Restrictions sévères

Mayotte : privés d'eau potable, les habitants comptent chaque goutte et craignent le pire

  • Publié le 18 juillet 2023 à 14:00

Sécheresse, manque de pluie cette année, vétusté du réseau d'eau courante… Face à l'état des eaux à Mayotte, les habitants doivent faire face depuis ce lundi 17 juillet à de nouvelles restrictions. Plus de 135.000 habitants des quatre villes les plus peuplées de Mayotte (Mamoudzou, Koungou, Dzaoudzi-Labattoir et Pamandzi) sont concernés par ces coupures allant de 16 heures jusqu'au lendemain 8 heures. Les autres communes devront quant elles faire face à trois "tours d'eau" de 24 heures par semaine. Dans un département en proie à la sécheresse, aux crises migratoires, au réseau vétuste et à la pauvreté, comment s'adapter. Comment faire au mieux alors que le ministre de l'Intérieur avait dit se préoccuper du sujet ? (Photo d'illustration : rb/www.imazpress.com)

Echati Insuffo vit à Dzaoudzi-Labattoir. Depuis ce lundi 17 juillet, la mère de famille doit s'adapter à vivre au rythme des coupures d'eau. "On remplit des seaux pour faire à manger, pour le quotidien", dit-elle. "Mais c'est très difficile pour les gens qui comme moi travaillent et rentrent après 17 heures alors que l'eau est déjà coupée."

"C'est toute une organisation", nous dit-elle. "Soit je rentre plus tard au boulot et j'essaye de m'organiser, soit je n'ai pas d'eau. C'est dur au quotidien", confie Echati Insuffo. "On est dépassé, on espère que ça durera le moins possible."

De plus, l'eau au robinet n'est absolument pas potable. Echati Insuffo doit donc prévoir un budget conséquent pour se fournir en packs d'eau. "Nous on a toujours acheté des packs d'eau minérale mais beaucoup de gens qui n'ont pas les moyens d'acheter les packs sont obligés de boire l'eau du robinet", souligne la mahoraise. "D'autant qu'il y a eu une flambée des prix des bouteilles et pas tout le monde peut suivre", ajoute-t-elle.

En effet, dans les petites épiceries, comme en grandes surfaces, les prix varient entre 6 à 10 euros le pack. Ce qui impose aux familles de prévoir un budget de près de 50 euros par semaine rien que pour l'eau. De l'eau qu'ils peuvent acheter en quantité restreinte. "On a le droit à deux packs par personne", dit-elle.

Une aberration quand – alors que le ministre Gérald Darmanin s'était rendu à Mayotte – il avait été annoncé un blocage des prix au 15 juillet sur les bouteilles. Mais le constat est là… il n'en est rien.

De plus, aucune distribution d'eau pour les familles à revenus modestes ou d'installation de citernes n'a été évoquée par la préfecture de Mayotte. "Ce sont des projets mais quand cela va se faire, on n'en sait rien", nous confie Echati Insuffo.

Lire aussi - Mayotte: Darmanin veut démolir des logements insalubres et remédier au manque d'eau

- Les coupures comme quotidien -

Ces restrictions sont rendues nécessaires par la sécheresse qui sévit à Mayotte, ainsi que par la vétusté du réseau. "À l'exception de l'année 1997, il n'est jamais tombé aussi peu de pluie dans le département", souligne la préfecture dans un communiqué.

La situation avait déjà contraint les autorités à mettre en place une troisième coupure hebdomadaire le 22 mai, avant une quatrième mi-juin. Alors qu'un cinquième tour d'eau devait être mis en place début juillet, le manque de pluie a contraint le Comité de suivi de la ressource en eau à accélérer la cadence.

Pour tenter de faire face, l’État a donc décidé de couper l’eau potable seize heures par jour à compter de ce lundi 17 juillet dans plusieurs villes du département.

Les tours d’eau nocturnes sont maintenus dans les zones où l’activité économique est la plus importante. Dans les communes de Mamoudzou, Koungou, Pamandzi et Dzaoudzi, l’eau sera coupée toutes les nuits, 7 jours sur 7. L’eau sera donc coupée à partir de 16 h et la remise en eau interviendra à 8 h le matin tous les jours.

Dans les autres communes du département, les tours d’eau nocturnes sont remplacés par des tours d’eau de 24 h trois fois par semaine. L’eau sera coupée à partir de 16 h et la remise en eau interviendra le lendemain à la même heure.

Pourtant, depuis 2016, l’État promet d’investir pour en finir avec les coupures d’eau à Mayotte : plan d’urgence en 2017, plan de relance en 2021… Même Gérald Darmanin l'a évoqué lors de sa visite. Mais là encore, la population ne peut que constater ces effets d'annonces, sans mesures concrètes.

"On peut garantir que chaque mahorais aura accès à l'eau potable" la phrase est signée Gérald Darmanin, samedi 24 juin 2023, en haut de la retenue collinaire de Combani alors que la capacité en eau des deux retenues est estimée, aujourd'hui, a moins de 35%. "Ça pourrait le faire, c'est la guerre à la sécheresse, la République ne laissera pas mourir de soif ses enfants" a renchéri Jean-François Carenco, le ministre délégué aux Outre-mer.

Et pourtant...

"Cela fait 20 ans que le gouvernement promet des investissements et ne tient pas ses promesses", a dénoncé Estelle Youssouffa, députée Libertés, indépendants, Outre-mer et Territoires (LIOT) de Mayotte sur Franceinfo.

"Non seulement les investissements pour produire de l'eau potable n'ont pas été à la hauteur de l'évolution de la population, mais en plus, on connaît une sécheresse hors du commun", a expliqué l'élue. Estelle Youssouffa dit avoir alerté le gouvernement à plusieurs reprises : "On attend une troisième retenue collinaire. Ça fait 20 ans qu'on en parle", dit-elle.

Également invité sur Franceinfo samedi 15 juillet, l'eurodéputé Réunionnais Younous Omarjee a dénoncé le manque d'investissement de l'État à Mayotte et a réclamé la gratuité de l'eau pour tous les Mahorais.

- Quels risques pour la population -

La rupture potentielle d'approvisionnement en eau expose la population à des risques sanitaires du fait du recours à une eau impropre à la consommation lors de la remise en eau ou à des eaux de surfacecontaminées durant les coupures pour l'alimentation et l'hygiène. Mais également de l’hydratation insuffisante et de la baisse du niveau d’hygiène de base (lavage de main).

Autres points qui exposent les habitants à des risques : le défaut d’assainissement et de l’impossibilité d'évacuer les excrétas et des réservoirs de stockage d’eau impropres à l’alimentation ou susceptibles de constituer des gites larvaires pour les vecteurs d’arboviroses.

"Tout cela représente une menace sanitaire importante pour la population mahoraise qui, pour une majorité d'entre elle, est en situation de grande précarité", souligne Santé publique France.

"Aussi, l'absence d'eau (ou la mise en place de coupures d'eau prolongées) comme cela a déjà été observé lors de la crise de 2016-2017, pourrait générer des flambées épidémiques : infections gastro-intestinales et maladies hydriques endémiques à Mayotte telles que la fièvre typhoïde ou les hépatites A et pour lesquelles des foyers de contamination sont détectés régulièrement sur le territoire."

De plus, le nombre de passages aux urgences pour gastro-entérite est en augmentation depuis la semaine 25-2023 chez les enfants de moins de 5 ans.

Conseils aux usagers lors de la remise en eau :

• Veiller à la fermeture de tous les robinets de l’habitation et de laisser couler l’eau durant les premières minutes tout
doucement.

• Laisser couler l’eau ensuite jusqu’à ce qu’elle soit claire (en la récupérant dans un récipient pour un usage autre
qu’alimentaire).

• Faire bouillir l’eau pour des usages alimentaires (boissons, cuisine) dans la première demie journée suivant la remise en eau.

• Laver les aliments avec de l’eau propre.

• Laver les mains à l’eau et au savon ou avec une solution hydrologique.

- Mayotte encore délaissée -

Une absence d'eau, mais surtout une absence de mesures concrètes à court terme qui pousse les habitants de Mayotte à se sentir une nouvelle fois délaissés par l'État. "On ne nous parle que de projets mais ce ne sont pas des choses qui seront faites cette année", confie Echati Insuffo. "Or cela fait des mois et des mois que nous vivons avec des coupures qui là s'intensifient." Elle ajoute, "si cette année rien n'est fait et qu'il n'y a pas de pluie cela va devenir urgent et on ne sait pas comment on va le vivre".

D'autant que cela est certain, une situation comme celle-ci serait inimaginable à La Réunion et dans l'Hexagone.

De plus, et alors que l'État est arrivé en grande pompe à Mayotte, promettant mondes et merveilles dans l'opération Wuambushu, avec des décasages, moins de violences, des forces de l'ordre… Force est de constater qu'il n'y a plus rien et que cela s'empire même, notamment avec le retrait de la CRS-8.

Pour l'eau, même triste constat.

Et quels risques pour les Mahorais qui doivent boire cette eau – n'ayant pas les moyens de s'acheter des packs ? L'État y-a-t 'il songé ? Le Centre hospitalier de Mayotte – déjà en grande souffrance face au manque de personnels et malgré les renforts de 232 personnes depuis le début de l'année – pourra-t-il faire face à l'afflux de personnes victimes de problèmes de santé suite à l'ingestion d'eau non-potable ?

Pourtant, à Mayotte, elle devrait durer jusqu’au retour de la saison des pluies, en décembre.

Alors, dire aux habitants "il est essentiel que chacun veille à ses habitudes de consommation et d'adopter les bons gestes", cela va de soi. Mais il faudrait surtout dire aux instances supérieures d'accélérer les choses pour faire en sorte que les Mahorais puissent bénéficier d'un réseau d'eau digne de ce nom et ne subissent pas encore une fois. 

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ma.m/www.imazpress.com/redac@ipreunion.com

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