Problèmes d'approvisionnement

Des personnes bipolaires en désarroi face aux pénuries de psychotropes

  • Publié le 17 avril 2025 à 11:15
  • Actualisé le 17 avril 2025 à 11:22

Depuis plusieurs mois, l'approvisionnement d'un médicament essentiel dans le traitement de certains troubles psychiatriques est en forte tension. La quétiapine, un antipsychotique indiqué dans le traitement de la schizophrénie et des troubles bipolaires, devient de plus en plus difficile à trouver. Au détriment des patients, qui n'ont parfois aucune alternative (Photo d'illustration rb/www.imazpress.com)

"Je dois faire quatre ou cinq pharmacies avant de trouver mon traitement", souffle Stéphane*. Bipolaire, ce dernier s'inquiète des répercussions sur sa santé mentale – et celle de toutes les personnes concernées – en cas de rupture totale de quétiapine.

"C'est assez ironique quand on sait que la journée mondiale du trouble bipolaire était le 30 mars", sourit-il. Une crise d'autant plus ironique quand on sait que la santé mentale devait être "la grande cause nationale de 2025".

Clara* traverse les mêmes difficultés. "Pour l'instant j'arrive à m'en sortir à force de chercher dans différentes pharmacies, mais j'ai vraiment peur de ce qu'il pourrait arriver en cas de rupture totale. J'ai déjà souffert d'épisodes dépressifs extrêmement compliqués, et je n'ai pas envie d'y retourner", confie-t-elle.

"Le risque de santé publique est majeur, on risque d'aller vers des suicides en cas de rupture", martèle Stéphane.

- Une crise nationale -

Ces problèmes d'approvisionnement ne touchent pas que La Réunion : dans toute la France, les pharmacies rencontrent des difficultés.

Fin janvier, l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) a alerté sur de "fortes tensions".  Début mars, elle a de nouveau alerté sur une situation devenue critique.

"Les médicaments à base de quétiapine (Xeroquel LP et génériques) font l’objet de très fortes tensions d’approvisionnement sur tous les dosages (50 mg LP, 300 mg LP et 400 mg LP) en raison d’un problème de production rencontré par le fabricant Pharmathen International, qui produit ce médicament pour plusieurs laboratoires", a-t-elle averti.

"C'est un vrai sujet, aussi important que le chikungunya", estime Claude Marodon, président de la délégation de l'Ordre des Pharmaciens Réunion-Mayotte.

"C'est une molécule très importante pour les personnes souffrant de bipolarité, et il n'y a pas de générique ou d'équivalent. Nous avons alerté les autorités sanitaires pour voir comment faire, mais pour l'heure cela n'avance pas", regrette-t-il.

"C'est gravissime, il y a un risque de santé publique majeur. L'ARS a alerté et demande à prévenir les patients concernés. Pour le moment le patient est invité à voir son médecin pour trouver une solution temporaire de traitement", ajoute le pharmacien.

Interrogé par Imaz Press Réunion ce mardi à l'occasion d'une opération de démoustication, le directeur général de l'ARS de La Réunion, Gérard Cotellon, a indiqué : "Je ne suis pas au courant de cette situation, vous me l'apprenez". Nous invitant donc à joindre le service de communication de l'ARS. Chose déjà faite, sans réponse à ce stade.

- L'inquiétude des professionnels de santé –

La crise est nationale, l'inquiétude des spécialistes aussi. Dans une tribune publiée ce mardi dans Le Monde, quatre psychiatres - David Gourion, Marc Masson, Philippe Fossati et Raphaël Gaillard - dénoncent le fait que "de plus en plus de psychotropes sont en rupture de stock en France, ce qui met en danger des millions de patients".

En plus d'une crise structurelle permanente, la psychiatre étant depuis toujours le "parent pauvre" de la médecine, les professionnels alertent sur "une crise aiguë d’approvisionnement en médicaments psychotropes essentiels". Dont la quétiapine.

Des ruptures d'autant plus inquiétantes quand "on estime qu’environ 20 % des patients bipolaires non traités décèdent par suicide", alertent les professionnels.

"C'est assez problématique actuellement, la difficulté étant qu'il est compliqué de substituer les traitements", confirme auprès d'Imaz Press Réunion le Dr Antoine Deguillaume.

Le psychiatre s'inquiète de "possibles décompensations psychiques" en cas de rupture de traitement, c'est-à-dire une réapparition brutale des symptômes de ces troubles.

"Les patients peuvent retomber en dépression, développer un épisode maniaque dans le cas de la bipolarité, ou avoir une réactivation de tableaux délirants dans les cas de schizophrénie. Rompre avec son traitement, même brièvement, c'est risquer de resombrer dans la maladie", alerte-t-il.

"Pour certains, cela peut aussi créer des difficultés à retrouver un nouvel équilibre. Et ces médicaments sont difficiles à substituer, parce qu'une personne peut être stabilisée avec un traitement, mais ne pas l'être avec un autre médicament", détaille le psychiatre.

"Ce n'est pas la première fois qu'on a des ruptures, l'année dernière nous avons fait face à des difficultés d'approvisionnement de clozapine, utilisée pour la schizophrénie résistante à plusieurs autres lignes de traitement, et de sertraline, qui est un antidépresseur", dénonce-t-il.

"On a aussi le lithium, qui est très utilisé dans le traitement de la bipolarité et qui n'a pas du tout d'alternative, où on observe fréquemment des ruptures."

En attendant la fin de cette crise, l'ANSM demande aux professionnels de santé de ne plus prescrire de quétiapine en première intention. Elle a aussi demandé aux médecins d'opter pour une alternative à la quétiapine "désormais également pour les patients en cours de traitement", dès que possible et sauf trouble bipolaire, et non plus seulement lors des démarrages de traitements.

Dans l'Hexagone, les pharmaciens pallient ces difficultés en se tournant vers la préparation magistrale, c'est-à-dire la préparation directement en pharmacie du médicament. L'ANSM a en effet délivré une autorisation exceptionnelle et temporaire de préparation magistrale aux pharmacies.

Une alternative normalement chaperonnée par l'ARS, qui n'a pour l'heure pas répondu à nos questions concernant l'absence de ces préparations à La Réunion.

- L'approvisionnement des médicaments en crise -

Ces tensions ne sont pas spécifiques à la psychiatrie : elles concernent une large gamme de médicaments, allant des psychotropes aux antibiotiques, en passant par les traitements anti vasculaires.

"C'est une question de rentabilité des laboratoires : les tarifs sont trop bas en France, donc ils vendent à l'étranger avant la France", analyse le Dr Antoine Deguillaume. "Les brevets sont expirés, et ne rapportent donc plus autant", ajoute-t-il.

Un constat partagé par le secteur de la santé mentale. "Les industriels soulignent les prix trop bas des médicaments "essentiels" en France et n’hésitent pas à orienter leurs ventes vers des marchés plus rémunérateurs. Parfois, ils abandonnent purement et simplement la production de molécules anciennes, pourtant efficaces, pour se concentrer sur des médicaments plus récents, vendus bien plus cher", dénonce la tribune publiée par Le Monde

"Cela crée une véritable inquiétude par rapport à nos patients, c'est quelque chose qui va probablement se répéter", souligne le psychiatre.

"Ce n'est ni la première ni la dernière fois que l'on doit faire face à cette situation, tout est fabriqué à l'étranger", abonde Claude Marodon. "Nous nous trouvons dans la même situation que pour le paracétamol", souligne-t-il.

En effet, depuis 2023, les pénuries sont légion dans les pharmacies, frôlant les 5.000 signalements de ruptures de stocks et risques de ruptures, selon un bilan de l'ANSM.

Le prix des médicaments n'explique cependant pas tout. Les causes sont multiples : "Difficultés survenues lors de la fabrication des matières premières ou des produits finis, défauts de qualité sur les médicaments, capacité de production insuffisante, morcellement des étapes de fabrication, etc.", énumère l'ANSM.

En attendant, ce sont les patients qui trinquent…et leurs proches, dans le cas des troubles psychologiques.

* Les prénoms ont été modifiés à la demande des patients

as/www.imazpress.com / redac@ipreunion.com

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2 Commentaires
Catherine
Catherine
1 semaine

On note aussi des difficultés à trouver de la Venlafaxine/ Effexor sur le plan national.
C'est une honte de manquer de ces précieux médicaments essentiels pour la santé mentale !

12345
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1 semaine

Merci d.avoir mis en lumière ce problème! Inconcevable de voir que mr Cotellon n.est pas au courant…Esperons une réponse prochaine de l.ARS.