Une situation "catastrophique"

CHU de La Réunion en crise : il est urgent d'agir

  • Publié le 6 novembre 2023 à 09:47

Froid glacial, manque de moyens, manque de mains… les soignants de La Réunion alertent encore sur la situation "catastrophique" du CHU. Malgré le plan santé annoncé en début d'année l'hôpital public reste en situation de crise. Et si une enveloppe du ministère de la Santé aurait pu combler le déficit de près de 50 millions d'euros, les Outre-mer ont vraisemblablement été oubliés, rapporte la Cour des Comptes. Une situation "intenable" pour les soignants et praticiens qui le disent… il y a urgence à agir. (Photo photo RB/www.imazpress.com)

Pas ou peu de draps, pas de coussins, de couvertures, des bouteilles d'eau qui manquent… le froid qui règne au cœur du CHU reflète l'ambiance qui règne actuellement dans le centre hospitalier de La Réunion.

"On n'a même pas assez de couches pour les bébés ou de biscottes. Tout cela parce qu'on freine tous les budgets pour faire en sorte de ne pas ternir le déficit, ce n'est pas normal", s'insurge le secrétaire général de la CFDT Santé.

Des difficultés financières qui impactent également la sécurité. "Le directeur l'a dit lui-même, il y a des bâtiments pour lesquels la sécurité électrique n'est pas assurée, même le préfet en a été alerté", ajoute Expedit Lock-Fat.

Pour exemple, "le bloc opératoire (salle de réveil) où j'exerce a été inondé suite à une rupture d'une canalisation de climatisation centrale… et pourtant, on continue toujours d'y mettre les soignants alors que le plafond est imbibé d'eau et sent la moisissure", s'insurge Frédéric Bâche, secrétaire général de la CGTR CHU.

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- Un risque de rupture de soins -

Les soignants et praticiens hospitaliers dénoncent également les conditions d'accueil et de travail au CHU. Une situation liée à de gros problèmes financiers.

Des conditions de soins et de travail désespérantes pour Frédéric Bâche, secrétaire général de la CGTR CHU. "L'hôpital ne peut plus payer ses fournisseurs (pharmacie, logistique…), les contractuels voient leurs contrats non renouvelés, le personnel soignant doit pallier ce personnel non renouvelés, ils sont rappelés sur leurs repos", explique le représentant syndical. "Ils se fatiguent et certains se mettent en arrêt maladie et c'est l'absentéisme qui malheureusement augmente", ajoute-t-il.

"Les charges sociales ne sont pas payées, quand on commande du matériel on regarde à la loupe, des fournisseurs ne veulent plus fournir faute de paiement… on est là dans une grave situation de danger par rapport aux pathologies et aux prestations", prévient Expedit Lock-Fat, secrétaire général de la CFDT Santé.

De plus, "faute de moyens financiers, l'hôpital n'a pas pu payer les heures supplémentaires des personnels prévu fin octobre, c'est inacceptable".

Au-delà de la situation sociale, c'est aussi l'absence de remplacements qui pèse sur le personnel. "On a un taux d'absentéisme important avec des équipes insuffisantes", souligne Expedit Lock-Fat.

Pour exemple, "en imagerie on a eu quatre femmes enceintes mais une seule personne a été remplacée. Ça prive l'ensemble des équipes de repos et de congés jusqu'à la fin de l'année", explique David Belda de FO Santé.

"On impose des règles de travail soutenues et on augmente la cadence de travail et cela met en péril la qualité et la continuité des soins", dit-il.

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- Crise à l'hôpital : un malaise persistant -

"Le CHU de La Réunion vit ses heures les plus sombres", lance Frédéric Bâche. "L'intersyndicale a tiré la sonnette d'alarme depuis le mois de mai 2023, l'ARS a été sollicitée mais selon ses dires il ne peut rien faire", ajoute le secrétaire général de la CGTR CHU.

"Il y a un déficit annoncé depuis deux années consécutives de près de 50 millions d'euros. Ajouté à cela la dette sociale qui est de 37 millions d'euros", soit près de 80 millions de dettes, c'est la première fois qu'on en est là", alerte Expedit Lock-Fat, secrétaire général de la CFDT Santé.

Selon David Belda de FO Santé, "on n'entend jamais parler de l'éducation nationale ou de Bercy en déficit". "Les autres il suffit qu'ils ouvrent leur bouche et on leur donne la sucette et nous il faut qu'on crie pour avoir ce que l'on espère", s'insurge-t-il. "On veut juste travailler dans de bonnes conditions et bien soigner la population."

Pour Expedit Lock-Fat, la situation qui alimente la colère des personnels vient également du fait que "la situation est difficile et on ne sait pas combien de temps cela va durer. On vous dit vous serez aidés mais on n'a aucune visibilité".

- 1 milliard pour les hôpitaux… mais 0 pour La Réunion -

Une impression d'être négligée de l'État qui a atteint son paroxysme lors de la parution d'un rapport de la Cour des Comptes en date du 12 octobre 2023.

Dans ce rapport, il est fait état d'une enveloppe d'un milliard d'euros "visant à faire face à des surcoûts ou des besoins imprévus pour les dix années à venir". Mais alors que la situation à La Réunion est catastrophique, "l'outre-mer n'a rien perçu".

Selon la Cour des Comptes, "cette enveloppe a été répartie de manière discrétionnaire, détournée de son objet, en fonction de critères non transparents".

C'est également ce rapport qui questionne quant au rôle du CHU, de l'ARS et du ministère de la Santé dans l'attribution de ces fonds.

"On ne doit pas être les bâtards de la République", lance Expedit Lock-Fat, secrétaire général de la CFDT Santé. "On doit avoir ne serait-ce que quelques miettes pour assurer la sécurité et la santé des hospitaliers et des patients."

Pour les syndicats, désormais, la balle est dans le camp des politiques. "Visiblement il y a quelque chose qui n'a pas été fait dans la distribution de ces fonds, La Réunion n'a pas demandé…", s'interrogent-ils.

- À l'État d'agir -

Parmi les élus à s'être emparé du sujet, les députés Jean-Hugues Ratenon et Philippe Naillet, ainsi que la sénatrice Audrey Bélim.

Dans un courrier adressé au ministre de la Santé Aurélien Rousseau, le député a lancé un cri d'alarme. "Le CHU de La Réunion est en grande difficulté financière et je m'étonne que le gouvernement et l'ARS ne saisissent pas la gravité de la situation".

"Il est question ici de la santé, de la santé de tous les Réunionnais mais aussi des habitants de l’Océan Indien. Encore une fois, j’insiste sur le fait que la santé n’est pas une marchandise et qu’elle ne doit souffrir d’aucune espèce d’économie'", ajoute le député.

Jean-Hugues Ratenon faisant également référence au rapport de la Cour des Comptes. "En premier lieu, je dénonce un scandale. Une enveloppe financière de 1 Milliard d’Euros est dégagée et est prévue pour s’étaler jusqu’en 2029, mais tous les crédits ont été consommés en 2023. Zéro euro pour notre territoire, pourquoi La Réunion a-t-elle été oubliée voire ignorée ?"

"Monsieur le Ministre, ce sont des remarques extrêmement graves qui, à mon avis, nécessitent des explications. Nos hôpitaux ont été privés de moyens financiers sans raison alors que notre service public est en danger."

Audrey Bélim est elle aussi montée au créneau. Accompagnée du député Philippe Naillet, la sénatrice a pu rencontrer les organisations syndicales ce jeudi 2 novembre 2023. "Face aux difficultés de l’Hôpital public, l’État et l’ARS ne doivent plus attendre pour réagir !", lance-t-elle.

"Ils doivent enfin être à la hauteur de la promesse républicaine, de leurs missions, de faire preuve de solidarité avec les Réunionnaises et les Réunionnais en réhaussant de manière pérenne les moyens humains, matériels et financiers de l’hôpital public de La Réunion."

"Avec l’intersyndicale, nous sommes décidés à sauver le CHU et à demander au ministre de la santé et de la prévention de prendre ses responsabilités", a déclaré le député Philippe Naillet.

Face à cette situation catastrophique, l'intersyndicale compte bien se mettre en grève illimitée à compter du 9 novembre 2023, "jusqu'à ce qu'on ait l'assurance d'un accompagnement" note le secrétaire général de la CFDT Santé.

"Le CHU a progressé en nombre d'hospitalisations, en mètres carrés, en services… ce n'est pas le moment de nous laisser tomber", alerte Expedit Lock-Fat.

"Il faut que l'État prenne ses responsabilités", conclut Frédéric Bâche de la CGTR.

Interpellées par Imaz Press Réunion, ni la direction de l'hôpital, ni l'Agence régionale de santé n'ont répondu à nos sollicitations.

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ma.m/www.imazpress.com/redac@ipreunion.com

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