Dans quelques jours l'événement tant attendu par de nombreux Réunionnais débute à La Réunion : le Grand Raid. Pour accueillir ces milliers de traileurs, il faut bien sûr des places d'hébergement en hôtel ou encore en gîte. Mais des places allouées aux coureurs, ce sont des places d'urgence retirées pour les personnes victimes de violences conjugales. Un fait que dénonce l'Union des femmes réunionnaises (UFR). Au-delà de cette problématique, c'est également la saturation générale des hébergements d'urgence à La Réunion qui est mis en lumière, que cela concerne les victimes de violences ou les Réunionnais modestes et en grande précarité qui n'ont plus de quoi se loger (Photo : rb/www.imazpress.com)
Cette situation catastrophique pour les personnes victimes de violences conjugales, l'UFR l'a dénoncé ce week-end à l'occasion d'une conférence de presse à Saint-Paul. L'UFR alertant sur le manque d'hébergement d'urgence pendant l'événement de l'année, le Grand Raid.
"Du 19 au 22 octobre, la 31e édition du Grand Raid va attirer des milliers de coureurs et de touristes à La Réunion. Une manne économique qui a son revers. Les hôtels et les gîtes ne peuvent plus recevoir en urgence les victimes de violences conjugales."
"On n'a pas de données chiffrées mais on sait qu'il y a des familles qui sont déboutées de leur demande d'hébergement chaque année à la période du Grand Raid", confie la présidente de l'UFR, Évelyne Corbière, contactée par Imaz Press.
"Des femmes victimes qui sautent le pas de quitter leur domicile mais si elles n'ont pas de point de chute, comment font-elles ? On leur assène de partir loin de la violence, mais pour aller où ?", clame Frédéric Rousset du Collectif pour l'élimination des violences intrafamiliales.
Face à cette situation tendue, l'Union des femmes réunionnaises a alerté l'État. " Il y a eu une réunion en avril avec le sujet posé sur la table pour chercher des solutions. La solution qui a émergé, c'est l'idée d'organiser l'accueil chez l'habitant avec l'appui des services de l'État. Cet appui s'est détaillé au fil des échanges que nous avons eu avec les services de la DEETS qui nous a expliqué qu'on sera accompagné pour la mise en place de ce dispositif."
"Pour résumer, la réponse de la préfecture c'est de mettre les personnes chez nous. Aucun moyen supplémentaire n'est déployé alors qu'il existe des solutions pour garantir que les gens ne soient pas à la rue", poursuit Évelyne Corbière.
Ce qui exaspère la présidente de l'UFR, c'est qu'"on ne comprend pas que l'État sollicite encore une fois les bénévoles". "Nous travaillons tous les jours, nous sommes sur le terrain tous les jours, nous avançons parfois des frais...Nous en avons ras-le-bol. On intervient là où il y a un manque de l'État mais on ne peut pas pallier un manque sur lequel on a alerté il y a des mois", s'insurge-t-elle.
"On n'a pas besoin de la DEETS pour nous accompagner dans la générosité, c'est déjà ce que l'on fait chaque jour sur le terrain. Nous ne les avons pas attendu pour héberger des victimes chez nous", fustige Évelyne Corbière. "Je trouve ça scandaleux et même dangereux : quand on ouvre notre maison à des personnes qui fuient les violences, on s'expose nous aussi aux violences qu'elles fuient. A quel moment la préfecture prend ses responsabilités ?" s'interroge-t-elle.
"On a alerté pour une courte période, c'était à l'État de prévoir, ce n'est pas aux bénévoles d'encore une fois palier leurs manquements. On ne demande pas du confort, mais une mise à l'abri de personnes en danger."
Ce que déplore Évelyne Corbière, c'est également le silence étatique. "Nous n'avons eu aucun retour de la préfecture après la publication de notre tribune, on attend toujours une réaction. Nous ne disons pas n'importe quoi, nous avons des traces écrites concernant les solutions proposées par la préfecture. Effectivement, nous n'avons pas donné suite à leurs mails, parce que les propositions sont scandaleuses. Nous savons être généreuses, être solidaires, nous n'avons pas besoin que la préfecture nous dise comment l'être. C'est à l'État de prendre des responsabilités", conclut-elle.
- "Aucune victime ne sera sans solution d'hébergement" -
Contactée à ce sujet, la préfecture a déclaré que "la lutte contre les violences intrafamiliales, et en particulier contre les violences faites aux femmes, est une priorité de l’État et de ses partenaires, notamment à La Réunion où une feuille de route stratégique de prévention et de lutte contre les violences intrafamiliales a été adoptée avec la participation des associations, conformément aux engagements pris par le préfet à l'issue des Assises contre les violences intrafamiliales du 31 mai 2023."
La question des difficultés d'hébergement des victimes de violences intrafamiliales en période de Grand Raid, en raison d'un engorgement des offres d'hébergement, "est bien prise en compte par l’État et ses partenaires".
"La concertation évoquée par la présidente de l'UFR a bien eu lieu en avril dernier avec l'ensemble des acteurs concernés et notamment les associations. À cette occasion, il a en effet été convenu avec les associations présentes d’étudier la possibilité de compléter (et non de remplacer) l’offre d’hébergement des femmes victimes de violence déjà existante par d’éventuels hébergements chez des particuliers bénévoles en période de Grand Raid", ajoute les services de la préfecture.
"Il n'a toutefois jamais été évoqué de contrôle des bénévoles par la direction de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités (DEETS, et non la DIECCTE qui n'existe plus depuis deux ans), mais plutôt une attention à avoir par les associations elles-mêmes quant aux conditions d'hébergement qui seraient proposées par leurs bénévoles", précise l'État.
"Depuis lors, la DEETS a consulté par deux fois les associations afin, d'une part, d'approfondir cette possibilité d'hébergement mais sans injonction aucune et, d'autre part, de recueillir les autres propositions des associations. L'UFR n'a pas répondu, ni pour questionner cette proposition, ni pour en proposer d'autres", une non-réponse que nous a confirmé - et expliqué - Évelyne Corbière.
"Tous les signalements (appels au 115) de victimes de violence sont d'ores-et-déjà et tout au long de l'année systématiquement pris en compte pour un hébergement dans les plus brefs délais. Les victimes de violences intrafamiliales sont accueillies de manière ultra prioritaire dans les structures d’accueil et d’urgence ou à défaut en pension, gite ou hôtel. Pendant le Grand Raid, une attention particulière sera portée par les services de l’État pour qu'aucune victime ne soit sans solution d'hébergement" assure la préfecture.
- Hébergement d'urgence, La Réunion manque de place -
Mais au-delà du Grand Raid qui, selon Frédéric Rousset, président du Collectif pour l'élimination des violences intrafamiliales (CEVIF), "est une loupe qui grossit la problématique", la situation générale des hébergements d'urgence à La Réunion est catastrophique.
"On a un manque d'hébergements d'urgence habituellement, mais sur la période Grand Raid la difficulté est accrue parce qu'on a un dispositif qui n'est pas opérationnel", note Évelyne Corbière pour l'Union des femmes réunionnaises.
Frédéric Rousset le dit lui-même, "il y a une vraie problématique de non mise à l'abri des personnes en raison de la saturation des centres d'accueil d'urgence".
Pour exemple, "en date du 5 octobre 2023, on a eu deux familles monoparentales de mamans avec trois enfants de 1 à 9 ans qui n'ont pu être mises à l'abri faute de place et invitées à rappeler le 115 le lendemain". "L'hébergement est en situation de crise et tout le monde n'en a pas conscience", ajoute-t-il.
Déjà en début d'année, Imaz Press lançait l'alerte sur le manque de place à La Réunion. Mais depuis, rien ne semble avoir changé.
"Avec la spirale inflationniste même la classe moyenne est attaquée et ma crainte c'est que ces problèmes vont s'accentuer et risque d'opposer les publics", ajoute Frédéric Rousset.
Une situation telle que plus personne n'est prioritaire puisque presque tout le monde l'est. "C'est priorités contre priorités", note le Cevif. "On a même des femmes qui dorment avec leurs enfants dans les voitures. Il faut regarder le problème dans les yeux", alerte Frédéric Rousset.
À La Réunion, selon les derniers chiffres de la fondation Abbé Pierre, le nombre de personnes accueillies dans les accueils de jour a presque doublé, passant de 991 personnes en 2019 à 1.845 en 2022.
De plus, les demandes de mise à l'abri au 115 sont passées de 34.334 en 2020 à 48.565 en 2022.
Parmi ces demandes, des femmes, souvent seules, avec leurs enfants (33% en 2022). Pour exemple, le pourcentage d'hébergement des femmes isolées en Abri de nuit a quant à lui fortement augmenté ces dernières années. "Toutefois, le dispositif apparait, à bien des égards, inadapté et insuffisant pour répondre de manière satisfaisante à la mise à l'abri de ce public", note la fondation.
Une difficulté qui, selon les données de la fondation, s'accentue pour les femmes victimes de violences. "D'après le SIAO, le contexte des violences constituait ainsi 38% des orientations en hébergement d'urgence en 2021."
Mais cette dernière est confrontée à plusieurs limites. "La première correspond aux capacités d'accueil des SAUT (service d'accueil d'urgence temporaire), qui restent largement insuffisantes au regard des besoins des femmes victimes de violences conjugales (69 places et 18 en cours d'ouverture)."
"Face à l'urgence sociale, il est impératif d'agir pour mettre à l'abri toute personne, quel que soit le statut administratif, la composition familiale, l'âge ou le genre", note la fondation dans son communiqué paru en début d'année.
- L'État doit agir... "maintenant" -
Pour Frédéric Rousset du Cevif, "il ne s'agit pas de prendre l'autre comme bouc émissaire mais de rappeler à l'État ses prérogatives".
"Femmes Solid'Air et le Cevif sommes dans une logique anticipative mais l'État, plutôt que de renvoyer à des alternatives comme celles de solliciter les privés doit anticiper les choses." "Le réseau associatif est contraint de bricoler et d'identifier des micro-solidarités", ajoute Frédéric Rousset.
"Je connais des bénévoles qui accueillent chez eux des victimes répondant aux seules injonctions de leur cœur", confie-t-il à Imaz Press.
Ce que le président du Cevif déplore, "c'est que l'on sait réquisitionner quand il y a les cyclones mais là rien. Les associatifs font ce qu'ils peuvent mais s'enlisent dans un sable de fatigue compassionnelle car l'on est au bout de ce qu'on peut".
Face à une telle saturation, l'État avait annoncé la création de centres d'hébergement d'urgence. "Mais on a pris tellement de retard, qu'on doit tout de même faire face à la vague", lance Frédéric Rousset.
Pour ces victimes, comme pour les associations, "trouver des hébergements relève véritablement d'un grand raid" le président du Cevif.
ma.m et as/www.imazpress.com/redac@ipreunion.com