Les violences sexistes et sexuelles concernent tous les milieux, et le monde de la culture n'est pas épargné. Dans l'Hexagone, c'est d'ailleurs une véritable tempête qui a débuté dans le milieu du cinéma, avec l'actrice Judith Godrèche qui a dénoncé l'omerta qui y fait loi. Et si de plus en plus d'artistes françaises commencent à élever la voix pour dénoncer des violences aussi banalisées que tues, à La Réunion, le silence est toujours roi. L'insularité mais aussi l'entre-soi qui règne au sein du milieu culturel réduisent le plus souvent les victimes au silence, et oser parler riment souvent avec rejet du milieu (Photo : sly/www.imazpress.com)
Depuis le mois de septembre 2023, le Mouvman FH+ s'attèle à tenter de quantifier ces violences au sein des milieux artistiques de l'île, alors qu'aucun chiffre au niveau départemental n'existe pour l'heure.
Un travail difficile, alors que les victimes font le plus souvent le choix du silence, dans un milieu où l'omerta est légion. Peur de ne pas être crues, impact sur la carrière, milieu où chacun se connait : les raisons de ces silences sont nombreuses. Et les conséquences lorsque certaines victimes osent parler peuvent être dramatiques.
"La communauté artistique est petite, et est tenue par des gens qui ont du pouvoir qui peuvent effacer une carrière et une vie" dénonce la comédienne Délixia Perrine, militante et soutien du Mouvman FH+
Dans un milieu où tout le monde se connait, la libération de la parole est extrêmement difficile. "Sur la centaine de réponses que nous avons reçu à notre enquête flash, beaucoup n'osent pas dénoncer par peur d'être ostracisées" abonde Sandrine Ebrard, co-présidente du Mouvman FH+.
Des témoignages, le Mouvman FH+ en a reçu une centaine : harcèlement moral ou physique, agressions, viols…Avec des noms récurrents, qu'Imaz Press Réunion n'est aujourd'hui pas en position de révéler, faute de plaintes officielles.
"Je n'ai personnellement pas attaqué en justice après avoir subi des violences psychologiques, parce qu'on m'a fait comprendre qu'on m'attaquerait en diffamation si je parlais" témoigne-t-elle. "Je pense que c'est la raison principale pour laquelle je n'ai pas porté plainte à l'époque."
"J'avais commencé à en parler autour de moi, pour trouver de l'aide, sortir du sentiment d'incompréhension et de solitude, mais on m'a vite fait comprendre qu'il fallait que j'arrête pour ne pas être mise à l'écart du milieu. Ça m'a pris un petit temps pour me remettre de cette expérience, mais ça m'a aussi permis de mieux comprendre les mécanismes de ces violences" se rappelle-t-elle.
L'atmosphère particulière dans laquelle les artistes travaillent peut parfois aussi créer des difficultés à déceler les violences. "Il y a moins de cadre : un directeur de casting qui veut rencontrer des jeunes gens et qui donne rendez-vous dans un hôtel, cela ne va choquer personne, ce qui n'arrive pas dans les autres secteurs. C'est très rare de se rencontrer dans un bureau" souligne Perrine Delixia.
"Et puis, sur scène on se déshabille par exemple…Ça facilite la vulnérabilité, et parfois on n'a même pas conscience que c'est une atteinte à notre personne. La façon de travailler est particulière, et créé un environnement de travail qui peut prêter à confusion" détaille-t-elle.
- Loi du silence -
Cette loi du silence peut s'illustrer par la publication des témoignages des filles du directeur - actuellement en arrêt maladie - du CDNOI, qui l'accusent de viol. L'affaire, révélée par nos confrères de Parallèle Sud, illustre parfaitement le silence qui pèse autour des accusations envers des personnes ayant une certaine renommée dans le milieu culturel. Il aura fallu plus de dix ans, deux plaintes et l'intervention de l'UFR, de Mouvman FH+ et de la CGTR Spektak réunis, pour que ce dernier soit écarté de la direction.
"Ces problématiques étaient déjà criantes il y a plusieurs années, j'avais déjà compris l'ampleur de l'impunité de certaines personnes en travaillant sur le dossier CDNOI" souligne d'ailleurs Sandrine Ebrard, aussi syndiquée membre du bureau de la CGTR Spektak.
"La problématique est bien connue : il y a tellement peu de plaintes qui aboutissent à une condamnation, et les procédures sont tellement douloureuses à vivre pour les victimes, que c'est extrêmement difficile de se lancer. Et on ne peut évidemment forcer personne à se rendre en commissariat. Tout ce qu'on peut faire, c'est apporter une aide à celles qui en ont besoin, et quand c'est possible, alerter" soupire Sandrine Ebrard.
On peut aussi citer le cas d'un professeur de l'Ecole supérieur d'art de La Réunion. En 2020 déjà, Imaz Press Réunion vous en parlait : un professeur était accusé de viol par une ancienne élève. Il aura fallu attendre la publication de notre enquête, un arrêt maladie et un remaniement de la direction pour que ce dernier soit écarté de l'école.
Au sein même de l'école, la mobilisation de certains élèves avait semble-t-il déplu à la direction de l'époque. "Ce qui a été le plus marquant c'est que la priorité de l'administration a été de protéger sa réputation" se rappelle Thomas*, qui avait tenté de dénoncer la présence de ce professeur avec d'autres élèves de l'époque.
"Dès mon arrivée dans l'école, on m'a expliqué sur ce qu'il s'était passé, les bruits qui courraient aussi, on mettait les femmes en garde sur le comportement de ce professeur… On sait tout ça, mais derrière il n'y a aucune action de l'administration" dénonce-t-il.
"Quand on a commencé à se mobiliser, on a subi des pressions sous la forme de sous-entendu, qui sont ensuite devenus des convocations, des coups de pression, des refus d'adaptation pour nos études" assure-t-il.
"Ces artistes parfois sont hyper protégés, et il y en que ça arrange que ces histoires ne sortent pas. C'est scandaleux, il y a un aspect tellement violent qu'il ne vaut mieux pas en parler pour ne pas gâcher l'image" abonde Perrine Delixia.
"Cette omerta qui règne, elle tient grâce aux non-dits, à l'effacement des lanceurs d'alerte. C'est un problème généralisé, parce qu'il y a le désir de garder un statuquo, de protéger des hommes puissants. Le tout avec des implications tout de même politique" dénonce Thomas*.
Depuis, la direction a changé, un nouveau directeur a pris les manettes de l'école. Contacté, Julien Cadoret explique qu'une "formation récurrente sur la prévention des VSS est faite régulièrement auprès des élèves". "Nous avons des référents discrimination, et ma porte est ouverte" assure-t-il.
Aujourd'hui, "on doit veiller à ce que les différents éléments pour prévenir les risques soient à disposition" estime-t-il. "Lors d'un signalement, il y a une mise à pied préventive en cas de suspicion concernant un professeur. On conseillera d'aller porte plainte, car nous n'avons pas de pouvoir juridique. Si les accusations portent contre un élève, nous procédons à enlèvement préventif, et lui demandons de ne pas fréquenter l'établissement".
"Ce qu'on essaie de démontrer aux élèves c'est que notre porte est ouverte, ils peuvent venir, il y a un relai auprès des enseignants, des élèves, et en dernier lieu la direction" assure Julien Cadoret.
- Retraits de témoignage, anonymat et peur des conséquences -
Preuve de la difficulté de dénoncer : plusieurs personnes ayant témoigné auprès de Imaz Press Réunion de violences subies dans le milieu d'art se sont retractées, de peur d'être reconnues et de subir des conséquences sur leur travail, leur vie, voire de devoir faire face à des procédures judiciaires. Même les personnes ayant déposé plainte préfèrent rester anonyme.
“L’affaire dont je vous fais part aujourd’hui pour laquelle j’ai déposé une plainte est apparemment encore en cours. Aux dernières nouvelles, la plainte semble être posée sur la pile à traiter d’un enquêteur en arrêt maladie. Je ne souhaite donc pas divulguer trop d’informations puisque l’enquête semblerait-il n’est pas close, ni classée sans suite" témoigne auprès de nous une artiste, que nous appellerons Laura*.
"Les viols dont j’ai été victime ainsi que le harcèlement sexuel et les menaces de porter atteinte à mon intégrité physique (devant témoins) émanent de trois hommes différents âgés entre 25 et 45 ans, travaillant dans le milieu culturel réunionnais. J’ai déposé une plainte en 2020 pour viols pour des faits remontant à 2014, parce que j’estime que c'est l’affaire la plus importante" confie-t-elle.
“Je crois que mon esprit a oublié pendant longtemps cette période pour survivre, mais mon mal-être psychique et physique était bien là, en sourdine" explique-t-elle. "Je me culpabilisais en me disant que je savais qu’il avait une réputation de coureur de jupon et qu’il allait tenter quelque chose et que j’y suis allée quand même. Avec du recul, je crois que cela s’appelle de l’emprise car il connaissait toute ma vie et tous mes problèmes. J’étais en état de vulnérabilité à cette période de ma vie, il m’avait convaincue de venir alors même que j’hésitais.”
Ce n'est que six ans après les faits, soit en 2020, qu'elle se rend au commissariat après avoir eu des flashs des violences subies. "L'audition a duré cinq heures, avec toutes les émotions que cela implique. C’était éprouvant. Il y a des suspicions de soumissions chimiques médicamenteuses car je me souviens très bien de mes journées aux côtés de cette personne, mais je n'ai aucun souvenir stable des nuits passées chez lui pour la création d’un projet artistique".
Ce que cette artiste décrit résonne avec les témoignages de nombreuses victimes. L'emprise, l'abus de confiance, l'abus de faiblesse sont d'autant de facteurs qui reviennent dans chaque récit de victime de violences, qu'elles soient psychologiques, physiques ou sexuelles.
"Les prédateurs ont un mode opératoire que l'on connait aujourd'hui : ils gagnent la confiance d'un.e élève, de la partenaire de jeu, de la comédienne sur le plateau et puis c'est là où au fil du temps les problématiques de violences s'installent" alerte Sandrine Ebrard. "Et cela vient très souvent de personnes absolument charmantes, appréciées, dont les accusations étonnent toujours" affirme-t-elle. D'où les difficultés à témoigner, encore.
- Des conséquences dramatiques –
Comme pour chaque personne victime de violences, les conséquences peuvent être dramatiques. “J’ai fui le milieu de la culture. Pourtant, j’étais très impliquée dans mes études et je croyais dur comme fer à mon avenir artistique" explique Laura.
"Je sais que j’ai de très bonnes capacités de travail, mais je n’y arrive plus. Ces viols, harcèlements et menaces m’ont bousillée. Je me soigne, j’ai la rage de vouloir m’en sortir mais j’ai des troubles psychiques handicapants qui se sont développés" dénonce-t-elle.
"Hypervigilance, anxiété, idées suicidaires intrusives, troubles du comportements alimentaires, de la mémoire, des problèmes gastro-intestinaux plus au moins grave entrainant des carences, mal-être, problèmes de rencontres et de relations sexuelles et amoureuses, lassitude, beaucoup de colère et de la solitude voire de l’isolement" : voilà les conséquences sur la vie de cette victime.
"Un procès ne me fera gagner ni de l’argent, ni en reconnaissance, ni rien du tout. Je ne crois pas en cette réparation. J’ai porté plainte pour qu’il y ait une trace, pour signaler une personne problématique et tenter d’arrêter cette personne dans ces agissements" dit-elle. "En attendant, cette personne continue de travailler dans le milieu."
Et si cette dernière a trouvé le courage de porter plainte, la plupart des victimes se heurtent à un processus bien trop violent.
Car tout le problème réside dans ce dépôt de plainte, et de tout ce que cela implique derrière. "La problématique est bien connue : il y a tellement peu de plaintes qui aboutissent à une condamnation que c'est extrêmement difficile de se lancer. Et on ne peut évidemment forcer personne à se rendre en commissariat. Tout ce qu'on peut faire, c'est apporter une aide à celles qui en ont besoin" soupire Sandrine Ebrard.
- Pour une meilleure écoute des victimes -
“On ne parle jamais assez des conséquences des VSS sur les victimes, sur leur carrière, leur espérance de vie, leur santé globale mais aussi de leurs rêves et contributions au monde" souligne Laura*.
"Je tiens également à mettre l’accent sur la responsabilité de toutes et de tous. La société doit agir face à son déni-complice et ses défenses zélées des agresseurs, là où il vaudrait mieux travailler à éduquer, et lutter radicalement" alerte-t-elle.
"Si tout le monde apprenait à réagir et à repérer les victimes ainsi que les agresseurs, peut-être qu’il y aurait moins de victimes. Je rêve pour finir qu’il y ait aux quatre coins de l’île des Maisons de femmes avec des spécificités de soins et d’attention pour les femmes noires et créoles, car depuis longtemps nous subissions de nombreuses inégalités. Il faudrait sortir de cet aveuglement face aux autres phénotypes et prendre le courage de dire enfin que oui il y a des problématiques spécifiques aux femmes noires et créoles" conclut-elle.
"Libérer la parole c'était il y a vingt ans, aujourd'hui il faut agir : quand il y a une parole on arrête de mettre en doute la parole des victimes et on applique la loi" estime par ailleurs Délixia Perrine. "On arrête les enquêtes qui durent des années, ce n'est pas possible pour les victimes, il n'y a rien de plus déroutant pour elles d'attendre des années pour avoir des réparations."
"Ce qu'il faudrait, c'est améliorer la sensibilisation dans les lieux de culture, au plus tôt. Ecoles d'art, conservatoires, mais aussi les établissements scolaires : il faut informer, apprendre à repérer les méthodes des prédateurs, sensibiliser sur l'emprise, sur ce qui est acceptable ou pas…" abonde Sandrine Ebrard.
"On a commencé à souhaiter contacter toutes les structures culturelles pour pouvoir y aller et discuter avec les salarié.e.s pour informer. Il faut remettre au clair le vocabulaire : qu'est-ce que le harcèlement moral et sexuel ? Qu'est-ce qui constitue une agression sexuelle ? Tout le monde ne sait pas exactement de quoi il s'agit, et cela créé parfois des situations où une personne est une victime sans vraiment le savoir" regrette la co-présidente du Mouvman FH+
"On alerte aujourd'hui les institutions pour s'emparer du sujet, notamment quand cela concerne l'un de leur membre ou un.e salarié.e d'une de leur structure. Il faut qu'elles prennent leurs responsabilités, on attend qu'elles agissent concrètement quand des accusations sont portées contre quelqu'un de leur institution, mais aussi qu'elles soient plus à l'écoute des signalements et pratiquent un principe de précaution pour mettre à l'écart les personnes problématiques le temps que des enquêtes poussées soient menées" insiste-t-elle.
"Dans les lieux de culture, on devrait travailler à la mise mettre en place d'une sorte de label pour s'assurer que ces derniers sont formés, tout comme le personnel des lieux, à la prise en charge des victimes de violences. On doit sensibiliser à ce qui entrent dans ce qui est considéré comme un comportement problématique et violent. Il faut habituer le public lambda à ce mode de fonctionnement, et que les personnes malveillantes se rendent compte que l'impunité, c'est terminé".
Ce lundi, le lancement d'une mission pour "changer les règles" dans le milieu de la culture, du sport et dans les universités a été annoncé par Aurore Bergé, ministre déléguée chargée de l'Égalité entre les femmes et les hommes. Une mission qui concernera sans doute plus l'Hexagone que La Réunion. Peut-être pourrait-il être utile de transposer cette mission localement.
* Les prénoms ont été modifiés
as/www.imazpress.com/[email protected]
En 1979, puis pendant 3 ans j’étais à la création d’une compagnie qui a eu son heure de gloire pendant des décennies et ce à juste titre
C’est vieux et je devrais oublier et pourtant dans chaque bouquin, documentaire à propos de cette compagnie je suis systématiquement invisibilisee, parfois parce que j’ai mendié ma légitimité, tout juste des petites mentions comme si j’étais juste une figurante, une passante et la cicatrice d’avoir été effacée s’ouvre de nouveau. Il va sans dire que les hommes sont tous mis à l’honneur
Oh il n’y a pas eu de violence physique juste « mais t’es qui toi ? Tu existes ? »
45 ans après ça fait toujours mal au bide et les rares fois où je me suis exprimée je suis raillée comme si j’étais la parano ou la mytho de service
À LA RÉUNION,petit pays charmant, on sait bien que tout celà n'existe pas voyons. Sinon la presse en aurait parlé.
N'attendez RIEN du système étatique FR et de sa Justice, qui dans la Ve RF a pour UNIQUE fonction de PROTÉGER le Pouvoir
Les Magistrats ne sont même pas à blâmer.
S'ils effleurent l'Establishment : ils seront "grillés", placardisés, écartés et leur carrière finira en eau de boudin, voire pire...l'affaire "Outreau"
La seule solution pour ceux qui subissent est bien de briser ce mur du Silence, cette cooptation silencieuse des Groupes dominants
La "Familia Grande", a mis au grand jour le Putride et l'Impunité de nos Gouvernants FR et de leurs cohortes de Courtisan-e-s
Et que tous ces Predators sexuels finissent non pas en Prison IMPOSSIBLE en France,
mais couvert de l'Opprobre Public
(leur Hubris démesuré ne le supporte pas)
L'impunité à la Polanski en FR c'est FINI
Le Talent réel ou supposé n'absout PLUS des crimes
Et cela on le doit collectivement aux Réseaux Sociaux (malgré les dérives constatées), incarnation de la Démocratie 2.0