Comme pour le mariage pour tous

Transidentité : la crainte d’une polémique frénétique et insultante

  • Publié le 29 avril 2024 à 14:09
  • Actualisé le 29 avril 2024 à 17:10

Alors que les débats s'enchaînent dans les médias nationaux sur la transidentité, les personnes concernées sont de plus en plus inquiètes pour leurs droits. Sur les plateaux et chez certains politiciens s'enchaînent les approximations et fausses informations autour de la transidentité, mais aussi les attaques directes contre les droits des personnes transgenres. Parmi ces attaques, on retrouve des poncifs qui étaient utilisés il y a une dizaine d'années lors des débats sur la loi du mariage pour tous. Une période qui avait été extrêmement violente pour la communauté LGBTQIA+, qui craint aujourd'hui que l'histoire ne se répète.

Depuis plusieurs semaines, ce sujet s'étale sur les plateaux télés, à la radio ou encore dans les pages de certains titres de presse nationaux suite à la publication d'une enquête menée par deux militantes anti personnes transgenres. Des propositions de loi ont par ailleurs été préparées pour interdire les transitions chez les mineurs, portées par la droite et l'extrême-droite.

Il y a cependant un grand absent dans ces débats : les personnes transgenres elles-mêmes.

"Il y a des sujets qui n'étaient pas du abordés de cette manière il y a encore quelques temps, et qui le sont aujourd'hui, et c'est notre existence même et nos droits les plus fondamentaux qui sont menacés" regrette Xylric Lepinay, président de l'association LGBTQIA+ Timize.

"Il y a des pays actuellement qui demandent à interdire les transitions avant l'âge de 25 ans, on sait que c'est quelque chose qui peut arriver extrêmement vite chez nous" alerte-t-il.

Les associations dénoncent depuis plusieurs mois désormais une panique morale qui s'installerait dans le débat, comme cela peut se voir aux Etats-Unis et en Angleterre, et dont elles sont pour le plus souvent exclues.

"C'est un processus qu'on retrouve finalement dans toutes les problématiques d'oppression : les mouvances de droite et d'extrême-droite imposent des débats où nous, les principaux concernés, n'avons pas le droit d'intervenir. Et quand on le fait il y a une levée de bouclier" analyse Zayn.

"Il y a une vraie inquiétude dans notre communauté, les plus jeunes sont terrifiés. Ils ont vu toutes les avancées que nous avons accompli, mais le recul qui se prépare est très anxiogène, notamment parce qu'ils sont la cible privilégiée de cette panique morale" dénonce Xylric Lepinay.

"On parle beaucoup de la nécessité de protéger les enfants de cette "idéologie", mais nous notre objectif n'est pas de rendre les jeunes de trans, ce qui n'est de toute façon pas possible, mais de faire en sorte que les jeunes trans arrivent à l'âge adulte et qu'ils soient bien dans leur peau" souligne-t-il, faisant référence aux risques de tentative de suicide sept fois plus élevés chez les mineurs transgenres.

Un mal-être qui se retrouve principalement chez "les personnes ayant un faible soutien social d’amis ou d’un être cher" souligne la Haute autorité de la santé.

"Les plus jeunes sont déjà particulièrement vulnérables, et on croirait que les adultes qui parlent aujourd'hui pour la protection des mineurs ne l'ont jamais été eux-mêmes. Je rappelle que nous savons ce qu'est d'être un enfant, puis un adolescent transgenre" martèle Xylric Lepinay. "On sait à quel point c'est dangereux de grandir dans un environnement transphobe, nous sommes des survivants."

"On ne perd rien à écouter les enfants et à les informer. Le principe d'être humain, c'est d'avoir une identité sur laquelle on s'interroge, c'est de changer d'avis. Je pense qu'il faudrait faire plus confiance aux jeunes sur l'auto-détermination de leur corps" estime Zayn.

"Je sais que c'est difficile en tant qu'adulte à concevoir. Mais si le débat était plus sain autour de la question, je sais par exemple que ça aurait beaucoup dédramatiser la réalisation que je suis transgenre. On ne perd rien à mettre de la connaissance entre les mains des jeunes" assure-t-il.

Lui-même parent d'une petite fille, qu'il a eu avant sa transition, il estime qu'il faut faire confiance aux plus jeunes sur la question.

"On a habité en communauté avec des personnes transgenres, notre entourage est majoritairement queer, et ma fille ne se pose pas trop de questions" explique-t-il. "La seule chose importante est qu'elle soit heureuse. Elle réalise par ailleurs que je suis plus heureux depuis ma transition. Elle va bien, et je sais qu'elle grandira en étant une personne tolérante."

- Arguments recyclés et études biaisées –

Embrigadement des plus jeunes, propagande, accusation de pédocriminalité…C'est aujourd'hui exactement le même argumentaire que l'on entend, qui était un jour – et parfois qui l'est encore – utilisé pour parler des personnes homosexuelles.

Le déchaînement de violences verbales aujourd'hui rappelle d'ailleurs tristement les débats qui s'étaient tenus les mois précédant le vote du mariage tous, où l'homophobie décomplexée s'était étalée un peu partout dans les médias de la part d'une partie de la classe politique mais aussi de la population.

"Ce qui est terrible, c'est la capacité d'aller jouer sur les émotions des êtres humains, de tous ces auditeurs et auditrices qui ne sont pas nécessairement avertis et qui ne connaissent pas vraiment le sujet" souligne la chanteuse Louïz, qui dénonce publiquement le livre Transmania.



Un ouvrage qui a d'ores et déjà été épinglé par des associations de protection des droits LGBTQIA+, qui accusent les autrices de véhiculer de fausses informations, des informations déformées mais aussi de se baser sur des études qui ne sont aujourd'hui plus pertinentes.

"Il y a une espèce d'incitation à la colère, en partageant par exemple des chiffres qui sont complètement faux, pour monter la population contre les personnes transgenres" dénonce Louïz. "Il suffit de regarder les vidéos sur le sujet et le déchaînement de violence dans les commentaires."

"Je comprends que le sujet des transitions pour les mineurs puisse crisper, mais je pense quand même que les parents réfléchissent, ils ne se réveillent pas un matin en décidant de faire transitionner leur enfant. La démarche est médicalisée et encadrée, et on n'est pas sur des transitions irréversibles" rappelle la chanteuse.

"Le sujet des enfants qui se posent des questions sur leur genre, et des services hospitaliers qui les reçoivent, occupe plusieurs pages de Transmania. Dora Moutot et Marguerite Stern n’interrogent ni des jeunes mineur·es français·es qui y sont suivi·es, ni les professionnel·les de santé qui y travaillent" souligne en effet le média Causette (article payant), qui est longuement revenu sur les inexactitudes de ce livre, pourtant actuellement présenté comme une enquête sérieuse.

“Il peut arriver que les suivis mènent à une indication de bloqueurs de puberté, mais ce n’est pas systématique dans une transition. Quand c’est le cas, on ne fait pas ça n’importe comment”, indique à Causette Fanny Poirier, psychologue.

"Concernant les bloqueurs de puberté, Fanny Poirier questionne les propos de Dora Moutot et Marguerite Stern quant à l’incidence des bloqueurs de puberté sur “la fonction sexuelle” des personnes qui en prennent" poursuit Causette.

"À l’heure actuelle, il n’est pas prouvé que ça a un effet castrant. Au moment de l’arrêt des bloqueurs, la puberté reprend son cours" abonde Fanny Poirier.

"Si ces médicaments peuvent avoir des conséquences sur l’humeur, donner plus envie de manger et avoir des effets sur la santé osseuse, les enfants sont justement suivi·es pour faire attention à ces effets secondaires" précise le média, avant d'ajouter, citant une nouvelle fois la psychologue : “Des examens de santé vont régulièrement être faits. Et ça vaut pour tous les enfants, que ce soit dans un cas de questionnement de genre ou de puberté précoce.”

- Le parcours de transition -

Depuis quelques jours, on voit aussi passer l'affirmation que la prise en charge d'une transition coûterait 100.000 euros à l'Assurance maladie. S'il est effectivement possible de se faire rembourser une partie des soins en lien avec une transition de genre grâce à l'accompagnement des affections longues durées (ADL), la réalité n'est pas aussi simple.

La plupart des parcours nécessitent de rencontrer un endocrinologue. En plus de temps d'attente extrêmement long pour pouvoir avoir un rendez-vous, les personnes transgenres doivent aussi passer par un processus long – et pourtant pas obligatoire – d'accompagnement psychologique pour pouvoir recevoir un traitement hormonal et accéder à l'ALD.

Au total, 8 952 personnes étaient titulaires d’une ALD pour transidentité en 2020, d'après les chiffres de la Haute autorité de santé.

Le nombre de demandes (accord et refus) de prise en charge de chirurgie mammaire et pelvienne de réassignation ont été multipliées par quatre entre 2012 et 2020, passant de 113 à 462. Ces demandes ont reçu un accord dans une proportion de 62 % à 74 % selon l’année.

Lire aussi : Pénurie de testostérone, accès aux soins compliqué : le parcours du combattant pour les transitions de genre

- Peur pour l'avenir -


"Il y a déjà une montée de la violence envers les personnes transgenres dans les pays anglo-saxons, qu'est-ce que ça va être ici si on commence à laisser les mêmes discours s'installer ?" s'interrogent désormais les associations.

"Le futur est inquiétant, parce qu'on sait que l'extrême-droite est contre une partie des droits LGBT, et qu'elle risque d'accéder bientôt au pouvoir" souligne Louïz. "Est-ce qu'on ne va pas perdre des droits qui nous été acquis ?" s'interroge-t-elle.

"Je pense souvent à une phrase que j'ai entendu d'une poétesse transgenre, qui disait qu'à chaque fois qu'elle traverse la route, elle accélère par peur que si un automobilise voit son visage, il puisse accélérer et la renverser seulement en raison de sa transidentité" confie Zayn.

"Je vis dans la peur : la peur qu'on nous retire des droits, mais aussi la peur d'une violence très concrète. Peut-être que bientôt il sera interdit d'être comme je suis, et je dois me préparer psychologiquement à ce que mes droits me soient retirés" ajoute-t-il.

Toutes ces problématiques ont été abordées avec Aurore Bergé, ministre de l'Egalité femme-homme et de la lutte contre les discriminations, lors de son passage à La Réunion. Critiquée par les associations pour s'être entretenue avec les deux militantes citées plus haut – dont une est aujourd'hui mise en examen pour incitation à la haine transphobe – elle a assuré prendre au sérieux la lutte contre la transphobie.

"Je l'ai dit, il y a une proposition de loi qui désinforme sur ce qu'est la transidentité, et je m'y opposerais en tant que ministre si elle venait à être déposée" a-t-elle insisté auprès d'Imaz Press Réunion.

Proposition de loi qui a d'ailleurs été préparée…avec l'audition d'une seule personne transgenre qui a regretté sa transition. Le sujet de la détransition est régulièrement utilisé pour critiquer les transitions de genre, mais les détracteurs oublient généralement de préciser que de plusieurs études ont démontré que les détransitions sont très majoritairement motivées par les discriminations subies.

Une étude américaine souligne par exemple que 82.5% des personnes sondées ayant détransitionné rapportent avoir subi des pressions pour le faire. Une autre étude montre que seul 5% des détransitions ont été motivées par un regret, et que la grande majorité l'ont été par des pressions familiales, sociales, ou économiques.

Concernant les regrets post-chirurgicaux, les taux se situraient autour de 1 % ou moins. C'est - beaucoup - moins que pour certaines opérations chirurgicales : une étude a par exemple révélé qu'il y avait un taux de 20 % de regret pour les prothèses totales du genou.

Une pétition dénonçant ce projet de loi a pour l'heure réunie près de 50.000 signatures.

- "Prendre la tribune" -

"On a un travail d'information à faire, parce que je pense que beaucoup ne savent pas et ne connaissent pas ce sujet. Notre rôle est de soutenir les associations qui peuvent accompagner les familles concernées, afin qu'il y ait plus de respect et plus de respect" a souligné Aurore Bergé lors de sa venue.

"Dans la réalité des faits, ce type de sujet devient acceptable. Ce qui hier relevait de l'infamie est aujourd'hui de l'ordre du débat, donc il est très important de se prononcer" estime Xylric Lepinay, suite aux réponses de la ministre.

"Il faut de la fermeté, et il faut arrêter d'ouvrir le boulevard à l'extrême-droite qui impose des sujets. On a des dirigeants qui non seulement ne s'y opposent pas, mais qui sont même en complaisance avec ces discours et les utilisent pour écrire des textes de loi" dénonce Zayn. "Et lorsqu'on les confronte à cette réalité, on nous rétorque qu'il s'agit de la liberté d'expression. Aujourd'hui, on peut tenir des propos transphobes, ou bien racistes, à la télévision, sans être condamné. Mais parallèlement, on observe une répression de la pensée de gauche" souligne-t-il.

L'objectif aujourd'hui est "de prendre la tribune, pour diffuser un message de respect". "On demande à être respectés, c'est tout. Si après des décennies de thérapies de conversion, d'électrochocs et autres expériences scientifiques, on n'a pas réussi à rendre des personnes transgenres, cisgenres (personne en accord avec son genre ; ndlr), on n'arrivera pas à transformer les gens en transgenres" raille Xylric Lepinay.

Zayn invite par ailleurs les personnes à "multiplier les sources d'informations et d'aller vers les personnes concernées" pour mieux comprendre la transidentité. "On ne peut pas tirer des conclusions sur un sujet après avoir regardé un segment à la télévision" souligne-t-il.

"Les trans sont des humains, on ne pense pas de la même manière, nos parcours, nos opinions, nos histoires, nos positionnements politiques sont variés. Les choses sont plus complexes et nuancées que ce que les télévisions qui veulent faire du chiffre ont tendance à présenter."

"L'avenir nous dira ce qu'il en est, mais Aurore Bergé a eu l'air de dire qu'elle pourrait s'exprimer sur le sujet. A priori, le discours aujourd'hui est rassurant, mais il faut rester vigilant et ne pas hésiter à engager le dialogue avec le gouvernement" conclut Xylric Lepinay.

as/www.imazpress.com / [email protected]

guest
0 Commentaires