a pas galéré à prendre un rendez-vous, qui n'a pas été contraint d'attendre plusieurs mois, voire une année entière, pour une consultation de quelques minutes avec un spécialiste ? Submergés par les demandes, en sous-effectifs, deux tiers des médecins généralistes refusent les nouveaux patients et les spécialistes freinent les prises de rendez-vous… au détriment des patients.

Mal de dos, de dents, oreille bouchée, extinction de voix… Plusieurs patients ont fait les frais – malgré eux – de l'encombrement des salles d'attente chez les médecins généralistes comme spécialistes.

Emma, aphone depuis plusieurs jours et l'oreille complètement bouchée souhaitait se rendre chez un médecin du centre-ville de Saint-Denis – faute de rendez-vous dans l'immédiat chez son médecin habituel.

Elle a essuyé un refus. "Vous êtes déjà venue chez nous ? Non. Désolée madame, on ne prend pas de nouveaux patients."

Chez le dentiste, Éric, bientôt 40 ans, voulez prendre rendez-vous à la suite d'une rage de dent . Sa compagne – déjà patiente de ce cabinet de Sainte-Clotilde – appelle donc. Et là, surpris, pas de rendez-vous possible avant… février 2024.

Sa compagne demande s'il peut être mis sur une liste d'attente pour le cas où un patient se décommanderait… mais là encore, étant "un nouveau patient", impossible.

Il restait à Eric le choix entre encombrer les services de garde des médecins de ville, les urgences des hôpitaux, ou  souffrir en silence.

Charlène a vécu une situation similaire. Mère depuis un mois, impossible pour elle de trouver un pédiatre pour sa fille. Sa belle-sœur a eu plus de chance. Non pas car le pédiatre prenait de nouveaux patients, mais parce qu'il avait suivi son fils dès la naissance en néonatalogie.

Mais alors comment font donc ces "nouveaux patients" pour se soigner dignement, avoir accès à un médecin ? Comment faire pour l'enfant qui vient de naitre, comment pour les personnes qui ont une rage de dent ou un autre mal et et ne trouvent personne pour les prendre en charge ?

Le médecin – face à son serment d'Hippocrate – est-il en droit de refuser des patients ? Oui selon l’article L162-5-3 du Code de la Sécurité sociale. Dans la grande majorité des cas, le refus de suivi est lié au manque de temps des médecins, qui ont déjà de nombreux patients à suivre.

Il faut savoir que le refus de suivi n’est pas synonyme de refus de soins médicaux. En effet, l’article 47 du Code déontologie médicale dispose que "quelles que soient les circonstances, la continuité des soins aux malades doit être assurée". A priori donc, un professionnel de santé n’a pas le droit de refuser des soins à quelqu’un qui les lui demande.

- Les deux tiers des médecins refusent les nouveaux patients -

Mais surtout, comment expliquer qu'autant de médecins – spécialistes comme généralistes – refusent les nouveaux patients ?

En France, selon une étude de la Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees), il existe un véritable enlisement du système de santé français dans une réduction de l'offre de soins.

Ainsi, en 2022, les deux tiers des médecins généralistes, soit 65%, déclaraient avoir été amenés à refuser des nouveaux patients en tant que médecin traitant. Une situation qui s'est dégradée en trois ans, relève la Drees puisqu’ils n’étaient “que” 53% à laisser des patients sur le carreau en 2019.

La principale cause de refus est le manque de confrères autour du cabinet. "Près de 80% des médecins généralistes libéraux jugent aujourd'hui insuffisante l'offre de médecine générale dans leur zone d'exercice", note la Drees.

Un constat que confirme le docteur Alexandre Lédée, médecin généraliste au Port. "Avec mon associée nous ne refusons pas de nouveaux patients.Cela étant dit, dans un périmètre autour de 300 mètres à un kilomètre autour de nous, des cabinets ont fermé et les médecins n'ont pas été remplacés. C'est pour cette raison que des médecins refusent de prendre des patients." Le praticien précise : "cen'est pas parcqu'ils ne le veulent pas, mais parce qu'ils ne le peuvent pas, ils sont débordés".

"Chez nous ce n'est pas encore le cas même si ça devient compliqué", ajoute le docteur Lédée.

La Drees relève d'ailleurs une évolution dans la prise en charge des patients atteints d'affection longue durée (ALD). "Les médecins sont 44% en 2022 (contre 40% en 2019) à déclarer qu’ils voient moins fréquemment certains patients suivis régulièrement". Certains délèguent ainsi ces consultations à d’autres professionnels de santé comme les infirmiers en pratique avancée (IPA).

Le docteur Lédée n'est pas vraiment convaincu par ces IPA, exerçant déjà dans l'Hexagone. "Sur le papier c'est joli mais le métier médical reste un exercice diffcile. L'IPA ne peut pas tout apprendre en deux ans."

Selon la Drees, à peine 23% des médecins généralistes déclarent déléguer des tâches pour mieux répondre à la demande de soins.

A noter également que les médecins généralistes sont 87 % à rapporter des difficultés pour orienter leurs patients vers des confrères spécialisés

- Privé, public, même constat -

Les généralistes et spécialistes du privé ne sont pas les seuls à ne pas pouvoir accueillir de nouveaux patients. Dans le public la situation est également tendue.

"Les mauvaises conditions de travail dans le service public ont forcément des répercussions majeures pour le public, notamment en termes d'accès aux soins. La Réunion n'échappe pas à la règle. On le sait, il n'y a pas assez des médecins, ni de spécialistes", note Expédit Lock-Fat, secrétaire général de la CFDT Santé.

"Nous avons même des retours de patients qui doivent attendre ou aller dans un autre coin de l'île où les spécialistes sont regroupés." Selon le syndicaliste, "ce déclin du service public est dû au manque d'accompagnement et de volonté de mettre en place un service de qualité et en nombre pour faire face aux besoins".

Il explique également ce manque de médecins dans le public par l'attraction du privé. "Les gens veulent pouvoir concilier vie professionnelle et vie personnelle", dit-il.

Au CHU de La Réunion, notamment dans le Nord, 70% des soins n'a pas encore atteint son niveau d'accompagnement en nombre de praticiens, indique Expédit Lock-Fat. Et ce, malgré le plan de rattrapage.

Selon le syndicaliste, "il faut multiplier le circuit par quatre". Il le dit, "on a l'impression qu'à La Réunion il faut se battre pour avoir quelque chose pour la santé".

Expédit Lock-Fat se dit par ailleurs consterné par le Comité interministériel des Outre-mer (Ciom) où "pas un mot n'a été dit  sur la santé".

Lire aussi : Vraies annonces pour La Réunion ou simple bla-bla... élus et syndicalistes ne se font pas d'illusions

Pour Frédéric Bâche de la CGTR, les difficultés se confirment. "En radiologie il nous en reste un ou deux, en ophtalmologie pareil. Pour les anesthésistes on en a perdu cinq dans l'année."

Concernant le service d'urologie qui a fermé dans le Nord, "on envoie les patients en clinique privée mais à 18 heures ça ferme, dont ils les renvoient au CHOR sauf qu'ils n'ont pas le matériel, puis ça amène les patients à Saint-Denis ou à Saint-Pierre".

"Il y a une pénurie de spécialité dans l'hôpital public et cela se répercute sur les patients et les soins."

Une pénurie qui explique par un manque cruel de moyens et par une attractivité plus forte du privée. Comme Expédit Lock-Fat, pour Frédéric Bâche, "le privé attire plus car il offre une meilleure qualité de vie alors qu'au CHU les gens font des gardes un week-end sur deux faute de soignants et c'est très dur".

Selon lui, il faudrait davantage former les jeunes et encadrer le privé. Du privé où tous les patients ne peuvent pas se rendre, faute de moyens.

- Et les patients dans tout ça ? -

Médecins submergés, manque d'effectifs, de moyens… mais qui sont ceux qui trinquent, les patients.

La faute à qui ? Aux médecins qui essayent de jongler entre patients et tâches administratives ? Aux patients qui "consultent trop".

Pour les professionnels, ce refus des nouveaux patients est surtout dû au manque de médecins. "On n'a pas eu d'ouverture du numérus clausus, on n'a pas augmenté le nombre de places en deuxième année de médecine car l'État explique que les médecins coûtent cher", lance le médecin généraliste du Port.

"Cela fait des années qu'on sait que le pic de carence médicale est pour aujourd'hui et pour les dix prochaines années mais rien n'est prévu." "Maintenant on voudrait trouver des solutions mais on n'en a pas."

Un constat partagé par Anne Kolbe, dermatologue à Saint-Pierre. "Le gouvernement n'a pas prévu le papy-boom et a diminué le nombre de médecins depuis 30 ans", dit-elle.

- Comment pallier ces absences ? -

Face à ce constat alarmant et au défaut de soins de certains patients, nous avons donc interrogé l'État et l'Agence régionale de santé.

Selon l'Agence régionale de santé (ARS), "malgré les tensions souvent liées à l'activité intense des médecins généralistes, La Réunion ne connait pas de difficultés majeures en termes d'accès aux soins pour la population".

Au 1er janvier 2020, La Réunion compte en activité hors remplacement : 1.246 médecins généralistes, 7.785 infirmiers, 1.557 masseurs-kinésithérapeutes. Mais également 512 chirurgiens-dentistes et 478 orthophonistes avec une densité de 56 orthophonistes pour 100.000 habitants contre 38 en hexagone.

Toutefois, à l’instar de l'Hexagone, La Réunion manque de médecins spécialistes avec 1.357 en activité au 1er janvier 2020.

Pour réduire ces tensions et l’inégalité territoriale des soins ainsi que pour assurer la continuité des soins, plusieurs dispositifs ont été mis en place, comme les Communauté professionnelle territoriale de santé (CPTS) dont la mission première est de faciliter l’accès aux soins des patients à travers deux leviers. Faciliter l’accès à un médecin traitant à recensement des patients sans médecin traitant et des médecins acceptant de prendre de nouveaux patients puis mise en relation des patients et des médecins. Mais aussi améliorer la prise en charge des soins non programmés.

Les 21 maisons de santé pluriprofessionnelles en fonctionnement assurent également une prise en charge globale dans le cadre d’un parcours de soins coordonnés autour d’un projet de santé pouvant par exemple porter sur la prévention et l’éducation thérapeutique.

Les sept centres de santé en fonctionnement, se spécialisent notamment dans les soins dentaires et ophtalmologistes dans le cadre d’un projet de santé commun porté par l’ensemble des professionnels de santé du centre.

Autre dispositifs mis en place à La Réunion, le SAS (Service d’accès aux soins). Un service d’orientation de la population accessible en composant le 15. Il s’agit d’une plateforme numérique partagée entre les professionnels de santé de la ville et de l’hôpital.

Pour le patient confronté à un besoin de soins non programmés (SNP) et lorsque l’accès à son médecin traitant n’est pas disponible, le SAS permet de fournir un conseil médical et si besoin d’orienter le patient vers une consultation chez un médecin en ville dans les 48 heures. Si la situation est jugée urgente, l’intervention du SMUR ou d’un transport sanitaire est déclenchée.

La permanence des soins ambulatoires permet un accès aux soins après la fermeture des cabinets médicaux en soirée de la semaine, en nuit profonde (après minuit), les samedis, les dimanches et les jours fériés.

Si le médecin traitant n’est pas disponible, le patient est invité à regarder la cartographie des structures proposant des soins non programmés sur le site de l’ARS : https://www.lareunion.ars.sante.fr/votre-medecin-traitant-nest-pas-disponible-et-vous-avez-besoin-dune-consultation-rapidement-1

Dernier mission, la mission AZAM (action zéro patient en ALD sans patient traitant). Une action pilotée par l’Assurance Maladie.

Si pour les patients ces dispositifs sont proposés, d'autres le sont également à destination des médecins qui souhaiteraient s'installer.

"Dans les territoires fragiles, les médecins spécialistes peuvent bénéficier des aides conventionnelles à l’installation qui peuvent aller jusqu’à 50.000 euros pour un médecin spécialiste", indique l'ARS.

ma.m/www.imazpress.com/redac@ipreunion.com

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1 Commentaires
Dagrut
Dagrut
1 an

On est plutôt bien lotis à la Réunion, mais la situation ne va faire que s'empirer les prochaines années, le pire est encore à venir pour l'instant, hélas ; la faute à une mauvaise gestion de nos politiques au niveau du pays et du vieillissement de la population.

Ps: Coquille : "Patient traitant"