Mayotte

Wuambushu : chronique annoncée d’un fiasco post-colonial

  • Publié le 27 avril 2023 à 09:00
  • Actualisé le 27 avril 2023 à 09:59

Alors que l'opération Wuambushu avance difficilement à Mayotte, la colère continue de gronder du côté de la population aussi bien mahoraise que comorienne. Une situation qui n'a rien d'étonnant, alors que l'archipel est laissé à l'abandon depuis de – très – nombreuses années. Entre tensions communautaires, population abandonnée par les pouvoirs publics, institutions qui tombent en lambeaux et conflits diplomatiques, nul ne peut s'étonner des violences qui émaillent le territoire depuis désormais plusieurs années. Chronique annoncée d’un fiasco post-colonial (Photo rb/www.imazpres.com)

Pour comprendre la situation, il faut retourner en 1974. A l'époque, tout l'archipel des Comores appartient à la France. La consultation du 22 décembre 1974, qui a lieu dans le Territoire des Comores, est organisée pour déterminer si les habitants des îles de l'archipel veulent ou non obtenir l'indépendance de leurs îles.

Au moment de la consultation, la question était "Souhaitez-vous que le territoire des Comores devienne indépendant ?" mais il n'était pas strictement précisé si le résultat devait être interprété île par île ou globalement.

Ainsi, si l'on prend le résultat global, au niveau de l'archipel, 95% des votants se déclarent pour l'indépendance. Mais en analysant île par île, 99 % des habitants à Mohéli, Anjouan et en Grande Comore votent pour l'indépendance, alors que Mayotte vote, à plus de 63%, pour le maintien dans la République, les Mahorais se méfiant du dirigeant pressenti pour diriger les Comores.

A l'époque, les partisans de l'indépendance pensaient que la France se conformerait au droit international concernant l'indivisibilité des entités coloniales. Mais à l'arrivée du nouveau gouvernement français, Jacques Chirac décide de dissocier le sort de Mayotte de celui des autres îles. Ahmed Abdallah déclare alors unilatéralement l'indépendance immédiate des Comores, qui deviennent indépendantes le 6 juillet 1975. Un second référendum, organisé à Mayotte le 8 février 1976, confirme le choix de la population mahoraise de rester au sein de la République française.

La France s'oppose depuis aux prétentions territoriales des Comores sur Mayotte. Plusieurs résolutions de l'Assemblée générale des Nations unies suivront, jusqu'à 1995, pour condamner la présence française à Mayotte.

Depuis, les tensions entre la France et les Comores ne se sont jamais apaisées. Un conflit qui se traduit notamment par le leste du gouvernement comorien en matière d'immigration illégale, elle-même renforcée par l'instabilité du pays et les coups d'Etat successifs qui ont impacté toute la population.

- Un territoire à l'abandon -

Mais Mayotte, à l'instar de la plupart des territoires ultra-marins, a été largement laissée à l'abandon en matière de développement. La situation y est même bien pire que dans les restes des DROM, et ce malgré sa départementalisation en 2009. Au point où le département n'est comptabilisé dans aucune statistique nationale, pour ne pas "fausser" les résultats.

La pauvreté extrême, le mal-logement, les bangas, le manque d'accès à l'eau, à l'éducation, à la santé…Toutes ces problématiques relèvent des compétences de l'Etat, qui semble réaliser à peine que la situation est aujourd'hui intenable. Il préfère aussi se concentrer sur l'immigration illégale, qui est certes un problème, mais nie au passage toutes les autres réalités du territoire.

Dans ce contexte, de nombreux Mahorais ressentent de la colère vis-à-vis de la population comorienne. Une colère qui se comprend, alors que la délinquance et la violence atteignent des niveaux jamais connus auparavant.

Mais cette colère se retranscrit désormais avec des appels aux meurtres, que l'on peut lire sur les réseaux sociaux, ou même entendre sortir de la bouche d'élus. En effet, Salime Mdéré, vice-président du Conseil départemental a déclaré "je refuse de les appeler des gamins (les mineurs isolés ; ndlr), ce sont des délinquants, des terroristes, des voyous. À un moment donné il faut peut-être en tuer", a-t-il dit en, selon ses mots "peser (ses) propos".

Des mots extrêmement violents et répréhensibles, mais qui illustrent parfaitement les tensions sur place. Comment un élu peut-il se permettre de proférer de tels propos s'il ne sait pas qu'une partie de la population est d'accord avec lui ?

- L'Etat en retard de plusieurs années -


Mais dans le chaos régnant, l'Etat semble vouloir se laver les mains de sa responsabilité directe sur la situation. Qu'a-t-il fait ces dernières décennies en-dehors d'expulser à tour de bras, séparant parfois des familles entières et abandonnant les mineurs isolés à leur sort ? Où sont les grands travaux d'infrastructures, où est l'eau potable, où sont les mesures sociales qui sont les seules réelles réponses à ce genre de situation ?

La question reste en suspens, tandis que l'opération Wuambushu continue péniblement. Si le gouvernement a pensé à envoyer ses troupes, il ne semble pas avoir pensé à l'aspect juridique ou même diplomatique de l'opération.

Est-il bien sérieux de prévoir une opération de telle ampleur sans s'assurer du feu vert de la justice, ou même des Comores ? Ce mardi 25 avril 2023, jour où devait avoir lieu initialement l'évacuation de plus de 80 familles, la justice a posé son véto. La veille, le juge a en effet constaté "l'existence d'une voie de fait" tenant aux conditions d'expulsion jugées "irrégulières" par les personnes s'opposant à l'expulsion, "mettant en péril la sécurité" des habitants.

Le juge avance que "la démolition des habitations voisines de celles des requérants les fragilisera et ne sera pas sans effet sur leur stabilité et aura un impact certain sur leur sûreté".

L'Etat déploie par ailleurs des moyens considérables pour une opération qui semblait vouée à l'échec avant même son commencement. Dans les faits, Wuambushu ressemble plus à un laboratoire à ciel ouvert des nouvelles techniques de répressions. La France reste fidèle à elle-même, traitant les Outre-mer avec un esprit colonialiste qui peine à disparaître.

Et si certains estiment qu'il faudrait céder Mayotte aux Comores pour régler la situation, on ne peut pas oublier le fait que les Mahorais se sentent profondément Français. Un sentiment qui a été validé à plusieurs reprises à travers des référendums. L'auto-détermination des peuples reste essentielle, et on ne peut retirer aux Mahorais cette liberté de choix.

as/www.imazpress.com / [email protected]

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10 Commentaires
Mémoire
Mémoire
1 an

Je veux dire (Ce qu'écrit Elias) " c'est parfaitement exact" . Mais mon commentaire s'est inséré au mauvais endroit, d'où le risque de confusion.

Mémoire...
Mémoire...
1 an

C'est parfaitement exact.

Prinac
Prinac
1 an

La derpartementalisation de Mayotte c’est pas en 2011???

Elias
Elias
1 an

Il oublie de dire que Mayotte et elle seule,était déjà dans le giron de la France depuis 1841 et les comores sont venus alors que Mayotte y était déjà depuis bien longtemps.Pourquoi ne le précise-t-il pas? Mayotte n'a jamais fait partie des Comores.

Poirier
Poirier
1 an

Pour avoir vécu sur ce joli caillou je trouve qu'il est très facile de mettre toute la délinquance sur la jeunesse comorienne de nombreux jeunes mahorais sont souvent impliqués dans les multiples méfaits commis sur l'île ...et puis chasser ces pauvres gens n'evitera jamais qu'ils seront de retour dans les semaines à suivre aidons plutôt les 4 îles à se développer au même rythme Mr Darmanin veut du chiffre c'est tout il doit commencer à préparer les prochaines élections ! Ne soyons pas dupes une opération de plusieurs centaines de millions d'€ pour rien sinon pour concurrencer M.Lepen sur un sujet épineux

Voisin
Voisin
1 an

Monsieur DARMANIN à raison rendons mayotte aux mahorais oui depuis plusieurs années à cause de l immigration clandestine les mahorais ne vivent pas tranquillement il y a énormément de violences physiques et matériels je rends hommage à Estelle Youssoufa qui défend son département les politiques et politologues devraient avant leur beaux discours passer quelques semaines à MAYOTTE BRAVO Monsieur DARMANIN ne lâchait rien et ne donnait plus d aide financière aux COMMORES

JPA
JPA
1 an

Votre éditorial est l'illustration parfaite de cet angélisme bien pensant qui a conduit aux nombreuses dérives sociétales déplorées actuellement en métropole comme en outre-mer avec ces mouvements contre les méfaits passés des gouvernements colonialistes. Mayotte est gangrenée par une immigration comorienne incontrôlée depuis des années qui non seulement déstabilise le fragile équilibre social mais plonge ce territoire dans un marasme général auquel l'Etat ne peut répondre seul. Les enjeux sont cruciaux et ne peuvent se suffire d'un mortifère statu quo que certains souhaiteraient. Cette opération policière vise très maladroitement je vous l'accorde à inverser cette spirale infernale dans laquelle ce territoire est plongé depuis trop longtemps. Toute relance économique ou tout regain d'espoir pour une grande frange de la population doit passer par une vigoureuse reprise en main préalable de ces flux d'immigration illégale avant un nécessaire plan d'envergure pour réellement poser les bases d'un nouvel essor de Mayotte. Il faut arrêter de se draper derrière des idéaux qui plombent la société française. Notre modèle social n'a inspiré personne et le monde avance finalement sans nous car nous devenons un petit pays qui survit encore dans le concert international grâce à une dissuasion nucléaire et un lustre culturel en passe de s'étioler. Nous devons nous confronter à cette dure réalité et réagir en conséquence avec pragmatisme et une indispensable volonté de reprendre le cours de notre destin, sans sectarisme ni angélisme. Le chemin sera long et difficile mais nous avons tous les atouts pour redonner un nouvel élan à ce pays.

B Bardot
B Bardot
1 an

"Votre suffisance, votre lâcheté, vos ridicules discours, votre total manque d’empathie et d’autorité font de vous une marionnette méprisable, une triste serpillère bonne à essuyer le sang et la mort qu’elle fait régner sur ce pays dont les lumières se sont éteintes." B Bardot lettre ouverte à Macron

Cogito
Cogito
1 an

Merci pour cet article complet qui éclaire une situation complexe et confuse. Et oui il semble bien que Darmanin se place face à Le Pen ....

CHABA
CHABA
1 an

Darmanin est en campagne présidentielle.